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La Première Guerre mondiale dans la conscience intellectuelle, littéraire et artistique des cultures européennes

La Première Guerre mondiale dans la conscience intellectuelle, littéraire et artistique des cultures européennes

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Thomas Stauder)

Misères de l'héroïsme.

La Première Guerre mondiale dans la conscience intellectuelle, littéraireet artistique des cultures européennes

Face à l'approche des célébrationsdu centenaire du début de la Première Guerre mondiale, il nous semble utile derassembler avant cette année commémorative une synthèse transnationale desrecherches sur la place exacte dans la conscience intellectuelle, littéraire etartistique européenne d'un évènement qui à juste titre a été qualifié depremière rupture radicale des civilisations modernes et seuil vers une nouvelleculture et mentalité.

Sans négliger nécessairement les auteurs canonisés, nousvoudrions privilégier dans notre volume collectif des oeuvres et des aspectsjusqu'à aujourd'hui moins connus de cette guerre ; en outre, nous souhaiterionsque les méthodes les plus récentes de la critique littéraire et des étudesculturelles puissent être appliquées dans les contributions à ce livre.

Au centre de nos intérêts de recherche se trouve lacomparaison entre les discours de guerre en France et en Allemagne ; maisnous voudrions également prendre en considération la situation en Italie et enEspagne, pour conférer ainsi une perspective européenne à notre analyse. (Laneutralité officielle de la Péninsule Ibérique n'a pas empêché que lesintellectuels espagnols prennent position dans ce conflit.) Avec l'aide despécialistes de la littérature anglaise, nous pourrions même inclure desarticles sur l'impact culturel de cette guerre au Royaume-Uni.

Le cadre chronologique des sujets à traiter doit êtreenvisagé selon nous d'une manière assez ample, en tenant compte aussi detémoignages intellectuels, littéraires et artistiques conçus avant ou après lesactions militaires. On peut rencontrer des manifestations soit de patriotismebelliciste soit de pacifisme dans toutes les nations concernées bien avant 1914,et les meilleures représentations littéraires et artistiques de cette guerre ontsouvent vu le jour des années après 1918, la distance aidant à soigner lestraumatismes et permettant de les sublimer par la mémoire. En ce qui concernela littérature allemande, on pourrait citer ici Im Westen nichts Neues dʼErich Maria Remarque (1928) ;quant à la littérature française, on pourrait renvoyer au roman Voyage au bout de la nuit de Louis-FerdinandCéline (1932).

En dehors des représentations littéraires au sensstrict – c'est-à-dire, en formepoétique, narrative ou dramatique (il y a des pièces de théâtre importantes,même si souvent peu connues, comme par exemple Seeschlacht de Reinhard Goering, de 1917) –, il nous sembleessentiel de considérer l'engagement des intellectuels européens pendant laguerre. On a l'habitude de ramener la naissance de la fonction del'intellectuel moderne à la prise de position d'Émile Zola au moment del'éclatement de l'affaire Dreyfus, en 1898 ; Jacques Julliard et MichelWinock ont défini l'intellectuel comme « un homme ou une femme qui appliqueà l'ordre politique une notoriété acquise ailleurs ». Entre 1914 et 1918,ni la France ni l'Allemagne ne manquaient d'auteurs renommés qui jouaient cerôle en public, le plus souvent avec une attitude nationaliste et commefauteurs de guerre ; on pourrait nommer d'un côté Maurice Barrès etCharles Maurras, et de l'autre côté Hugo von Hofmannsthal, Gerhart Hauptmann etRobert Musil. Malgré l' « union sacrée » au sein des deux pays,qui leur faisait oublier pour un certain temps leurs querelles de politiqueintérieure, il y avait sur les deux rives du Rhin des pacifistes convaincus, eton peut constater que même chez les patriotes l'enthousiasme belliciste du débutde la guerre céda fréquemment sa place au cours du conflit à un sentiment descepticisme et de lassitude. Dans les pays de langue française, il fautmentionner, après Jean Jaurès (assassiné le 31 juillet 1914), surtout RomainRolland, qui en septembre 1914 se situa par rapport à la guerre« Au-dessus de la mêlée » (selon le titre de son traité publié à cemoment-là en Suisse), soutenu par les unanimistes autour de Jules Romains, quimilitaient également pour l'entente des peuples ; dans les pays de langueallemande, parmi ceux qui doutaient de la justification et du sens de cetteguerre étaient Stefan Zweig, Hermann Hesse et Arthur Schnitzler. Une approchefructueuse pour l'analyse du rôle de ces intellectuels pourrait être basée surl'histoire des mentalités et pourrait utiliser le concept du champ littérairede Pierre Bourdieu.

Il nous sembleque les origines philosophiques de la passion belliciste en Europe au temps dela Première Guerre mondiale méritent une attention particulière ; la penséevitaliste, représentée par Friedrich Nietzsche et Henri Bergson, pour qui laguerre était un processus de rénovation nécessaire, avait une influenceimportante. Ceci explique en partie l'attitude de certains expressionnistesallemands (par exemple, du poète August Stramm, mort au combat en 1915), maisaussi celle des futuristes italiens (Marinetti célébra la guerre dans son Manifesto politico comme « solaigiene del mondo »).

Cette guerre signifia pour toutel'Europe non seulement une césure brutale sur le plan du développement desstructures sociales – l'historien Wolfgang J. Mommsen parla à ce propos du« début de la fin de l'ère bourgeoise » –, mais bouleversa à traversla naissance de plusieurs mouvements avant-gardistes même l'esthétique de lalittérature et des arts. Le dadaïsme, fondé par Tristan Tzara en 1916 au« Cabaret Voltaire » de Zurich, et qui se répandait peu de tempsaprès en France et en Allemagne, fut appelé « un mouvement de protestationné du dégoût des atrocités de la guerre ». André Breton, qui allaitdevenir dans les années vingt le chef charismatique des surréalistes parisiens,parla également de cette expérience qui l'avait marqué, « de certainsjeunes gens dont j'étais, que la guerre de 1914 venait d'arracher à toutesleurs aspirations pour les précipiter dans un cloaque de sang, de sottise et deboue ». Le massacre de la jeunesse européenne fut aperçu par cettenouvelle génération comme une « faillite générale sur le plan de lʼEsprit »,comme échec de la civilisation occidentale. La déception causée par « leshomélies patriotiques et le bourrage des crânes, les poncifs de la guerre »(Aragon) provoque la radicalité de l'avant-garde, sa négation des toutes lestraditions culturelles.

Une question centrale dans la recherche actuelle desétudes culturelles est celle de la constitution et préservation des identitésnationales ; ces dernières ne reposent pas seulement sur la glorificationde leurs propres valeurs, mais aussi sur la démarcation vis-à-vis des sociétésétrangères. On peut observer cette interaction entre auto- et hétérostéréotypesdans la propagande politique de la période de la Première Guerre mondiale, etégalement dans un certain nombre d'oeuvres littéraires de ces années-là. Parmiles écrivains qui ont essayé de surmonter cette confrontation identitaire, ontrouve René Schickele, né en 1883 en Alsace d'une mère d'origine française etd'un père d'origine allemande ; dans ses drames (par exemple Hans im Schnakenloch, de 1916) et sesromans (la trilogie Das Erbe am Rhein,publiée après la guerre) il plaide pour la tolérance entre les nations etpréconise une conscience européenne. En Italie, cette tension identitaire autemps de la Première Guerre mondiale est particulièrement bien visible chez lesirrédentistes de Trieste – parmi eux, des écrivains comme Gianni Stuparich etScipio Slataper –, qui jusqu'à ce moment-là avaient été forcés à vivre sous ladomination de l'Autriche malgré leur sentiment d'appartenance à la cultureitalienne.

Les identités individuelles et collectives ont enoutre besoin de se souvenir de leur passé pour affirmer leur existencepermanente, ce qui implique que pour leur analyse on doit penser dans lescatégories du paradigme de la mémoire, qui pendant ces dernières années a jouéun rôle essentiel dans les études culturelles. (On pourrait citer ici deuxchercheurs qui ont exercé une grande influence : Pierre Nora avec ses Lieux de mémoire et Jan Assmann avec Das kulturelle Gedächtnis.) Un nombreimportant de romans de guerre est basé sur les souvenirs personnels desauteurs, souvent transformés par des éléments fictionnels, afin d'augmenter parla stylisation littéraire l'effet sur le lecteur et la signification morale decette expérience. Les oeuvres de ce type – un exemple en serait Les croix de bois, de Roland Dorgelès – peuvent être appelées des autofictions, etdoivent être distinguées des autobiographies et mémoires au sens stricte duterme (entre autres, La main coupée deBlaise Cendrars).

Un autre champ de recherche que nous voudrions incluredans ce volume collectif est constitué par l'approche des « genderstudies », c'est-à-dire les études de genre, dans ce cas-ci avec unintérêt particulier pour les transformations du rôle social de l'homme et de lafemme pendant la Première Guerre mondiale. Dans les allocutions patriotiques detoutes les nations impliquées au conflit on trouve encore l'idéal traditionneldu soldat courageux, dévoué et prêt au sacrifice ; la terminologie etl'imaginaire de l' « héroïsme » – réservé uniquement au sexe masculin – continuent à marquerle discours officiel. Mais chez les auteurs de nombreux romans contre laguerre, on rencontre une attitude assez différente ; ils montrent qu'ilserait grotesque de rester attaché au modèle viril du combattant vertueux dansdes batailles dominées par les nouveaux moyens techniques et l'anonymat destranchées. C'est le cas par exemple d'Henri Barbusse, qui dans Le Feu déplore la perte de la dignitéhumaine pendant la guerre : « Honte au métier de soldat, qui changeles hommes tour à tour en stupides victimes et en ignobles bourreaux. » Laparticipation directe de femmes aux événements de la guerre était possible danscette période-là presque uniquement dans le rôle d'infirmières ; aveccette fonction curative et maternelle au service des combattants ellesapparaissent aussi dans la littérature, par exemple dans le roman Réfugiée et infirmière de guerre de Jackde Bussy (qui s'appela en réalité Jacqueline Liscoät). Outre cela, les femmesdevaient être les gardiennes de la sphère domestique, loin des champs debataille, et servir de correspondantes aux soldats ; dans le roman Le Feu sur la montagne de l'écrivainesuisse Noëlle Roger apparaît une mèrefrançaise qui remplit son devoir patriotique en prenant soin de la famille deson fils qui combat sur le front de la guerre : « Ce sera ma manièrede servir le pays. » Il faudrait examiner dans quelle mesure cette imagetraditionnelle de la femme, à l'opposé du progrès réel de l'émancipationféminine pendant cette période-là – étant donné que les femmes devaient remplacerles hommes entre 1914 et 1918 dans un grand nombre de métiers et professionsqui jusqu'alors leur avaient été interdits –, est brisée dans certains fictionsnarratives, surtout dans des oeuvres conçues par des écrivaines. (Comme sourced'informations historiques sur la situation de la femme pendant ces années-làet sur le cadre politique et social de la Première Guerre mondiale, nousrecommandons à nos contributeurs de langue allemande comme ouvrage de référencel'Enzyklopädie Erster Weltkrieg, dirigéepar Gerhard Hirschfeld, Gerd Krumeich et Irina Renz.)

Bien que nous souhaitions que la majorité des analysesdans notre livre soit consacrée à des témoignages intellectuels et littéraires,transmis sous forme de textes, nous serions heureux de recevoir aussi despropositions concernant la représentation de ce conflit dans d'autresmédias, à savoir dans l'art (nous pensons aux dessins et peintures d'OttoDix, George Grosz et Max Beckmann, pour citer seulement quelques exemplesallemands) ou dans le cinéma (parmi plusieurs long-métrages mémorables, onpourrait mentionner La grande illusion deJean Renoir, de 1937).

À la fin de ce volume, les éditeurs tireront uneconclusion transnationale, dans laquelle ils tenteront de déterminer où l'on peutconstater des analogies ou bien des divergences entre les cultures européennesen ce qui concerne les aspects traités.

Nous sollicitons des propositions de futurescontributions par courriel à thomas.stauder@phil.uni-augsburg.de ou gisseybert@yahoo.de (volontiersaussi à nous deux) jusqu'au 30 septembre 2011. C'est avec plaisir que nousdiscuterons avec vous des possibles sujets de vos contributions avant que vouspreniez une décision définitive ; n'hésitez donc pas à nous contacter. Lespropositions devraient aussi contenir à côté du titre de la contribution et del'esquisse (nécessairement encore provisoire) du contenu aussi quelquesinformations sur l'auteur ou l'auteure de l'article (par exemple, ses plusimportantes publications). Sur la base de ces renseignements, nous décideronsrapidement si la proposition est acceptée, afin que vous puissiez commencer leplus tôt possible à préparer vos contributions. Il vous restera ensuite encoreplus de six mois pour écrire vos textes – avec environ 30.000 à 40.000 signes,ou 15 à 17 pages (dépendant aussi du formatage) –, car nous avons fixé le 1ermai 2012 comme date limite pour la remise des contributions. En tout cas, nouspouvons vous promettre que soit la limitation du nombre des pages soit la datelimite seront gérées avec beaucoup de flexibilité et sans attitudebureaucratique. Les articles peuvent être rédigés dans d'autres langues quel'allemand : évidemment en français, mais aussi en anglais, italien ouespagnol, selon la nationalité des auteurs. Nous envisageons actuellement detraduire à la fin toutes les contributions en allemand ; mais cecidépendra aussi du nombre et de la provenance géographique des articles. (Quoiqu'il en soit, nous nous chargerons nous-mêmes de traduire ou faire traduirevos textes, si nécessaire.) Le volume collectif sera publié au début de l'année2013 chez un éditeur académique allemand, bien avant l'année du centenaire ducommencement des hostilités de la Première Guerre mondiale ; nous seronsainsi déjà présents avec notre livre comme ouvrage de référence pendant lescommémorations.

Les éditeurs de ce livre:

GislindeSeybert(Université d'Hanovre, Allemagne), Dr. phil., a étudié lettres romanes,anglaises et allemandes (et en addition philosophie), principalement àl'Université de Heidelberg ; en 1976, elle a obtenu un poste comme chargéede cours au département de lettres romanes de l'Université d'Hanovre, oùjusqu'à aujourd'hui, elle a organisé plusieurs colloques internationaux etpluridisciplinaires. Ses domaines de recherche sont : l'histoire de laculture et de la littérature européennes du 18ème au 20ème siècle, lesrelations de genre, textualité et fictionnalité, la créativité littéraire, lesécrivaines. Elle a publié les livres suivants : Die unmögliche Emanzipation der Gefühle. Literatursoziologische undtiefenpsychologische Studien zu George Sand und Balzac,Frankfurt/M. 1982 ; Liebe alsFiktion. Studien zu einer Literaturgeschichte der Liebe von Petrarca bis Simonede Beauvoir, Bielefeld 1995 ; avec Gisela Schlientz (dir.), George Sand: Jenseits des Identischen –Au-delà de l'identique, Bielefeld 2000 ; (dir.) Das literarische Paar – Le Couple littéraire. Intertextualität derGeschlechterdiskurse – Intertextualité et discours des sexes, Bielefeld2003 ; (dir.) Das Liebeskonzil – LeConcil d'amour. Literarische Liebe und metaphorisches Begehren – Amourlittéraire et désir métaphorique, Bielefeld 2004 ; (dir.) Geschichte und Zeitlichkeit – Histoire ettemporalité. Zum Bicentenaire vonGeorge Sand,Bielefeld 2007. En outre, elle a publié un grand nombre d'articles dans desjournaux internationaux, sur Casanova, August von Kotzebue, le marquis de Sade,Heinrich Heine, George Sand, Carl Schmitt, Elsa Triolet, Anaïs Nin, MargueriteYourcenar et Simone de Beauvoir.

ThomasStauder,actuellement professeur invité de philologie romane à Université d'Augsbourg(Allemagne), a étudié lettres modernes à Erlangen, Canterbury et Sienne, et soutenuune thèse de doctorat en littérature comparée en 1992 ; le sujet de sathèse portait sur le travestissement littéraire (comme forme d'intertextualité,à distinguer de la parodie et du burlesque) en Allemagne, Angleterre, France etItalie. Par la suite, il a été professeur assistant et chargé de cours enlettres romanes aux universités de Kiel et d'Erlangen-Nuremberg. Après sonhabilitation en 2002 portant sur la poésie engagée en France, Espagne et Italieau XXème siècle, il fut nommé « Privatdozent » en automne 2002. Aprèscela, il a enseigné comme professeur invité de littérature française, espagnoleet italienne aux Universités de Vienne, d'Innsbruck et de Mayence (et aussi, denouveau, à Erlangen) ; depuis l'automne 2009, il détient un poste à l'Universitéd'Augsbourg. Ses derniers livres publiés sont: Intellettuali italiani del secondo Novecento (2007, avec AngelaBarwig ; Premio Flaiano per l'Italianistica 2008), Negociando identidades, traspasando fronteras. Tendencias en laliteratura y el cine mexicanos en torno al nuevo milenio (2008, avecSusanne Igler), Simone de Beauvoir centans après sa naissance. Contributions interdisciplinaires de cinq continents(également de 2008) et L'identitéféminine dans l'oeuvre d'Elsa Triolet (2010).

Responsable : Thomas Stauder, Gislinde Seybert

Url de référence :
http://www.philhist.uni-augsburg.de/lehrstuehle/romanistik/hispanistik/mitarbeiter/Stauder/index.html

Adresse : Prof. (i.V.) Dr. Thomas Stauder, RomanischeLiteraturwissenschaft, Universität Augsburg, Universitätsstraße 10, D - 86135Augsburg.