Questions de société

"La princesse de Clèves, un an après." Par Christine Baron

Publié le par Bérenger Boulay

« La princesse de Clèves » un an après...

Par Christine Baron, maître de conférences en littérature, Université de Paris III


L'année 2009 a été traversée d'un vaste mouvement de protestation contre a LRU, ou loi d'autonomie des universités, votée en 2008 mais dont les décrets d'application parus un an plus tard ont soulevé la colère des étudiants et des enseignants-chercheurs.  Entre grèves, manifestations et blocages, la communauté universitaire a massivement rejeté une réforme préjudiciable non seulement au statut des personnels mais aussi aux conditions de travail des étudiants.
Que reste-t-il aujourd'hui de 14 semaines de grèves, de luttes de protestations inentendues ? Rappelons brièvement les trois points litigieux ;


1. La modification du statut des enseignants chercheurs avec déplafonnement de leurs horaires (actuellement de 192 heures/année) fondé sur une évaluation de la recherche dont les critères purement quantitatifs sont eux-mêmes très sujets à caution. Sur cet aspect de la réforme un chapitre de l'excellent ouvrage de Maya Beauvallet Les stratégies absurdes (Seuil, 2009) fait un point sans appel…
2. L'instauration d'un contrat doctoral pour les étudiants en thèse qui assurent quelques heures à la fac et sont rémunérés pour pouvoir mener à bien leur recherche. Ce contrat n'offre aucune garantie et augmente la précarité des jeunes chercheurs (contrairement aux précédents contrats d'ATER, AM et AMN)
3. La réforme des concours de recrutement de professeurs du second degré ou CAPES ; les masters professionnels feront office de pré-recrutement et les candidats devront passer à l'issue de la première année du master (correspondant à l'ancienne maîtrise, soit bac + 4) une épreuve professionnelle jaugeant leur connaissance du système éducatif et leur leur capacité à être « des fonctionnaires éthiques et responsables » (?!).  Pour ce qui concerne l'agrégation, si dans sa forme actuelle, le concours ne semble pas visé, en revanche, il ne pourra être présenté qu'à bac + 5, avec un master 2 en poche, ce qui allonge dans tous les cas la scolarité d'une année supplémentaire (bac + 5 pour le CAPES, bac + 6 pour l'Agrégation).
Au premier semestre de l'année civile 2009, plus de 40 universités étaient en grève et/ou bloquées, car la LRU avec ses conséquences (précarisation des personnels enseignants, démantèlement de leur statut,  mastérisation des concours) a été rejetée en bloc par étudiants, enseignants et BIATOS.

Que signifie, dans son détail cette réforme?


A. DES MODULATIONS DE SERVICE : La destruction de toute référence à un « statut » des enseignants chercheurs.

Le plafonnement du nombre d'heures à assurer devant les étudiants correspond à une réalité : celle du partage des postes entre enseignement et recherche. Le salaire modeste des personnels d'enseignement du supérieur (qui exercent, rappelons-le, avec un niveau d'études équivalent à bac + 8 au minimum pour les maitres de conférences qui démarrent à 1764 euros nets )a toujours eu une contrepartie : la libre organisation de leur temps de travail.
Le fait de remettre en cause ce qui n'est nullement un « privilège », mais une situation qui leur permet d'assumer correctement leurs tâches contribue à ancrer dans l'esprit du public qu'un « mauvais » chercheur peu publiant doit faire plus d'heures face à ses groupes. C'est à la fois mépriser les étudiants et entretenir un soupçon déplorable sur la « fainéantise » des enseignants -chercheurs. L'inutilité supposée du temps passé à la réflexion et à la recherche est par ailleurs un argument populiste habituel bien propre à entretenir une basse flatterie envers un électorat hostile à tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un enseignant. Un « air du temps » qui ne peut que provoquer l'inquiétude…

Quelques préjugés à abattre au passage :

Les enseignants-chercheurs ne sont pas évalués. FAUX. Il existe sans doute peu de professions où l'on soit plus constamment évalué que celle-ci. Le CNU, instance disciplinaire qui réunit des membres élus de la profession statue sur la recevabilité des dossiers pour un poste, l'avancement des carrières,  l'attribution de congés de recherche. Tous les quatre ans, un enseignant chercheur qui demande un poste ou une mutation présente son dossier discuté en toute impartialité, et déclaré « recevable » ou non… sans parler de cette évaluation « silencieuse » ou invisible que constitue le regard des étudiants et des acteurs de la profession réunis dans des colloques internationaux et qui jaugent, au vu des interventions, la pertinence de telle ou telle recherche et la qualité du travail de tel collègue.

Les enseignants-chercheurs sont privilégiés. FAUX. Si l'on estime qu'une fin de carrière, pour un professeur des universités qui a bac + 20 (et doit après sa thèse présenter une HDR sur travaux, ouvrages et articles)  à environ 4000 euros mensuels bruts (plus les primes) est un grand privilège, comparons avec une carrière de trader ou de footballeur. Au fait, ceux qui ont plongé les USA et l'Europe dans la crise financière que nous connaissons actuellement sont-ils menacés d'être « évalués » pour éviter de retomber dans les mêmes erreurs ?

Les enseignants-chercheurs travaillent peu. FAUX. Si le « travail » se résumait à la présence devant les étudiants, les six ou huit heures hebdomadaires de TD seraient une véritable sinécure. A cela ajoutons la recherche normale, en laboratoire pour les scientifiques, en bibliothèque pour les spécialistes de sciences humaines et les colloques et manifestations scientifiques. Les publications dans des revues spécialisées supposent une mise à jour constante de ses connaissances et rares sont les enseignants-chercheurs qui peuvent, aujourd'hui, se vanter d'avoir fini leur journée en claquant la porte de leur salle de cours, de labo, ou en emportant en week-end les centaines de copies de partiels de leurs étudiants. A cela il faut encore adjoindre les tâches administratives ; mal reconnues dans la carrière, sous-évaluées, elles son terriblement chronophages en une période de réduction des personnels des bureaux, car la réforme contraint les universités à des économies budgétaires qui alourdissent  le travail des maîtres de conférences et professeurs. Siéger dans les conseils, dans les instances démocratiques de la fac, dans des jurys, lire des mémoires ou des thèses, recevoir les étudiants, organiser les échanges et partenariats avec les universités étrangères est, en soi, un travail à temps complet. Un calcul rapide, fondé sur des groupes moyens d'étudiants en TD conduit au résultat suivant:

192 heures /années: temps de présence et de cours devant les groupes. Disons pour avoir un chiffre rond 200, ce qui correspond à la réalité, dans la plupart des facs en sur-effectif où les heures supplémentaires sont nécessaires pour boucler un service.
Ces cours nécessitent une préparation. Le temps qui y est consacré est au minimum équivalent à celui passé devant les étudiants.  Il est très supérieur quand il s'agit de préparer à un concours exigeant comme l'agrégation.  Disons, pour faire bonne mesure, entre un cours « rôdé » et un cours nouveau que 300 heures sont un chiffre moyen, plutôt au-dessous de la réalité, d'ailleurs.  Les corrections de partiels, les dossiers de longueur variable en master (de 20 à 50 pages), les mémoires de master (100 pages environ chacun) supposent pour un maître de conférences qui aurait quatre groupes de licence en année 1, 2 et 3 d'une heure trente chacun environ 250 copies par semestre, soient 500 copies par an, plus les travaux de recherche des étudiants et les mémoires, ce qui double cette somme. Sachant qu'il faut en moyenne une heure pour corriger trois travaux (toutes catégories confondues, de la copie de licence de 5 pages au dossier de master de 20 pages), nous arrivons à 330 heures environ (disons 300, hypothèse très basse).


Il faut en outre siéger dans les jurys, les conseils de l'université, participer  à des réunions, assumer des tâches administratives de suivi pédagogique, assurer des surveillances, recevoir les étudiants,  communiquer avec eux par mail, établir des partenariats avec les universités étrangères pour ce qui concerne la pédagogie et l'administration. Cela représente 100 à 200 heures suivant les cas. Prenons cette fois l'hypothèse haute de 200 heures pour un enseignant qui siège dans de nombreuses instances et s'implique dans la vie de son établissement. Soient, présence effective, préparation, copies + tâches administratives et pédagogiques = 200 + 300 + 300 + 200 = 1000 heures. Reste le temps consacré à la recherche qui représente  un chiffre équivalent. Travaux en laboratoire, bibliothèque, organisation de colloques, rencontres internationales, concertation avec les autres partenaires de recherche CNRS et organismes agréés pour optimiser les résultats, publication de travaux personnels, articles et ouvrages = 1000 heures de travail.
Nous atteignons annuellement 1000+1000 divisé par 48 semaines de travail (ce qui correspond aux 5 semaines de congés, soit la situation interprofessionnelle la plus courante dans tous les métiers). Le total est de 41, 6666 heures hebdomadaires pour un enseignant-chercheur maître de conférences titulaire en université ce qui est le  standard de la profession, et ce en comptant 5 semaines de congés et non les « 4 mois dans l'année à ne rien faire » qui sont régulièrement jetés au visage des collègues par ceux qui travaillent dans d'autres branches.

Cela se passe de commentaire, dans un contexte où les 35 heures hedomadaires sont encore (mais pour combien de temps?) la référence légale.

Les enseignants chercheurs sont corporatistes. Peut-être VRAI, si l'on considère le corporatisme comme la fierté d'exercer un travail intéressant, utile à la société car il forme des jeunes, et intellectuellement porteur.  Car ce n'est certes pas le critère économique qui conduit un jeune à s'orienter vers une carrière universitaire (voir supra les rémunérations), mais bien souvent les compensations sont d'un ordre qui reste incompréhensibles à ceux pour qui l'argent est la mesure de tout.
Après ce rapide tour d'horizon des idées reçues, revenons aux conséquences de la réforme.


B. LES DANGERS DE L' « AUTONOMIE » FINANCIERE:


Malgré les annonces tonitruantes de Madame Pécresse sur cette « extraordinaire opportunité » qui constitue pour les universités leur mise en concurrence, personne ne s'y trompe, même les présidents qui ont été les grands bénéficiaires de la réforme en voyant leurs pouvoirs étendus. Il y aura un alourdissement mécanique des charges financières des établissements d'enseignement supérieur non compensé par les dotations du ministère.


En effet, on peut émettre des doutes quant à la réalité de cet investissement « sans précédent » qu'aurait réalisé l'Etat en dotant les facs de moyens nouveaux en même temps qu'il leur accordait l'autonomie. En effet, ces quelques 6 milliards d'euros (dont une partie n'était que « rattrapage » de sommes dues) ont été assortis d'un transfert de charges de l'Etat vers l'université. Des très nombreux postes budgétaires ayant été déplacés, cette « augmentation » se solde en réalité par un trou dans la caisse des facs qu'il sera difficile de combler autrement que par des licenciements massifs pour diminuer ces frais de fonctionnement. Cela aura à terme plusieurs effets ;


 -Une compression des postes dit de BIATOS ou personnels administratifs des universités ; ces services divers sans lesquels une fac ne peut fonctionner (secrétariats de composantes, accueil, appariteurs, techniciens, personnels affectés à l'entretien des locaux, etc…) vont fondre comme neige au soleil. Les tâches retomberont de plus en plus sur les enseignants qui ne sont ni formés ni rémunérés pour les assumer. Une pancarte brandie lors des manifestations de l'an dernier a bien fait rire la plupart des acteurs de ces manifestations et des journalistes présents. Il s'agissait d'une parodie de la série des « Martine » représentant une couverture où figurait la petite fille sage à quatre pattes, serpillière en mains s'acquittant de tâches ménagères avec pour légende « Martine  à bac +8 »… cela se passe de commentaires.


-Autre conséquence prévisible : l'augmentation des frais d'inscription dans des proportions sans commune mesure avec ce qui est en vigueur actuellement. Un étudiant s'inscrit en moyenne pour 300 euros par an, et doit verser en outre des droits d'accès à la sécurité sociale étudiante pour une somme équivalente. Ce budget est déjà considérable actuellement pour une famille modeste, sans compter le problème du logement, quasi-insoluble à Paris et en région parisienne, qui contraint les étudiants à un éloignement de la fac et à des trajets quotidiens épuisants. La réalité de la pauvreté étudiante n'est approchée que par des coups de poing médiatiques comme Mes chères études où une étudiante avoue se prostituer pour financer son diplôme. Au quotidien, ce qui sévit est plutôt la malnutrition des jeunes, leur plus grande exposition à la maladie, une difficulté d'accès aux soins, et surtout une difficulté à concilier travail rémunéré et cursus universitaire, ce qui conduit à des redoublements ou suppressions de bourses. La spirale de la pauvreté ne fera que s'aggraver avec un allongement du temps de la scolarité pour ceux qui veulent présenter les concours d'enseignement (voir infra sur les masters).


-Des inégalités croissantes entre « grandes » universités et universités de taille plus modeste mais qui contribuent à la cohésion d'un tissu régional. Les dotations étant fonction de la taille des centres de recherche et de leur classement – prenant en compte les publications de ceux qui y exercent –  l'attractivité des « grandes parisiennes » va se renforcer. Le « modèle américain » des universités n'a de sens qu'à échelle comparable, sur les plans géographique et financier. Rappelons d'ailleurs au passage pour faire un sort à ce fascinant modèle que la fac sur capitaux privés a montré ses limites dans la crise que nous traversons, de la fac de Tel Aviv en faillite à une grande université américaine qui licencie en 2009 d'un seul coup 600 enseignants chercheurs, étant dans l'incapacité de les … rémunérer.


A cette inégalité, ajoutons celle, délibérée, sciemment organisée, qui va se creuser inévitablement entre les facs de sciences humaines et les autres.Cette réforme a été faite en se calant sur le modèle des scientifiques et POUR les universités de sciences. En effet, il leur sera plus aisé de trouver des financements extérieurs pour la recherche (industries, grands laboratoires pharmaceutiques). Simplement qu'en sera-t-il réellement de leur « autonomie »... pourront elles dans ce contexte faire valoir une découverte qui irait contre l'intérêt de leurs sponsors? Il s'agit là d'un problème de fond...Dans ce contexte, a recherche en sciences humaines, déjà mal reconnue, risque  alors de sombrer purement et simplement. Le président de la République n'a t-il pas affirmé récemment que le contribuable n'avait pas à payer les études de ceux qui souhaitent étudier le grec ancien ou l'archéologie? On ne saurait mieux dire que l'université n'est plus considérée comme un lieu de transmission des savoirs fondamentaux mais comme un outil social destiné à fabriquer de bons rouages et à s'adapter aux métiers existants . On parle d' « insertion » et de professionnalisation », mais dans un monde mouvant et complexe, peut-on à l'université adapter les postes strictement aux besoins du marché? N'est-ce pas une pure folie?


On peut raisonner autrement. Si un diplôme de sociologie ou d'histoire (hors l'enseignement) ne conduit pas « directement »  à un métier, il dispense cependant une formation intellectuelle de qualité qui, par son exigence, rend l'étudiant intellectuellement adaptable à d'autres fonctions. Qui peut le plus peut le moins... Mais les facs de sciences humaines sont entachées d'une tare indélébile: elles ont été les premières à monter au créneau dans le mouvement anti-LRU. Ces facs fabricatrices de dangereux gauchistes et de gens qui « pensent » indépendamment de tout objectif strictement professionnel sont sans doute bien l'ennemi à abattre. Une proposition fantaisiste d'un député UMP formulée en 2009 n'a -t-elle pas consisté à dire que dans les CA des universités on devait mettre des représentants des entreprises et de la classe politique pour infléchir des politiques universitaires  et éviter que les facs ne soient idéologiquement noyautées par des élus défavorables au pouvoir en place? Est-ce CELA, l'autonomie?
Redisons-le! La seule logique de cette réforme est une logique comptable, et tous les discours enjoués sur l'avenir radieux des universités n'effaceront pas le fait que l'autonomie condamne la plupart d'entre elles à la pauvreté.


-Enfin, dernière conséquence financière : un renforcement des hiérarchies dans les universités et un frein à l'expression démocratique et une aggravation du localisme
La réforme accroît le pouvoir des présidents d'université. La fac fondée sur les structures démocratiques des divers conseils connaîtra un fonctionnement de plus en plus pyramidal. Les effets de ce resserrement se font déjà sentir. Le président d'université décisionnaire dans les recrutements peut casser le classement d'un comité de sélection. Alors qu'il y a une dizaine d'années le CNU statuait APRES recrutement d'un collègue sur la recevabilité du classement proposé par l'université contournant ainsi tout tripatouillage local, aujourd'hui, tout est possible, surtout le pire (ça me rappelle quelque chose…)
Un comité de sélection en littérature française ayant vu récemment sa décision bafouée dans une université de l'Est et le classement refait au profit d'une candidature locale désirée par la présidence a démissionné en bloc, manifestant ainsi sa désapprobation d'une politique sans aucun frein centralisateur qui rend nulles les décisions impartiales des « membres extérieurs » des comités de sélection. Il est paradoxal dans ces conditions de parler d' « optimisation » des ressources humaines de l'université et de noter que l' « autonomie » sera forcément un gage de qualité. Certes, les facs qui recrutent ainsi n'ont que ce qu'elles méritent… mais les étudiants aussi, hélas.

C. MASTERISATION: une déqualification des futurs enseignants du secondaire


La mastérisation des concours est présentée comme la panacée universelle en matière de recrutement des enseignants du secondaire. Or, les masters professionnels seront variables suivant l'université qui les aura délivrés. Le master constituant le premier niveau de la recherche, le fait de le « professionnaliser » sans former de futurs chercheurs n'a pas beaucoup de sens… sans parler du fait qu'on supprime du même coup un concours national.


Le CAPES condamné par l'actuelle réforme n'est certes pas la panacée, mais il est un concours anonyme, ouvert à tous ceux qui ont obtenu une licence, relativement sélectif, avec un programme exigeant et pluridisciplinaire et surtout son niveau de référence est le même pour les jeunes recrutés en France qui se destinent à l'enseignement ; ils composent sur un sujet identique, sont évalués anonymement par un jury composé d'enseignants du supérieur, du secondaire et d'inspecteurs généraux. Son remplacement n'aboutira qu'à la délivrance d'un vague certificat d'aptitude à passer, un an plus tard, le concours fondé non sur des connaissances scientifiques, mais sur une connaissance du système éducatif qui était antérieurement acquise lors de l'année de stage. Ce concours est en outre prévu au... mois de novembre (?!) ce qui ne correspond à aucune échéance du calendrier universitaire, et réduirait la préparation à … un mois, la rentrée des facs se faisant en octobre... à moins que nos gouvernants n'aient ainsi derrière la tête l'idée, ô combien démagogique (car il est bien connu que les profs ne foutent rien!), de faire travailler tout le monde en août afin de rendre enfin crédible, ce pseudo-concours...


A l'issue de celui-ci les heureux lauréats passeraient un oral en … juin de l'année suivante (?!) pour être définitivement recrutés. Dans l'intervalle, ils auraient le privilège d'être balancés dans un classe avec 12 ou 18 heures de cours hebdomadaires (contre 6 dans l'ancien système). La fonctionnalité de ce stage serait de.. remplacer les profs absents!!! Car, nous y voilà… le VRAI but de cette réforme qui recule d'un an l'entrée dans le système éducatif est de rendre immédiatement opérationnels les jeunes enseignants. Malgré les dérives pédagogistes des IUFM supprimées depuis deux ans, on délivrait pendant l'année de stage une formation pratique au contact avec les élèves qui disparaît actuellement totalement de champ des études. Alors que l'entrée dans la carrière se faisait progressivement, depuis la suppression des IUFM tant brocardées, en jetant les jeunes titulaires du master dans des classes avec 12, voire 18 heures de service, on prépare des drames humains, car il s'agit de « rentabiliser » ces recrues en leur imposant immédiatement un horaire de professeur chevronné. Quel sera leur rôle ? Remplacer les collègues en congé devant des classes inconnues. Quelles seront les conditions de leur préparation pendant l'année charnière 2010-2011 ? Nulles.


Ajoutons les déclarations récentes de M Luc Chatel sur le remplacement des profs absents; on emploiera pour pallier ce problème  de « jeunes retraités » de l'Education nationale ou encore des « étudiants » titulaires d'une licence (ce qui est déjà le cas dans bien des disciplines). C'est reconduire un corps déqualifié (celui des ex AE -adjoints d'enseignement-), mal considéré, mal payé, sous couvert de résoudre un problème. C'est répondre de façon démagogique à une attitude des parents d'élèves qui consiste à considérer l'école de façon consumériste, et dire en substance, qu'il est nécessaire de mettre un prof dans chaque classe, indépendamment de ses compétences. L'aveu est manifeste: l'école serait-elle finalement une garderie à peine améliorée?Ces mesures sont cohérentes et participent d'une dérégulation générale d'une profession qu'on voudrait de plus en plus corvéable à merci. D'ailleurs QUI s'occupera de répartir les stagiaires dans les classes? QUI suivra éventuellement leur parcours? Ces questions irrésolues et qui embarrassent lorsqu'on les pose indiquent bien à quel point le système entier repose déjà (et reposera de plus en plus!) sur le bénévolat des enseignants et sur leur solidarité avec les jeunes qui entrent dans la carrière. Pour toutes ces raisons, les acteurs du système universitaire se sont élevés et continuent de s'élever contre cette réforme.


Les motions pleuvent, les actes de désobéissance civile aussi et tout ce qui peut « désactiver » la mise en place d'un système unanimement jugé mauvais. Tout au long de cette année, les présidents, les enseignants, les étudiants voient s'installer un système néfaste, non seulement pour eux-mêmes mais pour la société tout entière.   Reste une question...

Pourquoi le mouvement s'est-il essoufflé?


Au fil des semaines, et à l'approche des examens, les pressions de l'opinion publique, des media, et l'approche des examens ont divisé le mouvement de lutte contre la LRU. Certains, partisans d'un affrontement avec un ministère sourd, voulaient aller jusqu'à suspendre ou annuler la session d'examens 2009, forçant ainsi le cabinet du ministre à entamer un dialogue qui n'a jamais eu lieu. D'autres, inquiets de ce blocage de la situation ont opté pour faire passer les examens et « continuer le mouvement selon d'autres modalités », face aux pressions internes qu'ont entraîné les blocages des universités. On sait ce qu'il en a été finalement de ces « autres modalités » qui ont signé, purement et simplement, la fin de la lutte.  


 En effet, si, ça et là, les acteurs se mobilisent encore pour protester de façon locale contre les applications de la loi qui apparaissent inexorablement, la dynamique d'ensemble a été brisée de l'intérieur. La surdité du ministère et la crainte que ce mouvement ne devienne impopulaire, en faisant perdre une année de cours aux jeunes ont été déterminantes.  Est-il nécessaire de rappeler que beaucoup d'étudiants engagés ont été, quant à eux, déçus, de ce qui a été perçu comme une démission des enseignants et des administrations des universités et comme une reddition?


Actuellement, les motions fleurissent au niveau local et désactivent les aspects les plus nocifs de la loi. La désobéissance civile demeure, dans un contexte où aucun dialogue n'est possible le seul moyen d'agir et d'éviter le pire, et le démantèlement complet du service public d'éducation.


Après de nombreuses semaines de grève, des tensions ont vu le jour au sein des acteurs du mouvement eux-mêmes, et la surdité des responsables politiques ne s'explique que par un facteur qui a échappé à tous. Le calendrier de la ministre n'était pas celui de l'université mais des régionales, et de la nécessité, pour obtenir l'investiture, de ne pas « céder » sur un dossier sensible a pris le pas sur le dialogue, l'intérêt collectif et le simple bon sens. Cela n'a pas empêché l'échec cuisant de l'UMP aux régionales d'Ile-de-France, mais le mal est fait, et de cet échec n'ont pas été tirées les conséquences puisqu'il n'est plus question de revenir sur une réforme considérée comme « acquise ». Après une année de quasi-absence de son ministère Madame Pécresse réintègre son fauteuil sans se poser aucune question...


Beaucoup de présidents d'université qui étaient sur la réserve au départ et plutôt pas défavorables à la LRU tirent maintenant la sonnette d'alarme et pointent les dysfonctionnements prévisibles du système. Seront-ils entendus ? La raison prévaudra-t-elle enfin sur les intérêts politiques à court terme ? Le gouvernement a immédiatement reculé sur d'autres réformes et a accordé aux restaurateurs une baisse de la TVA dont n'ont profité dans un premier temps ni les clients (à de rares et notables exceptions près) ni les jeunes de la profession, sous-payés, et il a fallu que le conseil d'Etat menace de revenir sur cette faveur fiscale pour qu'un accord soit trouvé, dans la grogne générale...


L'oreille de nos gouvernants est sélective. On ne peut réaliser une réforme avec l'hostilité ou le scepticisme de la plupart de ses acteurs. On ne peut « passer en force » contre une profession tout entière et contre la plupart des jeunes qui ont exprimé leur opposition à la LRU dans ce mouvement, car les étudiants ne sont ni des « clients », ni des « usagers » de la fac, mais les acteurs de la société civile d'aujourd'hui et de demain.

Christine Baron, maître de conférences en littérature, Université de Paris III