Actualité
Appels à contributions

"La rue", Romantisme (2016, 1).

Publié le par Marie-Eve Thérenty

                                                                  « La rue »

                                     Projet de numéro de Romantisme (2016-1)

 

Alors même que les ouvrages sur la ville font nombre, la rue du XIXe siècle, à la fois comme espace matériel au cœur de la vie quotidienne des parisiens et des provinciaux, et comme espace imaginaire et symbolique au centre de la construction du politique, du social et du culturel, n’a pas jusqu’ici particulièrement mobilisé les historiens et les littéraires.

 

L’annuaire du commerce Didot-Bottin de Paris et de la Seine commence ainsi en 1911 la publication de la liste des rues de Paris : « En 1910, Paris comptait 2653 rues, 373 passages, 302 impasses, 155 cités, 155 places, 147 avenues, 104 villas, 86 boulevards, 72 cours, 55 portes, 45 quais, 31 ponts, 28 galeries, 28 ports, 10 ruelles, 8 faubourgs, 3 poternes, 2 chaussées, 1 bois (de Boulogne), 1 carré (des Champs-Elysées), 1 esplanade ». C’est dire que la rue se distingue précisément aux yeux des observateurs de l’époque de toutes les autres voies : espace aménagé, bordé d’immeubles, elle est définie par des critères de longueur, mais surtout de largeur et de bordure. Le XIXe siècle est d’ailleurs précisément le moment d’une mutation fondamentale de la rue jusqu’à son aspect contemporain avec toute une série de progrès concernant l’assainissement, le nettoyage, l’éclairage et la circulation. La rue est d’abord le domaine du piéton et du cheval (Paris vers 1900 compte encore plus de 80 000 chevaux en activité) mais l’apparition de l’omnibus, puis de l’automobile modifient l’usage de la rue, le rôle de la chaussée en sortant profondément modifié avec la disparition du pavé, l’abandon de la rigole centrale et le recul des étals qui avançaient sur la rue. L’histoire du trottoir est tout à fait significative, puisqu’à peine établi, cet espace diminue sous la pression des contraintes de la circulation moderne sur la chaussée. On sera donc attentif dans ce numéro de Romantisme  à une histoire des matérialités et des matières de la rue depuis la boue jusqu’au macadam en passant par le pavé.

Toutes ces modifications ne sont pas à considérer que pratiquement ou techniquement, elles révèlent, bien au-delà de la mutation parisienne organisée  par Haussmann sous le Second Empire, la volonté de maîtrise de l’espace public par un pouvoir régalien capable par exemple de s’attaquer au dogme de la propriété privée inaliénable grâce à l’expropriation. La loi d’expropriation pour cause d’intérêt public du 3 mai 1841, conçue au départ pour le chemin de fer, va être appliquée à l’aménagement urbain. La rue est donc un espace stratégique entre privé et public, entre contrôle central et initiative individuelle.

 

Mais la rue, c’est aussi et surtout un espace social, un lieu de rencontre et d’échanges, un lieu de travail aussi contre l’espace du loisir que représente le boulevard. Dans la rue circulent les petits métiers d’autrefois : les crieurs, les vitriers, les camelots, les cireurs, les vendeurs de billets de loterie, les saltimbanques mais aussi une société interlope composée des coupe-jarrets et des pickpockets. C’est aussi parfois le lieu où vit toute une société, depuis les mendiants jusqu’aux enfants-Gavroche qui aménagent cet espace à leur mesure.

Il faudrait tenter de restituer le fond sonore de la rue avec ses cris, et ses chansons, ses invectives et ses bravos. Car la rue, c’est l’espace de la chose vue, entendue, perçue (contre l’espace spectacularisé du boulevard). Il n’est pas étonnant que les illustrateurs y aient souvent puisé leur inspiration (voir Les rues de Paris de Traviès en 1841 ou Badauderies Parisiennes. Physiologies de la rue en 1896 d’Uzanne et Vallotton). Le flâneur, l’observateur de la modernité, y trouve sa pitance dans les détails de la quotidienneté. Baudelaire, mais aussi les surréalistes et Walter Benjamin feront de cette figure le socle d’une esthétisation du quotidien. Le journaliste du Second Empire fait aussi dans la rue des rencontres et des récoltes décisives. Significativement, Jules Vallès nomme en 1867 La Rue son journal qui prône une logique de reportage urbain contre la chronique. Les grands faits divers ont d’ailleurs souvent des noms de rue, rappelant que c’est dans le creux de la quotidienneté que peut naître le crime le plus monstrueux. Le petit reportage urbain a une longue postérité mal connue : il est abondamment pratiqué à la fin des années 1930 dans un journal comme Paris-Soir et la rue est encore un objet de fascination dans un hebdomadaire comme Détective à la même époque.

Beaucoup d’œuvres du XIXe siècle pourraient à l’instar du Dictionnaire de la langue verte d’Alfred Delvau, prétendre avoir été « pensées dans la rue et écrites sur une borne ». Non seulement une littérature de trottoir  – complaintes, vieux fonds grivois ou manifestes politiques – mais plus largement toute la littérature panoramique depuis Les Nuits de Paris de Restif de la Bretonne et le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier jusqu’à ses manifestations romantiques et réalistes, le roman-feuilleton urbain et plus tard dans l’entre-deux-guerres, les écrits de l’école de Francfort et certaines œuvres surréalistes (Aragon publie en 1926 Le Paysan de Paris, Philippe Soupault donne en 1928 Les Rues de Paris) trouvent leur inspiration dans la rue.

 

Enfin la rue, espace par excellence de la manifestation et de la barricade, est l’enjeu de luttes politiques. Il faudrait faire l’inventaire des formes et des manifestations de rue depuis les simples protestations impulsives jusqu’aux émeutes. L’idée que la démocratie spontanée serait plus juste que celle de l’urne a été défendue par certains théoriciens du politique et les gouvernements ont dû s’employer tout au long du siècle à restreindre au maximum les pouvoirs de la rue en légiférant. Ainsi la loi du 7 juin 1848 interdit tous les groupements non armés susceptibles de « troubler la tranquillité publique ». Certes il s’agit d’une loi d’exception mais pendant longtemps s’affrontent deux conceptions républicaines du rôle de la rue : entre ceux qui refusent toute légitimité aux formes de manifestation de la rue et les socialistes comme Vallès qui voient la rue comme porteuse d’une légitimité propre.

 

Sans exclusive, ce numéro de Romantisme souhaiterait traiter les sujets suivants :

- La matérialité de la rue en synchronie et en diachronie (assainissement, éclairage, partage des espaces dans les rues, matières de la rue…).

- La rue saisie par la peinture.

- La sociabilité et la socialité des rues : les petits métiers,  la vie dans la rue, les langages et les argots, la vie sonore, les rencontres…

- Les genres discursifs, médiatiques et littéraires liés à la rue : chose vue, petit reportage, physiologie, caricature, chanson…

- Le maintien d’une tradition physiologique depuis Mercier jusqu’aux surréalistes et l’Ecole de Francfort.

- Les noms de rues et aussi l’imaginaire des noms de rue tel qu’il est intégré dans les romans et aussi dans les titres de faits divers ou de romans.

- La spécificité des rues de province ou des rues étrangères par rapport aux rues parisiennes dans une perspective comparatiste

- La question de la rue politique, de sa théorisation, et de l’évolution des rapports de force tout au long du XIXe siècle

- La poétique et la poésie de la rue développée par certains écrivains (Vallès, Balzac, Laforgue, Soupault…)

 

Les propositions d’articles sont à envoyer avant le 30 mai 2015 à Marie-Ève Thérenty (marieeve.therenty@sfr.fr). Après une sélection (les numéros de Romantisme comprennent un nombre limité d’articles) qui aura lieu dans le courant du mois de juin, les articles retenus (30000 signes, espace et notes compris) seront à remettre avant la fin du mois de septembre 2015.

  • Responsable :
    Marie-Eve Thérenty