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La silve: histoire d'une écriture libérée en Europe, de l'Antiquité au XVIIIe siècle

La silve: histoire d'une écriture libérée en Europe, de l'Antiquité au XVIIIe siècle

Publié le par Alexandre Gefen (Source : P. Galand-Hallyn, EPHE)

 La « silve » : histoire d'une écriture libérée en Europe, de l'Antiquité au XVIIIe siècle

 

Colloque international des 2-5 juillet 2008,  Koninklijke Academie voor Nederlandse Taal-en Letterkunde (Koningstraat 18 B-9000 Gent, Belgique) 

 

Organisation : P. Galand-Hallyn (EPHE, Paris) et F. Hallyn (Université de Gand)

Comité scientifique : W. Adam (Osnabrück), F. De Bruyn (Ottawa), P. Ford (Cambridge, Clare College), C. Lévy (Paris-Sorbonne), J.-F. Maillard (I.R.H.T.), G. Sauron (Paris-Sorbonne), H.-J. Van Dam (Amsterdam)

Projet:

 Stace (c. 40-96), et peut-être déjà Lucain avant lui, a conçu avec ses Silvae (« poèmes-forêts ») un genre d'écriture nouveau. Ses poèmes de circonstances, dont le fil rouge est le regard émerveillé (guidé sans être contraint par les codes de l'épidictique) ou douloureux qu'il porte sur son univers, Domitien et sa cour, la technologie moderne, l'art et l'architecture de son temps, la littérature et aussi l'amour, la naissance et la mort, doivent encore beaucoup à Horace pour leur épicurisme élégant et leur attention au quotidien humain. Mais la perspective n'est pas celle du moraliste, même si les lois de l'éloge incluent le recours à une coloration morale – à cet égard il diffère de son contemporain satiriste, Martial, si proche de lui  d'ailleurs par ses thèmes et son amour de la uarietas – et  Stace y déploie avec ostentation une inspiration du coeur, soulignant dans ses préfaces à la fois la « chaleur subite », calor subitus, que ses sentiments pour les personnages de son entourage (prince, mécène, amis, collègues, famille) ont suscitée et la virtuosité improvisatrice – selon la description même de son contemporain Quintilien qui n'ignore pas la silve en rhétorique, ni en philosophie (hylè, materia) – qui lui a permis d'écrire ces poèmes emportés et savants, où la rhétorique sublime l'affectivité, où l'ornement mythologique rencontre l'intime. Dégagées de la fureur platonicienne, soumises à une inspiration humorale mais encore mystérieuse, étayées par une culture profonde et multiple devenue seconde nature (l'hexis de Quintilien), les Silves, après les oeuvres ovidienne, se jouent des tabous génériques, usent de tous les tons, tous les thèmes, tous les genres poétiques, tâchent d'embrasser la variété du monde humain, au risque de se perdre dans les détails. L'écriture désormais ne connaît plus d'autre aptum que celui qu'imposent les mille facettes de la vie et de l'humeur de l'écrivain.

L'exemple de Stace influencera profondément la latinité tardive, dont maintes oeuvres (lettres, paratextes ou poèmes de circonstances) reproduisent cet engouement pour une écriture biographique ou présentée comme telle, éthiquement et scientifiquement cautionnée par sa spontanéité (signe de franchise et d'érudition). Le goût pour la varietas des sensations et de l'érudition, pour le détail où le regard s'égare, souvent en lien avec l'esthétique d'alors, pour une créativité du « tempérament » – tel que les Nuits attiques d'Aulu-Gelle ou les Saturnales de Macrobe le dépeignent, associant la créativité poétique à la pédagogie et à la science du temps – s'exacerbe en des temps où les Romains craignent peu à peu pour la pérennité de leur monde. L'écriture de la silve se fait alors, chez Ausone, Ambroise, Prudence, Claudien ou Sidoine Apollinaire, qui revendique explicitement la filiation statienne, l'instrument libre et vibrant, parfois violent à sa manière précieuse, de la célébration de leur foi, religieuse ou culturelle.

Le Moyen Âge n'a pas ou guère connu les Silves de Stace, mais il a connu ses imitateurs, notamment Sidoine Apollinaire. La poétique sidonienne semble en rapport (Faral) avec la multiplication des longues ekphraseis qui parsèment les romans médiévaux d'antiquité du XIIe siècle, puis les romans qui dérivent de leur poétique (XIIe-XIIIe), et que théorisent les arts poétiques contemporains. Ces descriptions-digressions, qui prennent l'appellation de « dit », ont un caractère à la fois subjectif et encyclopédique, proche de celui de la silve à la manière de Stace et de Sidoine. Or le « dit », terme polyvalent au Moyen Âge, finit par désigner en particulier un type d'oeuvres poétiques très souple, un « mode de dire » caractérisé à la fois par la diffusion d'un certain savoir et/ou d'une morale de vie et la prise en charge explicite de ce savoir ou de cette morale par le « je » qui écrit, en relation avec l'actualité du temps et en prise directe sur la vie. Cette nouvelle écriture s'épanouit au XIIIe siècle, grande époque de l'avènement de la subjectivité littéraire. Comme la silve, le dit représente donc au Moyen Âge une forme d'écriture libérée : pourrait-il apparaître comme l'héritier indirect de la silua, via Sidoine Apollinaire et Claudien, et les premières mises en roman du milieu du XIIe siècle ? Ce qui était d'abord perçu comme des excroissances ou des digressions dans le roman se serait ainsi détaché de ce dernier pour vivre d'une vie propre (suggestions et pistes de Francine Mora, que je remercie).

A la Renaissance, après la redécouverte des Silves par Poggio Bracciolini en 1417 et leur commentaire par Niccolò Perotti et Domizio Calderini, l'humaniste florentin Ange Politien (1454-1494), séduit à la fois par les pièces de Stace et par les théories  exposées par Quintilien au livre X (consacré à l'imitation éclectique et à une improvisation fondée sur les affects comme sur l'innutrition), relance la mode de l'écriture « silvaine ». Ses propres silves (la Sylva in scabiem et les quatre pralectiones composées en introduction à divers poètes et à la poésie : Manto, Ambra, Rusticus et Nutricia) conservent les principes créatifs de Stace, l'imitent en divers passages, mais relèvent plutôt d'une poésie didactique où la dimension autobiographique subsiste, tout en étant moins directement perceptible. Après lui, l'Italie puis l'Europe entière vont produire en abondance des oeuvres variées sous le titre de silves, ou sous d'autres titres connotant une écriture de la variété mêlée, de l'apparente spontanéité fondée sur une singulière érudition. L'expérience montre que, dans ces silves diverses, le souvenir de Stace et de Quintilien (comme d'Aulu-Gelle ou de Macrobe) reste souvent présent, explicitement ou non, notamment dans les paratextes. Ces oeuvres, la plupart du temps inclassables dans les genres canoniques, touchent à tous les domaines intellectuels : poésie lyrique de circonstance, poésie épico-héroïque, poésie didactique, miscellanées encyclopédiques, traités philosophiques et scientifiques, arts plastiques, musique. L'écriture de la silve dépasse la chronologie traditionnellement attribuée la Renaissance pour fleurir aux XVIIe et au XVIIIe siècles. Les auteurs de silves tendent généralement à souligner le caractère hors-norme, voire anti-normatif, de leur écriture, sa profonde individualité – une manière d'essai –, son plaisir spécifique : un rapport particulier au matériau traité, une dégustation vertigineuse du détail savant ou esthétique, que souligne d'ordinaire un style souvent paratactique simulant une certaine oralité.

Nous souhaiterions, grâce au présent colloque, mieux cerner ce phénomène d'écriture qui déborde une classification réductrice à un simple « genre », en dégager les traits communs mais aussi les spécificités épanouies dans certains pays (en Espagne la selva devient aussi une forme métrique, en Allemagne elle aboutit à l'Essayistik). Le nombre de « silves » - ou  d'ouvrages assimilables - publiées à travers les siècles est tel que nous voudrions absolument éviter toute communication ponctuelle, portant sur la spécificité d'une oeuvre en particulier. Nous aimerions au contraire des analyses dépassant un ou des cas particulier (tout en s'appuyant bien entendu sur des exemples précis), permettant de situer les différents types de silves par rapport aux théories littéraires, scientifiques ou artistiques en vigueur, aidant à mieux appréhender leur originalité, leur caractère libéré, leur lien avec la subjectivité auctoriale. 

 PROGRAMME

Mercredi 2 juillet 2008

9h00-9h15 : ouverture du colloque

La « silve » : définitions

9h15-9h45 : P. Galand-Hallyn (EPHE) : « Comment se repérer dans la silve ? »

9h45-10h15 : C. Lévy (Paris-Sorbonne) : « Le concept de silua dans la philosophie antique »

10h15-10h45 : E. Malaspina (Turin) : « La formation et l'usage du titre silua en latin classique »

10h45-11h15 : discussion – pause

11h15-11h45 : V. Leroux (Reims) : « Le ‘genre' de la silve dans les traités de poétique humanistes. I. »

11h45-12h15 : G. Vogt-Spira (Marburg/Villa Vigoni) : « Le ‘genre' de la silve dans les traités de poétique humanistes. II. »

12h15-12h30 : discussion

déjeuner

La silve dans l'histoire des sciences

14h30-15h00 : J.-M. Mandosio (E.P.H.E.) : « La poétique de la silve dans la littérature encyclopédique de l'Antiquité au XVIIIe siècle »

15h00-15h30 : Alexander Roose (Gand) : Les silves de Pedro Mexìa (1497-1551) »

15h30-16h00 : J. Céard (Paris X) : « La Silva silvarum de Francis Bacon (1561-1626) »

16h00-16h30 : discussion - pause

16h30-17h00 : F. Hallyn (Gand) : « Kepler (1571-1630) et l'écriture de la silve »

17h00-17h30 : F. De Bruyn (Ottawa) : « Silva and the Writing of Early Modern Science : The Literary Evolution of Miscellaneity »

17h30-18h00 : discussion

Jeudi 3 juillet 2008

La silve dans la littérature : I. Antiquité

9h00-9h30 :   F. Consolino (Université de l'Aquila) : « Sidoine et les Silvae »

9h30-10h00 : V. Zarini (Paris-Sorbonne) : « L'esthétique de la silve dans la poétique d'Ennode de Pavie (474/5-521)»

10h00-10h30 : B. Goldlust (Paris-Sorbonne) : « Nature et culture dans l'écriture silvaine de la latinité tardive »

10h30-11h00 : discussion – pause

La silve dans la littérature : II. Moyen Âge

11h00-11h30 : W. Verbaal (Gand) : « La notion de ‘silve' dans les poèmes de Walafrid Strabo (808-849) » 

11h30-12h00 : F. Mora (Versailles-Saint-Quentin) : « Sidoine Apollinaire et Benoît de Sainte-Maure (XIIe s.) : de la silve au dit ? »

12h00-12h30 : A. Lamy (IUFM de Créteil) : « La silve chez Bernard Silvestre »

12h30-12h45 : discussion

déjeuner

14h30-15h00 : F. Rouillé (Paris-Sorbonne) : « Le goût de l' ‘obscurité' dans l'épopée latine du XIIe siècle, un avatar médiéval de l'écriture de la silve? »

La silve dans la littérature. III : la Renaissance. A. La silve dans l'érudition humaniste

15h00-15h30 : D. Coppini (Florence) : « D. Calderini commentateur de Stace »

15h30-16h00:   G. Abbamonte (Naples) : «  La fortune exégétique de la Silva 2, 2 de Stace dans les commentaires de Leto à Parrhasius »

16h00-16h30 : discussion - pause

 16h30-17h00 : A. Maranini (Bologne) : « Silua est plena eruditionis et indiga interpretationis : quand l'interprète de la silve ne satisfait pas les oreilles des érudits »

17h00-17h30 : F. Gonzales Vega (Un. del Pais Vasco) : « Une forêt de mots savants : érudition et paraphrase de Josse Bade dans les Silvae morales (1492)»

17h30-17h45 : discussion

Vendredi 4 juillet 2008

La silve dans la littérature. III : la Renaissance. A. La silve dans l'érudition humaniste (suite)

9h00-9h30 : O. Pedeflous (Paris-Sorbonne) : « Les catalogues et l'esthétique de l'accumulation dans l'écriture épidictique de la silve »

La silve dans la littérature.  III : la Renaissance. B. Silve et genres poétiques

9h30-10h00 : H. Casanova-Robin (Grenoble III) : « La silve et le genre de la bucolique chez Pontano et ses successeurs »

10h00-10h30 : L. Scarparo (Paris-Sorbonne) : « La silve comme outil de construction de l'identité artistique, dynastique et territoriale à la Renaissance: l'exemple des Silves de Stace à Naples ».

10h30-11h00 : discussion – pause

11h00-11h30 : S. Provini (Paris VII) : « La silve entre epos et éloge pendant les premières guerres d'Italie »

11h30-12h00 : A. Laimé (Paris VIII) : « Ecriture du mélange dans le milieu néolatin poitevin du début du XVIe siècle : pénétration d'un genre d'écrire ‘silvain' dans l'ouest de la France ».

12h00-12h15 : discussion

La silve dans la littérature.  III : la Renaissance. B. Silve et genres poétiques (suite)

14h30-15h00 : S. Laigneau (Dijon) : « De l'épigramme à la silve : mutations et convergences »

15h00-15h30 : C. Pézeret (Paris-Sorbonne) : « La silve dans le milieu des épigrammatistes lyonnais, à partir des exemples de Dolet, Visagier et Ducher »

15h30-16h00 : discussion - pause

16h00-16h30 : G. Sauron (Paris-Sorbonne) : « La notion de silve dans la peinture antique »

16h30-17h00 : E. Séris (Paris-Sorbonne) : « La silve à la Renaissance, un modèle pour les peintres ? »

17h00-17h30: C. Deutsch (Paris-Sorbonne): «La Selva musicale comme compendium stylistique dans l'Italie du Seicento  »

17h30-17h45: discussion

 

samedi 5 juillet 2008

La silve dans la littérature.  III : la Renaissance. B. Silve et genres poétiques (suite)

9h00-9h30 : G. H. Tucker (Reading) : « La poétique du centon, une poétique de la silve ? »

9h30-10h00 : P. Ford (Cambridge, Clare College) : « G. Buchanan et le concept de la silve »

10h00-10h30 : J. Nassichuk (Western Ontario) « Silve et pamphlet pendant les guerres de religion »

10h30-11h00 : discussion – pause

La silve dans la littérature.  IV : XVIIe et XVIIIe siècles

11h00-11h30 : R. Cacho (Cambridge) : « Two Kinds of Nostalgia: Quevedo's ‘Silva a Roma antigua y moderna' and Du Bellay »

11h30-12h00 : H.-J. van Dam (Amsterdam) : « Théorie et pratique de la silve aux Pays-Bas (1530-1620) »

12h00-12h30 : W. Adam (Osnabrük) : « Les silves en prose comme prélude de l´essayistique allemande de Herder à Hans Christoph Buch »

12h30-12h45 : discussion

Clôture du colloque

 

Le colloque a été organisé avec le soutien des organismes suivants :

 

Centre d'Histoire des sciences, dir. F. Hallyn, Université de Gand

Groupe de Recherches CNRS 2837, « Culture latine de la Renaissance européenne », dir. P. Galand-Hallyn

Ecole pratique des Hautes Etudes, Section des Sciences historiques et philologiques à la Sorbonne

Equipe d'accueil 4081  « Rome et ses renaissances » (Université de Paris-Sorbonne), dir. G. Sauron

Ecole doctorale 1 de  l'Université de Paris-Sorbonne, « Mondes antiques et médiévaux », dir. O. Picard