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La révolution française sur les planches aujourd'hui

La révolution française sur les planches aujourd'hui

Publié le par Ivanne Rialland (Source : Marianne Dubacq)

La révolution française sur les planches aujourd'hui  : réécriture, actualisation, projection, pratique scénique Autour de Notre terreur, mise en scène de Sylvain Creuzevault, collectif D'Ores et déjà

Longtemps considérée comme élément à charge de nombreuses querelles historiographiques cherchant à instruire a posteriori son procès, comme pierre d'achoppement des discours officiels politico-médiatiques de célébration d'un certain héritage révolutionnaire au sein des très sélectives politiques de la mémoire, la Terreur apparaît comme une sorte de point aveugle d'autant plus difficile à évoquer qu'elle est assez largement reléguée dans les « blessures de l'Histoire » : le plus souvent, on évite de la mentionner, au risque d'effriter l'édifice, en lui-même fragile, du consensus républicain et son pacte de silence. Cependant, on peut en trouver la trace, particulièrement vivace, au sein des cultures, imaginaires et représentations populaires qui s'en saisissent de façon tantôt désinvolte, tantôt iconoclaste, pour colporter l'idée d'un épisode particulièrement « sanguinaire » et « barbare » de luttes fratricides. Cet épisode traumatique est considéré comme conduit tambour battant par un homme, sacrifié sur l'autel de la paix sociale et constitué en véritable bouc émissaire d'un déni de mémoire, victime sacrificielle expiatoire d'un ordre civique instable et mal assuré de ses propres valeurs : Maximilien Robespierre, présenté comme la figure par excellence de l'extrémisme politique et le responsable en dernier ressort du pacte de sang signé sous la contrainte par le peuple français. Un tel réductionnisme (alimentant toutes sortes de thèses réactionnaires ou pour le moins conservatrices) concourt, dans un paradoxe qui n'est qu'apparent, à faire de ce moment critique pour l'État-Nation français une scène primitive, fondatrice de projections fantasmatiques multiples au sein d'une conscience collective malmenée pour les besoins d'une cause idéologique d'autant plus efficace qu'elle ne s'avoue jamais véritablement comme telle.

Représenter la Terreur avec les moyens de la création artistique contemporaine, en particulier d'un dispositif théâtralisé, apparaît donc d'emblée comme une gageure qu'ont hésité à relever même les dramaturges les plus audacieux et les metteurs en scène les plus innovants. D'abord, parce qu'on oppose souvent terreur et représentation, dès lors qu'elle s'exprime en-dehors de son champ habituel d'expression[1], à savoir l'ostentation dans l'exemplarité du châtiment pratiqué par le pouvoir officiel, qu'il soit religieux ou politique, despotique ou totalitaire. Ensuite, parce qu'on considère la Révolution française comme irreprésentable, parasitée par les célébrations successives dont elle a fait l'objet et l'imaginaire politique qui en a fossilisé la perception à travers des stéréotypes tenaces allant de la grandiloquence héroïque de certaines illustrations romanesques et cinématographiques à la fraternité humaniste lénifiante de certaines adaptations télévisées[2]. Il est en effet plus aisé d'en amplifier la légende que d'en déconstruire le mythe ou plus encore, d'en proposer une lecture réellement actualisante pour notre temps. Enfin, et peut être surtout, parce que toute manifestation artistique de la Terreur relève d'une esthétique de la sidération, voire d'une scénographie de l'effroi dont la guillotine est demeuré l'emblème[3] : elle implique, de la part du spectateur, des modes de créance et de participation qui transcendent les logiques habituels de l'identification et déplacent les mécanismes usuels de la catharsis. Plaisir trouble et émotion partagée au spectacle de la violence pure constituent les fondements d'une politique des affects dont le théâtre peut, par son ambigüité constitutive, à la fois être un révélateur et un vecteur.

Par conséquent, rares sont, à ce jour, les spectacles qui ont eu l'audace de s'emparer de l'épisode de la Terreur[4], fondant Jean-Pierre Vincent à parler à ce titre d'un « oubli tragique de la Révolution »[5], en dépit de l'abondance relative des initiatives artistiques librement inspirées par la Révolution française de façon plus générale. Le mérite de la compagnie D'Ores et déjà et de Sylvain Creuzevault n'en sont que plus grands avec la proposition artistique Notre Terreur, créée au Théâtre de la Colline en septembre 2009, en tournée en France depuis lors. Le spectacle présente d'emblée le double intérêt de nous donner à voir et à entendre les délibérations du Comité de Salut public, mais aussi de construire, pendant le temps de la représentation, à partir d'improvisations partielles, un dispositif à la fois spectaculaire et spéculaire propice à l'implication émotionnelle et cognitive directe du public dans un théâtre délibératif, oscillant entre saisissement et distanciation. Un tel théâtre n'est pas là pour le restaurer le consensus historique lézardé au moyen d'un humanisme dissolvant, à l'instar des « héros des industries du rêve », mais pour ressusciter la polyphonie de l'événement historique, l'agencement collectif d'énonciations contradictoires et conflictuelles, dans une démarche non plus d'illusion rétrospective mais d'expérimentation prospective : « Notre terreur, ce n'est pas la Terreur, ce sont nos voix discordantes et violentes, si belles qu'on ne peut les voir sans rougir, étouffées qui appellent et qui meurent sans qu'on les aient écoutées. Notre terreur n'est pas de soigner un ulcère, c'est de l'ouvrir »[6].

Aujourd'hui, où le mot de « terrorisme » est plus que tout autre et plus que jamais galvaudé, surinvesti par l'imaginaire collectif et le discours idéologique dominant, servant parfois à alimenter les peurs de l'autre les plus profondément ancrées, la dénégation du politique dans sa forme la plus populaire et potentiellement radicale, et permettent surtout de justifier, au sein des démocraties de marché modernes et de leurs sociétés de contrôle, une forme de coercition invisible mais particulièrement efficace sur les consciences (soft power), un tel questionnement n'est peut-être pas tout à fait inactuel…

C'est en tout cas ce qui motive notre projet et le choix des pistes que nous voudrions suivre et proposer au débat public à l'occasion de cette journée d'études, mêlant lectures, projections, interventions, conférences, tables rondes, débats… C'est le premier jalon d'un ensemble d'événements scientifiques et artistiques autour de la question des mythologies révolutionnaires contemporaines, associant les différents pôles universitaires grenoblois, la MC2 et le Musée de la Révolution française à Vizille[7].

 

Prière de faire parvenir vos propositions de contribution à Martial Poirson (martial.poirson@yahoo.fr et umrlire@u-grenoble3.fr) et Emmanuel Lefloch (emmanuel.lefloch@mc2grenoble.fr) avant le 15 janvier 2011.


[1] Pierre Glaudes (dir.), Terreur et représentation, Grenoble, Ellug, 1996.

[2] Jean-Claude Bonnet et Philippe Roger (dir.), La légende de la Révolution au XXe siècle, Paris, Flammarion, 1988 ; Martial Poirson et Laurence Schifano (dir.), L'Écran des Lumières : représentations cinématographiques du XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2009 et des mêmes auteurs Filmer le dix huitième siècle, Paris, Desjonquères, 2009.

[3] Daniel Arasse, La Guillotine et l'imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, « Champs », 1993.

[4] À quelques notables exceptions près, telles que la mise en scène de La Mort de Danton par Jean Vilar en 1950 en Avignon ; Marat/Sade de Peter Weiss à Berlin en 1964 ; Les libertins par Roger Planchon en 1968 au TNP de Villeurbanne ; 1789 (créé en 1970) et 1793 (créé en 1972) par Ariane Mnouchkine ; Maximilien Robespierre par Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil en 1978… Sans parler du dytique à grand spectacle de Robert Hossein et Alain Decaux avec Danton et Robespierre suivi de La Liberté ou la mort.

[5] Jean-Pierre Vincent, propos cités par Pierre Frantz dans « De Romain Rolland à Ariane Mnouchkine : une scène pour la Révolution », in La Légendede la Révolution au XXe siècle, op. cit. p. 18.

[6] Sylvain Creuzevault, note d'intention de mise en scène, dossier du spectacle diffusé par le théâtre de la Colline, p. 12.

[7] Exposition, colloque et projections de films organisés par Alain Chevalier et Martial Poirson au Musée de la Révolution française à Vizille en 2012-2013 autour du thème : « Révolution française et cultures populaires dans le monde : mythologies contemporaines ».