Revue
Nouvelle parution
La Prose du Monde n°1 - 2009

La Prose du Monde n°1 - 2009

Publié le par Marielle Macé (Source : Béatrice JONGY)

La Prose du monde  - Société Littérature Philosophie

 n°1,  2009. 10 €

Parution du 1er numéro de La Prose du monde : le monde contemporain vu par des universitaires du domaine Lettres et Philosophie (faits de société, représentations culturelles, politique, éthique, etc.), à destination du grand public.

Extraits en ligne

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Edito :

Il se trouve que par un heureux hasard, cet éditorial a été rédigé le 23 janvier 2009, jour où le quotidien Libération a publié « l'appel des appels », texte dans lequel des médecins, des magistrats, des enseignants et des chercheurs manifestent leur refus d'une idéologie de plus en plus visible dans les actions du gouvernement français, l'idéologie dite de « l'homme économique ». Cette idéologie, qui ne se donne jamais comme telle mais comme une simple émanation du bon sens – donc incontestable, sauf des insensés – consiste essentiellement à réduire l'humain à une entité économique soumise aux lois naturelles du marché ou, en d'autres termes, à étendre à la société entière, c'est-à-dire à toutes les structures qui la forment, la métaphore glorieuse de l'entreprise. Hormis quelques amateurs du radicalisme intellectuel – il en restera toujours – il va de soi que personne ne se reconnaîtra jamais explicitement le héraut d'une telle idéologie, si aisément détestable. Il y aura des nuances, un savant dosage du rôle de l'état, une mise en valeur d'autres aspects de l'humain, irréductibles à sa dimension économique. Autrement dit, la dénonciation d'une « idéologie de l'homme économique » n'est rien d'autre que la dénonciation d'un artefact, d'une idée trop simple pour être sérieuse et suffisamment large pour que s'y cristallisent toutes sortes de frustrations, de malaises et de malheurs.
Pourtant, il faut bien reconnaître que la simplicité est une vertu de la parole publique, dont chacun sait bien qu'elle est foncièrement réfractaire à toute forme de complexité. La parole publique est simple ou elle n'est pas, c'est-à-dire pas audible et pas entendue – ce qui est d'ailleurs une excellente raison d'y renoncer à jamais. Cependant, la chose publique existe, et le silence des uns ne risque guère d'améliorer le simplisme des autres. Il faut donc bien admettre que ce simplisme est nécessaire, bien qu'il soit parfois lourd à porter par ceux qui ont conscience du renoncement intellectuel auquel il doit son existence. J'imagine qu'aucun des signataires de « l'appel des appels » n'aurait souhaité en être arrivé là, c'est-à-dire d'avoir eu à rappeler un jour que l'homme n'est pas seulement un « homme économique ». Mais nous en sommes arrivés là, et il est devenu difficile de l'ignorer. Bien sûr, personne ne sait aujourd'hui ce que deviendra cette initiative, par quels actes, par quels changements elle se prolongera. Nous aurons au moins gardé trace ici de cet appel. Et si celui qui lit ces lignes en sait plus que celui qui les écrit au sujet de ses conséquences, il reste une chose à peu près sûre, c'est que l'homme économique, à supposer qu'il existe, n'est pas de ceux qui savent entendre la prose du monde. La prose du monde, en hommage à Maurice Merleau-Ponty et à Michel Foucault, deux grands hommes, pas économiques pour un sou.

Philippe Monneret