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La théâtralisation de l’espace urbain

La théâtralisation de l’espace urbain

Publié le par Alexandre Gefen (Source : C.H.E.R (Culture et Histoire dans l'Espace Roman))

La théâtralisation de l’espace urbain

   29 et 30 novembre  2012

Colloque

organisé par le C.H.E.R.

(Culture et Histoire dans l’Espace Roman)

 

Université de Strasbourg

 

La notion de théâtralisation, appliquée aux arts de la  scène, renvoie à l’idée de laisser apparaître les conventions qui règlent le jeu scénique (jeu actorial, costumes, maquillage, espace scénique …) afin que « la réalité théâtrale soit rétablie comme condition nécessaire pour que puissent être données des représentations réalistes de la vie en commun des hommes. » (B. Brecht).

Cependant, la théâtralisation de l’espace  est un phénomène beaucoup plus large dont le théâtre moderne, né en Europe autour du XVIe siècle, est une partie constitutive comme le montrent les nombreuses chroniques qui décrivent l’organisation éphémère de l’espace urbain lors d’importants événements politiques et/ou religieux (Montaigne J. Evelyn, J.J. Bouchard,  Goethe…). Ces chroniques  ainsi que de nombreuses correspondances des différentes époques précisent que les artistes peintres, les hommes de lettres, les musiciens et les comédiens participaient à la théâtralisation urbaine.  Avec  leur art, dans le sens de teckné,  ils modifiaient  l’espace urbain par une architecture éphémère faites d’arcs de triomphe, de défilés de chars allégoriques et d’espaces théâtraux provisoires destinés à accueillir représentations théâtrales et tournois.

 

Cette dimension chorale  nous montre le caractère interdisciplinaire de la notion de théâtralisation et le lien direct avec les  études sur les rapports entre l’espace qui trouvent en Walter Benjamin l’une des premières  réflexions modernes sur  l’interaction entre l’individu et l’espace urbain parisien du XIX siècle:

« La « ville en passages » est un songe qui flattera le regard des parisiens jusque bien avant dans la seconde moitié du siècle. En 1869 encore, les « rues galeries » de Fourier fournissent le tracé de l’utopie de Moilin Paris en l’an 2000. La ville y adopte une structure qui fait d’elle avec ses magasins et ses appartements le décor idéal pour le flâneur. »[1]

 

Plus récemment, les travaux du géographe Augustin Berque ont montré l’importance de la fonction de l’espace dans le double rapport nature/culture, paysage/sujet à travers lequel l’individu se construit dans un processus de distanciation et de retour constant vers l’espace naturel et/ou urbain.[2]

Les recherches de Bertrand Westphal entre littérature et espaces ont abouti à l’élaboration d’un nouvel champ de recherche, celui de la « géocritique », dans lequel la notion de théâtralisation de l’espace urbain trouve parfaitement sa place[3]. Les travaux de B. Westphal montrent que l’espace n’est pas un simple décor d’une oeuvre  littéraire, théâtrale ou picturale, mais qu’il s’est imposé avec toute sa dimension tragique sur l’avant-scène de la représentation.

Des historiens comme Elisabeth Crouzet-Pavan ont  repéré très clairement la nécessité de la mise en scène des espaces urbains à des fins de propagande dont témoignent chroniques et journaux vénitiens de la fin du Moyen-âge.

De nombreuses oeuvres  mettent  en scène une ville, un quartier ou un lieu urbain avec lesquels interagissent un ou plusieurs personnages. Pensons  à l’importance de Gênes dans l’oeuvre poétique de Giorgio Caproni, de Barcelone dans les romans de Manuel Vasquez Montalban, de Milan dans le théâtre de Dario Fo ou de la villa Adriana dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. 

Grâce à leur dispositif verbal ou iconographique, elles contribuent à la construction d’une image idéale de l’espace urbain auprès du public. Elles participent à la création de la  cartographie imaginaire du  récepteur en le transformant  en touriste littéraire. Un touriste immobile qui voyage, sans se déplacer physiquement, grâce  à la mise en forme artistique d’un élément d’ordre géographique  sur scène, dans une image, dans un récit.  Parfois, il s’agit également de resémantiser  un espace urbain en organisant une vision et des parcours  qui vont à l’encontre d’un critère spatial définitivement fixé,   comme l’a montré Lorenzo Flabbi.[4] Dans ce cas la ville-texte trouve de nouvelles règles d’existence aux yeux de son lecteur ou de son spectateur.

Mais l’image idéale resémantisée ou pas, n’est pas la seule, bien au contraire la plupart des  oeuvres proposent  une vision de crise, voire de conflit, de l’espace urbain. C’est le cas du dramaturge italien Fausto Paravidino dans Gênes 01, de l’écrivain catalan Félipe Hernandez dans Eden, du réalisateur Roberto Rossellini, dans  Rome ville ouverte  ou du peintre Umberto Boccioni dans Rixe dans la galerie. La révolte et l’insurrection urbaine brouillent les repères spatiaux. La barbarie de la guerre et la dynamique violente et destructrice semblent être ici les critères par lesquels l’espace urbain devient un théâtre de crise et de conflit

Comment les différentes formes artistiques organisent-elles l’espace urbain dans leurs oeuvres ? Dans quelle mesure  l’organisation spatiale participe à l’évolution des personnages ? Y a-t-il une construction particulière qui forme le regard du lecteur, du spectateur ?  Quels sont les points de focalisation qui sont à la base du cadrage singulier de l’espace urbain dans une oeuvre ? Comment contribuent-ils à la construction de la géographie imaginaire du récepteur? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous essayerons de répondre lors du colloque  « Théâtralisation de l’espace urbain ».

 

A travers l’axe « Théâtralisation de l’espace urbain »  nous nous proposons  d’approfondir le fonctionnement stylistique et linguistique de ces deux visions urbaines - vision idéale et vision de crise -  et de définir les conditions de réception à travers l’examen de documents liminaires (chroniques, journaux intimes, presse, préfaces, dédicaces …). 

Le croisement des différentes aires culturelles  et linguistiques qui constituent l’espace roman (Espagne, France, Italie, Portugal, Roumanie), des différentes disciplines (Littérature, Arts de la scène, Histoire, Géographie, Arts plastiques)  ainsi que des différentes époques (Moyen-âge, Renaissance, Baroque, XVIIIe, XIXe, XXe et XXIe siècles), permettra de mesurer l’évolution dans le temps  du  regard  avec lequel les différentes formes artistiques (récit, poésie, cinéma, théâtre, arts plastiques, photographie …) organisent la « traduction » de   l’espace urbain.

 

Envoyer un abstract (15 lignes environ) à :

 

Francesco D’Antonio dantonio@unistra.fr

Myriam Chopin-Pagotto mchpag@yahoo.fr

 

le 16 avril 2012 au plus tard.

 

Les projets seront examinés par notre comité de lecture et les réponses retournées avant le 15 mai 2012.

 

 


[1] W. BENJAMIN, Paris capitale du XIXe siècle : le livre des passages, Paris, Ed. du Cerf, 1997.

[2] A. BERQUE, Médiances de milieux en paysages, Paris, Belin, 2000, p. 127-128.

[3] La Géocritique mode d’emploi, sous la direction de Bertrand WESTPHAL, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2000.

 

[4] L. FLABBI, « La traduction des villes », in Espaces, tourismes, esthétiques, sous la direction de Lorenzo FLABBI et Bernard WESTPHAL, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2010.