Questions de société

"La presse perd ses Facultés", par Pierre Jourde, suivi de "Un peu plus de désinformation sur l'Université"

Publié le par Florian Pennanech

Un nouveau texte de Pierre Jourde sur le traitement médiatique de la mobilisation universitaire est disponible en ligne :

"Il paraît que la presse est libre. Et elle y tient beaucoup, à saliberté. Elle proteste beaucoup, avec raison, contre toute atteinte àsa liberté. Mais pour le manque de liberté de pensée, malheureusement,il n'y a pas grand-chose à faire..."

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Ce texte, publié sur un site destiné au grand public, a donné lieu à quelques vives réactions, auxquelles Pierre Jourde a répondu par le commentaire qui suit :

Je ne pouvais pas tout dire de l'université et de la réforme dans leformat de ce site, cela prendrait le volume d'un livre. Pour plus de «désinformation », je suis donc contraint de vous renvoyer, soit au blogque je tiens sur le site Bibliobs, et où j'ai abordé ces questions àplusieurs reprises, soit au livre que j'ai dirigé, Université : lagrande illusion, publié en 2007, où l'on fait de la désinformation endétail sur les problèmes universitaires. Enfin, le site del'association QSF et le site Fabula pratiquent également ladésinformation de manière précise. Pour les impasses de l'évaluationbibliométrique, on se reportera au récent numéro de désinformation dela revue Cités, ainsi qu'à mon article de désinformation dans Le Mondediplomatique sur les absurdités de l'évaluation pratiquée par l'AERES(l'organisme chargé d'évaluer la recherche). Pour la manière dont lesmédias informent sur ce mouvement, Fabula donne ces indicationsintéressantes (mais c'est de la désinformation) :

N. Sarkozy, la destruction de l'Université et le choléra mental dujournal Le Monde (blog Le grand Barnum, 01/04/09), “Le choix politiquede la rédaction du Monde” par J. Valluy, Le Monde n'est plus ce qu'ilétait ou encore “Les enseignants-chercheurs se foutent du Monde”(Bakchich info, 04/04/09). Ou bien on se reportera à la Charte de bonneconduite vis à vis de ce quotidien (pour une critique de cetteinitiative: Lettre ouverte à nos amis des Universités (Acrimed06/04/09). Les protestations se multiplient contre la déformationsystématique des faits observée récemment dans d'autres journaux (LeParisien, pour des incidents survenus à Paris 12 ; La Dépêche, accuséed'avoir déformé des décisions prises à Toulouse en AG concernant lavalidation du semestre). On pourra encore consulter: De l'impartialitédes médias à l'égard de la mobilisation ; Monthubert/Pécresse: “Deuxinterviews, deux poids, deux mesures, sur France Culture” ; France 2s'occupe… de l'occupation de Sciences-Po ; Censure sur TF1 ;Universités : les médias à côté du mouvement (Marianne 2, 02/04/09) ouencore Quart d'heure sur les médias et l'université (Contrepoint -Télésorbonne 02/04/09).

Je voudrais maintenant continuer ma désinformation en répondant àquelques-unes des critiques émises sur ce site. Un point logique pourcommencer : ce n'est pas parce qu'on critique, d'une part la manièredont il est rendu compte d'une réforme, d'autre part la réformeelle-même, que l'on est pour tout ce qui se passe à l'université. Avecun certain nombre de collègues, j'ai rencontré à plusieurs reprisesValérie Pécresse, justement parce que je pensais qu'une réforme étaitnécessaire, que je l'avais écrit à plusieurs reprises, et que je mefigurais qu'elle pourrait la mener. Or, toutes ses décisions ont étéradicalement à l'encontre de ce qui paraissait souhaitable à beaucoupde ceux qu'elle a consultés. En d'autres termes : le changement, oui(même si parfois une certaine continuité a du bon…). Mais le contenu decette réforme ne fera qu'aggraver les maux de l'université. Ce n'estpas celle qu'il fallait faire.
Quelqu'un emploie l'expression de « désinformation » en ce qui concernece que j'ai écrit. J'aimerais qu'il me dise, point par point, où est ladésinformation. Il pense avoir pénétré les secrets de l'universitéparce qu'il a assisté, comme élu étudiant, à des conseils. Mais jeperçois mal le sens de son discours. Je me répète donc : l'un desproblèmes de l'université, c'est le localisme, les manoeuvres dequelques autorités locales pour faire élire, non les meilleurs, maisles mieux en cour. Cette réforme aggrave le localisme, comme je l'aidit, et comme certains intervenants dans cette discussion l'ont bienexpliqué. L'autonomie devient de l'autocratie présidentielle. Dans macarrière, j'ai vu, à plusieurs reprises, des présidents faire pressionauprès du conseil d'administration pour qu'il casse l'élection d'ununiversitaire compétent, afin de placer un protégé présidentiel. Leplus souvent, ces pressions interviennent en amont, lorsqu'il s'agit deformuler l'intitulé du poste à pourvoir, qui doit correspondre auxrecherches du « local » à élire. Je ne vois donc pas en quoi l'argumentde ce monsieur ferait de ce que j'ai écrit de la « désinformation ». Ilme paraît plutôt aller dans mon sens. Et, par conséquent,l'interdiction du recrutement local est, en effet, une possibilité quipourrait être envisagée. Elle est de facto pratiquée à la Sorbonne pourle recrutement des professeurs.
« Zournit » parle de « distinguo subtil » lorsque l'on différencieprofesseurs du secondaire, étudiants, universitaire. Je répète donc, jemartèle ma désinformation : l'université est un objet spécifique, avecdes problèmes spécifiques. Universitaire, c'est un métier spécifique.Cette grève est la première grève des universitaires depuis des tempspaléolithiques. Ce n'est pas une grève d'étudiants, ce n'est pas unegrève de professeurs de lycée, même si, conscients des enjeux, ceux-cise joignent à ce mouvement. Je n'ai jamais vu des universitaires fairegrève. Point. Jamais, en dépit de tout ce qu'on leur a balancé àtravers la figure comme réforme permanente, toujours dans le sens deplus de travail, moins de liberté et moins de considération. Depuis queje suis dans ce métier, il se dégrade en permanence. J'en ai assez, etje ne suis pas le seul, apparemment. Après, on peut tout renvoyer augrand gloubi-boulga du café du commerce, les fonctionnaires, cesfainéants, etc, mais ce n'est pas de cette façon qu'on comprendra lanature particulière d'un problème. Et je me répète encore : depuis queje suis universitaire, les réformes c'est tous les deux ans, c'est unedépense d'énergie invraisemblable, pour pas grand-chose, sinon pouraccorder toujours plus de diplômes à toujours plus d'étudiants, sans sepréoccuper de la qualité de ces diplômes. A force de réforme descursus, le déroulement d'une année est devenu si compliqué que pluspersonne n'y comprend rien, ni les étudiants ni les professeurs. Maison passe son temps à ça. L'université est devenue une usine à gérer desflux, à donner de la licence. Les vraies formations, c'est ailleurs, cesont les grandes écoles. Nous, on nous demande tout et n'importe quoi,jusqu'à des cours de grammaire, orthographe et syntaxe pour desétudiants de première année. Et surtout, de simplifier, toujours plussimplifier, afin de faire baisser les statistiques d'échec, tellementsimplifier qu'il n'y a même plus de contenu. Quant à deveniruniversitaire, inutile d'y songer, il n'y a plus de postes. Je dis àmes thésards de faire autre chose.
En ce qui concerne la grève payée, réfléchissons deux secondes.D'abord, c'est au ministère de pointer les grévistes et de cesser lepaiement. S'il ne le fait pas, ou mal, c'est son problème.Deuxièmement, il y a les universitaires en grève, et ceux qui nepeuvent pas faire cours à cause du blocage des universités ou de lafermeture par le rectorat. Troisièmement, je confirme ce qui a étéécrit dans les discussions, les universitaires qui ne sont plus à lafac continuent bien souvent à envoyer leurs cours par mail à leursétudiants. Quatrièmement, si les cours n'ont pas lieu, ils sont parfoisremplacés par des débats ou des conférences, j'en ai donné une à ParisIII, dans le cours d'un collègue, intitulée « à quoi sert lelittérature ». Mon collègue était en grève, ceux qui ont participé audébat aussi, je n'ai pas l'impression pourtant, pardon de ladésinformation, que ce débat était inutile pour la formation de nosétudiants. Ils avaient même l'air content, les étudiants. Desgauchistes chevelus, sans nul doute. (Curieux, tout de même : parmi lesgrévistes, il y a aussi beaucoup de gens de droite. Ce n'est peut-êtrepas une grève politicienne, alors ? Eh bien non, les vieux schémas nesont pas toujours justes). Cinquièmement, un universitaire n'est passeulement un enseignant, c'est aussi un chercheur, qui continue àchercher, par ailleurs la grève de la recherche, il faut qu'onm'explique comment on peut la mesurer.
Malgré tout cela, il est clair que le principe est juste : desgrévistes ne devraient pas être payés. Il est non moins clair qued'évoquer, en gras, ce seul aspect, tout de même périphérique, de laquestion, après deux mois de grève, si ce n'est pas de la manipulationpoujadiste du public en lieu et place de l'information, je suis lareine d'Angleterre.
En ce qui concerne le contenu des réformes, essayons de faire simple.La réforme Darcos, ou masterisation des concours, comporte trois pointsessentiels, qui me paraissent désasteux. Par ordre de désastreux :
-On met désormais en concurrence un master de recherche et un masterd'enseignement, ce qui comporte le risque de tarir le recrutement dechercheurs.
-L'oral des concours ne comportera plus qu'une épreuve de didactique,et une de connaissance du système éducatif. Bref, à l'oral du Capes delittérature, il n'y a pas de littérature. De quoi recruter de bonpetits bureaucrates, mais pas des professeurs compétents dans leurmatière. En tant qu'enseignant formant de futurs professeurs, je merefuse à sanctionner cette démolition de la compétence disciplinaire.
-On ne cesse de crier sur les toits qu'il faut des professeurs mieuxformés pédagogiquement. Or, ce qui était essentiel pour cetteformation, c'était l'année de stage suivant le concours, où le jeuneprofesseur avait à la fois une classe en responsabilité, des formationspédagogiques et assistait aux cours de son conseiller pédagogique.C'est là qu'il apprenait son métier. Cette année est supprimée. Il fautpeser l'importance de cette suppression : passé le concours, on estbalancé directement, sans transition, dans l'enseignement à pleintemps. Tout ce qu'il ne faut pas faire, tous les professeurs vous lediront. Et tant pis pour les pots cassés, les pots s'appelant élèves etprofesseur, chacun à sa manière. Alors pourquoi le fait-on, puisqu'onne cesse de seriner qu'une meilleure formation pédagogique s'impose ?Parce que cette année de stage coûtait cher ? Mais non, voyons,qu'allez-vous chercher là, vous faites de la désinformation, il doit yavoir de bonnes raisons. Oui, mais lesquelles ? Et puis, la réformeprévoit des stages. Oui. Des stages AVANT le concours. Une semainepar-ci par-là. Autrement dit, il va falloir s'organiser pour unsaupoudrage de milliers de stages à fournir à des gens dont la plupartne deviendront pas professeurs. Intelligent, non ? En tous cas, ça al'avantage de ne rien coûter.
Passons à la réforme Pécresse. Donc, il y a des chercheurs qui necherchent pas ? J'aimerais qu'on m'en présente, car pour l'instant,j'ai surtout rencontré des bêtes de somme de la lecture de thèse, de laréunion, du dossier administratif, de la correction de copies, del'organisation de colloques, de l'écriture d'articles, du suivid'étudiants, de l'évaluation de dossiers de collègues, de lapréparation de cours, de la direction d'équipe ou de département, j'enpasse beaucoup. Et s'ils ne cherchent pas assez, c'est précisémentparce que la multiplication délirante de ces tâches, que les réformesempilent joyeusement, les étouffe complètement. La première conditiond'une vraie recherche, c'est la liberté, certainement pas l'usine à gazbureaucratique à laquelle Mme Pécresse apporte sa pierre. Je me permetsde signaler, pour l'anecdote et pour la désinformation, que deuxuniversitaires japonais (si si, JAPONAIS) viennent de me confier,séparément, leur admiration pour l'efficacité et la productivité deschercheurs français. Ce, en dépit du monceau de paperasses à remplir,inversement proportionnel au niveau des salaires. Des scientifiquesarrondissent leurs fins de mois en cherchant pour le privé ? Paspossible ? Mais si on ne les payait que ce que l'état les paie, il n'yaurait sans doute plus de chercheurs scientifiques, autrement que dansle privé. Qu'est-ce que ça serait bien. Il y a d'indécrottablesfainéants ? Sans aucun doute. Quelle profession en est exempte ? Est-cequ'on démolit une maison parce qu'elle abrite trois rats ? Soyonssérieux : les universitaires, dans leur ensemble, travaillent trop,dans l'absolu, et plus encore si on compare cette quantité de travail àleur niveau de rémunération. Il se trouve qu'ils aiment leur travail,ils ont enduré beaucoup, mais là, ça suffit.
Mme Pécresse veut nous évaluer. Bien. Il y aurait beaucoup à dire surcette manie de l'évaluation, et sur les procédés envisagés. Unchercheur publie avant tout par passion, et parce qu'il est dans lesbonnes conditions pour le faire. L'évaluation servira les médiocres,les arrivistes et les gens qui pissent de la copie vide sans prendre letemps de faire une vraie recherche. Par ailleurs je me permets designaler que j'ai passé une agrégation, une thèse, une qualification,des auditions, une habilitation à diriger des recherches, une deuxièmequalification, diverses élections par des comités de spécialistes, quej'ai envoyé à plusieurs reprises des dossiers pour des délégations auCNRS ou des avancement de classe, ce qui nous fait, sur 13 ans àl'université, à peu près autant d'évaluations. Qui dit mieux ? Faireévaluer en plus tous les dossiers d'universitaires par une instancecompétente, le CNU (qui travaille à peu près gratuitement, je lesignale) c'est tout simplement créer un monstre ingérable. Dans quelbut ? Moduler les services ? Pour dégager du temps pour la recherche ?Mais ce n'était pas la peine, puisque le système existe déjà, il y ales délégations au CNRS, les sabbatiques, l'Institut Universitaire deFrance. Si l'on voulait pousser les meilleurs chercheurs, il suffisaitde se servir de ces possibilités. On pouvait imaginer, c'est ce quiavait été proposé à Mme Pécresse, une circulation entre CNRS etuniversité, de manière à ce que les chercheurs à plein temps viennentde temps à autre faire profiter les étudiants de leur recherche, tandisqu'au long de leur carrière, les universitaires pourraient, en plusgrand nombre, bénéficier de temps et d'équipements. Mais visiblement,si on ne s'est pas servi de ces possibilités assez simples et déjà enplace, c'est qu'autre chose est visé. Quoi ? Mais faire travailler plusles universitaires, bien entendu. Ainsi on économise sur les postes.Quel sera le choix, d'après vous, d'un président d'université toutpuissant ? Recruter, ou faire travailler plus, à l'oeil ? Quoi, voustrouvez que c'est justice, que les universitaires ne font rien ? Dansce cas, je me permets de vous soumettre ce texte de désinformation, quej'ai publié sur Bibliobs, modèle d'une carrière universitaire, danslequel pas mal de collègues se sont reconnus. Il vous donnera un peu dedésinformation concrète sur une vie de fainéant.

Prenons le cas exemplaire (quoique fictif) de Mme B. Elle représentele parcours courant d'un professeur des universités aujourd'hui.L'auteur de cet article sait de quoi il parle. Elle est née en 1960.Elle habite Montpellier. Après plusieurs années d'études, mettonsd'histoire, elle passe l'agrégation. Travail énorme, pour un trèsfaible pourcentage d'admis. Elle s'y reprend à deux fois, elle estenfin reçue, elle a 25 ans. Elle est nommée dans un collège « sensible» du Havre. Comme elle est mariée à J, informaticien à Montpellier,elle fait le chemin toutes les semaines. Elle prépare sa thèse. Grostravail, elle s'y consacre la nuit et les week-ends. J. trouve enfin unposte au Havre, ils déménagent. A 32 ans, elle soutient sa thèse. Illui faut la mention maximale pour espérer entrer à l'université. Ellel'obtient. Elle doit ensuite se faire qualifier par le Conseil Nationaldes Universités. Une fois cette évaluation effectuée, elle présente sondossier dans les universités où un poste est disponible dans saspécialité. Soit il n'y en a pas (les facs ne recrutent presque plus),soit il y a quarante candidats par poste. Quatre années de suite, rien.Elle doit se faire requalifier. Enfin, à 37 ans, sur son dossier et sespublications, elle est élue maître de conférences à l'université deClermont-Ferrand, contre 34 candidats. C'est une évaluation, etterrible, 33 restent sur le carreau, avec leur agrégation et leur thèsesur les bras. Elle est heureuse, même si elle gagne un peu moinsqu'avant. Environ 2000 Euros. Elle reprend le train toutes lessemaines, ce qui est peu pratique pour l'éducation de ses enfants, etengloutit une partie de son salaire. Son mari trouve enfin un poste àClermont, ils peuvent s'y installer et acheter un appartement. Mme Bdéveloppe ses recherches sur l'histoire de la paysannerie française auXIXe siècle. Elle publie, donne des conférences, tout en assumantdiverses responsabilités administratives qui l'occupent beaucoup.Enfin, elle se décide, pour devenir professeur, à soutenir unehabilitation à diriger des recherches, c'est-à-dire une deuxième thèse,plus une présentation générale de ses travaux de recherche. Elle yconsacre ses loisirs, pendant des années. Heureusement, elle obtientsix mois de congé pour recherches (sur évaluation, là encore). A 44ans, elle soutient son habilitation. Elle est à nouveau évaluée, etqualifiée, par le CNU. Elle se remet à chercher des postes, deprofesseur cette fois. N'en trouve pas. Est finalement élue (évaluationsur dossier), à 47 ans, à l'université de Créteil. A ce stade de sacarrière, elle gagne 3500 euros par mois. Accaparée par les coursd'agrégation, l'élaboration des plans quadriennaux et la direction dethèses, et, il faut le dire, un peu épuisée, elle publie moinsd'articles. Elle écrit, tout doucement, un gros ouvrage qu'il luifaudra des années pour achever. Mais ça n'est pas de la recherchevisible. Pour obtenir une promotion, elle devra se soumettre à unenouvelle évaluation, qui risque d'être négative, surtout si leprésident de son université, à qui la réforme donne tous pouvoirs surelle, veut favoriser d'autres chercheurs, pour des raisons de politiqueinterne. Sa carrière va stagner. Dans la réforme Pécresse, elle n'estplus une bonne chercheuse, il faut encore augmenter sa dose de cours,alors que son mari et ses enfants la voient à peine. (Par comparaison,un professeur italien donne deux fois moins d'heures de cours). Oualors, il faudrait qu'elle publie à tour de bras des articles vides.Dans les repas de famille, son beau-frère, qui gagne deux fois plusqu'elle avec dix fois moins d'études, se moque de ses sept heuresd'enseignement hebdomadaires. Les profs, quels fainéants. Et si onfichait la paix à Mme B ? Elle a énormément travaillé, et elletravaille encore. Elle forme des instituteurs, des professeurs, desjournalistes, des fonctionnaires. Son travail de recherche permet demieux comprendre l'évolution de la société française. Elle assure unecertaine continuité intellectuelle et culturelle dans ce pays. Elle aété sans cesse évaluée. Elle gagne un salaire qui n'a aucun rapportavec ses hautes qualifications. Elle travaille dans des lieux sordides.Et elle doit en outre subir le mépris d'une certaine presse. En bien,ça suffit.

Améliorer l'université, ça pourrait être déjà, tout bêtement, pardonde la désinformation, de faire en sorte que les professeurs à laSorbonne disposent d'un bureau et de toilettes dignes de ce nom, lesétudiants de Valence de bancs et d'une cafétéria pour ne pas manger desandwiches par terre, que les étudiants puissent se loger, qu'on nemette pas un an à obtenir un ordinateur et six mois un remboursement de100 Euros de train. Ce seraient des bâtiments moins pisseux, desbibliothèques moins miséreuses, des secrétaires moins débordées, despersonnels un peu plus nombreux pour faire tourner le monstre, descarrières moins bloquées. Oui, je sais, c'est bassement matériel. Maisça servirait peut-être, non ? Ce pourrait être aussi une orientationmieux faite pour éviter de retrouver à l'université des milliersd'étudiants qui se retrouvent en sciences humaines sans avoir lu unlivre et avec des difficultés pour élaborer une phrase. Ce serait unesimplification des cursus, une meilleure prise en compte des matièresfondamentales. Ce serait une meilleure interaction avec les grandesécoles, pour éviter qu'elles n'accaparent les meilleurs étudiants. Cene serait certainement pas ces réformes, qui vont dans un sens assezclair : un futur professeur de français ne sera pas compétent enfrançais ni bon pédagogue, mais il aura coûté moins cher et donné desgages de soumission à la manie bureaucratique. Un futur universitairene sera pas un bon chercheur ni un intellectuel, mais un féodal soumis.La liberté, condition vitale de la recherche et de la vie de l'esprit,aura disparu des universités. C'est de cela, et pas moins, qu'il estquestion. Veut-on encore qu'il y ait en France, des penseurs, tels quel'université en a produits, qui ont fait l'incroyable vitalitéintellectuelle de notre pays ? Oui, ou non ? Si l'on pense que ce n'estpas la peine, que c'est du luxe, alors vive la réforme Pécresse.Personnellement, je pense qu'un pays sans cette indépendance desintellectuels est un pays mort. Mais je fais de la désinformation.