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La reconnaissance

La reconnaissance

Publié le par Alexandre Gefen

La Reconnaissance ("Rhétoriques des Arts, XIV")

Et si l'art avait essentiellement à voir avec la reconnaissance. S'il était par excellence le lieu où se poserait la question de la reconnaissance. On y reconnaît des objets, des idées; on s'y reconnaît, parfois. Il (s')explore en éclaireur. Il est reconnu—ou pas. Il peut même appeler ou susciter la gratitude. Autant de perspectives diverses mais liées.

D'emblée, l'oeuvre d'art appelle à connaître ou reconnaître ce qui s'y présente ou représente: objet, scène, personnage, fonction, idée, histoire (cf. Poétique 48b). Mais qu'est-ce que reconnaître un personnage représenté dans un portrait ou un roman? Comment et dans quel but la reconnaissance—d'un style, d'une allusion, d'une mélodie—est-elle mise en oeuvre, manipulée ou empêchée par l'art? Quelles en sont les marques? Comment l'oeuvre se fonde-t-elle sur le phénomène de reconnaissance—sur son échec ou son incertitude? Questions de ressemblance et de dissemblance—du même et de l'autre—, de résistance à la reconnaissance, souvent. Questions d'épistémologie autant que d'esthétique. Questions de (re)connaissance de soi tout aussi bien, car une oeuvre, je m'y (re)connais, parfois. D'où des parcours différents, des définitions autres, de la (re)connaissance.

Que l'oeuvre ménage, suggère ou complique les trajectoires de la reconnaissance (de soi) joue sur le caractère aventureux de l'art pour l'artiste et le spectateur. Partir en reconnaissance, c'est la démarche exploratoire de l'artiste. C'est aussi l'aventure du spectateur. Esquisser, prendre des notes, parcourir du pinceau la toile. "Détailler" du regard un paysage de Patinir, parcourir physiquement une architecture, feuilleter un livre, un index, identifier des références, décoder une figure, se repérér et se déplacer dans un espace, un temps inédits. Découverte progressive guidée ou freinée par une structure complexe. Exploration de la forme et de ce qu'elle abrite, révèle ou masque. Autant de traversées dont les conditions méritent l'analyse. Jeu du don et de la réticence, du voilement et du dévoilement, définissant l'accès à l'oeuvre, semblent constituer la tension et l'enjeu de ce mode de reconnaissance—pour l'artiste et pour le spectateur—fût-il individuel ou collectif.

Ces traversées aventureuses sont souvent la voie d'accès à la reconnaissance. Reconnaissance de l'oeuvre comme telle, quand l'artiste juge que le projet est achevé ou exposable (mais comment reconnaît-on comme oeuvre l'oeuvre inachevée?). Reconnaissance de l'artiste ou de l'art comme tels (comment et par qui?). La reconnaissance, souvent sociale dans ce sens, a donc aussi trait à l'identification et/ou à la distinction du chef-d'oeuvre, et ses mécanismes sont liés aux questions de définition de l'art: comment reconnaître l'art comme art avant/afin de le percevoir comme tel? comment les formes artistiques nouvelles accèdent-elles à la reconnaissance? Problèmes de réception et de définition qui peuvent se trouver éclairés par une théorie de la reconnaissance.

Mais reconnaître une oeuvre, c'est sans doute aussi reconnaître une dette envers elle. La reconnaissance, comme gratitude, touche à la dimension éthique (et parfois religieuse) de l'art et de l'expérience esthétique. On interrogera la réciprocité—l'art par l'homme et pour l'homme, parfois pour Dieu, à la fois manifeste et appelle la reconnaissance—, mais aussi la phénoménologie de la relation à l'oeuvre et de ce qui s'y produit—ou de ce qui par elle se produit—pour le spectateur. Ainsi, sur le mode sensible, que veut dire pleurer devant une oeuvre d'art, sinon reconnaître une dette à l'oeuvre? Reconnaître, comme malgré soi, que l'oeuvre a touché un point sensible. Mais qu'est-ce que ce "reconnaître comme malgré soi"—sur le mode de la concession? Quelle est cette relation singulière, sensible ou intellectuelle, à un objet sans vie? Et puis, comment le rapport à l'oeuvre se trouve-t-il tout intriqué de cet appel/réponse à la reconnaissance? Gratitude du spectateur à l'égard d'une oeuvre (est-ce cela qui fait reconnaître une oeuvre? La gratitude collective fait-elle le chef-d'oeuvre?). Mais aussi, peut-être, gratitude inscrite dans l'oeuvre à destination du spectateur—on tentera d'en explorer les modes et les effets possibles...

Un seul et même mot, donc, à reconnaître dans toute la diversité de ses sens et de leurs interrelations, car la reconnaissance semble innerver la notion même (d'oeuvre) d'art. Travaillant d'abord dans la perspective d'une réflexion interdisciplinaire sur la notion et sur sa pertinence dans le champ des arts—ce qui n'exclura pas des objets ayant la reconnaissance pour thème (Ulysse à Ithaque, par exemple)—, on s'efforcera de croiser au moins deux sens du mot "reconnaissance", qu'ils soient appliqués à la création, à la réception, au fonctionnement et/ou à l'expérience esthétique de l'oeuvre d'art.

PROGRAMME

Le colloque a lieu dans la Salle du Conseil de l'UFR de Lettres

Jeudi 2 décembre

Après-midi (Présidente: Marie-Dominique Popelard)

15h15: Marie-Noëlle MOYAL (Université de Pau)
"La reconnaissance en musique acousmatique"
16h00: Ion VEZEANU (Université Grenoble 2)
"Reconnaître pour connaître. Une épistémologie de la reconnaissance au service des modes d'expression artistiques"
16h45: Pause
17h00: Isabelle ALZIEU (Université Toulouse 2)
"Le geste architectural: signe et acte de reconnaissance"
17h45: Richard CONTE (Université Paris 1)
"Bille en tête, ou faire l'artiste parmi les joueurs de boules"

19h00: Cocktail offert par M. le Directeur de l'UFR des Lettres et Sciences Humaines

Vendredi 3 décembre

Matin (Président: Bernard Vouilloux)

8h30: Marie-Pierre Gaviano (Université de Franche-Comté)
"Ne pas reconnaître"
9h15: Michel Costantini (Université Paris 8)
"Un détachement en reconnaissance: la pratique sémiotique"
10h00: Pause
10h15: Dominique CLÉVENOT (Université Toulouse 2)
"The Passions, de Bill Viola: image et empathie"
11h00: Marie-Dominique Popelard (Université Paris 3)
"La reconnaissance comme processus esthétique"

Après-midi (Président: Bernard LAFARGUE)

14h00: Ronald Shusterman (Université Bordeaux 3)
"'En signe de reconnaissance: identification et réciprocité dans l'art"
14h45: Jacques ENGLISH (Université Rennes 1)
"Qu'est-ce qui doit, qu'est-ce qui peut être 'reconnu' dans une oeuvre d'art? Sur une note de Husserl à propos des apparitions et des appréhensions"
15h30: Pause
15h45: Bernard Vouilloux (Université Bordeaux 3)
"Reconnaissance: de la chose à la figure"
16h30: Isabelle THOMAS-FOGIEL (Université Paris 1)
"Connaissance, reconnaissance et savoir"

Samedi 4 décembre

Matin (Présidente: Suzanne LIANDRAT-GUIGUES)

9h00: Bertrand Rougé (Université de Pau)
"Le souci de l'oeuvre"
9h45: Bruno-Nassim ABOUDRAR (Université Paris 3)
"Emmaüs et le problème de la reconnaissance en peinture"
10h30: Pause
10h45: Filippo FIMIANI (Université de Salerne)
"Corps, taches, pastiches. Sur une reconnaissance intermédiatique"

Après-midi (Président: Jean-Louis LEUTRAT)

14h00: Raymond COURT (Université Lyon 3)
"Voix et reconnaissance de l'autre selon Rousseau, ou le pouvoir de la musique"
14h45: Bernard LAFARGUE (Université Bordeaux 3)
"La reconnaissance du coeur"
15h30: Pause
15h45: Jean-Pierre COMETTI (Université de Provence)
"C'est la Joconde! Expressions de la reconnaissance (sur le portrait)"
16h30: Débat