Questions de société

"La nouvelle rue Gaston Gallimard à Paris fait jaser l'édition" (Rue89.com - 15/06/11)

Publié le par Marc Escola

Sur Rue89.com, en date du 15/6/11:

La nouvelle rue Gaston Gallimard à Paris fait jaser l'édition By Hubert Artus

A tous ceux qui envoyaient leurs manuscrits aux Editions Gallimard [1] : il faudra vous habituer à ne plus les adresser au 5 rue Sébastien-Bottin, dans le VIIe arrondissement de Paris mais au 5 rue Gaston Gallimard, fondateur de la maison qui fête cet été année son centenaire. Ce mercredi, la petite rue [2] prend un nouveau nom, non sans controverse.

L'inauguration de ce nouveau nom de rue devait avoir lieu en présence de Bertrand Delanoë [3] et d'Antoine Gallimard [4], petit-fils de Gaston [5] et actuel PDG du groupe. Une plaque a été apposée sur la façade du siège de la maison d'édition.

Le « numéro 5 » n'est pas qu'un parfum

L'histoire de cette rue a commencé en 1907 : le quartier Saint-Thomas d'Aquin se vit alors rajouter une voie entre la rue Montalembert et la rue de l'Université.

La période trouble de Gallimard

Le « numéro 5 » connut une période trouble : l'Occupation. L'attitude de l'éditeur parut longtemps ambiguë : d'un côté, il accueillit dans ses bureaux des réunions clandestines des Lettres françaises et refusa des pamphlets antisémites ; de l'autre, il publia des traductions de classiques allemands (Goethe) pour se concilier les bonnes grâces de l'occupant, céda la NRF à Drieu La Rochelle, accepta la censure, et déclara sa maison « aryenne à capitaux aryens ». Après la libération, il fallut tout le soutien d'écrivains résistants pour protéger Gaston Gallimard de l'épuration.

En 1911, cette voie devint une partie de la rue de Beaune, avant devenir en 1929 la rue Sébastien Bottin. Cette même année, Gaston Gallimard, au N°5, installe son entreprise.

Il l'a créée dix-huit ans plus tôt avec deux des fondateurs de la Nouvelle revue française (NRF), André Gide [6] et Jean Schlumberger [7]. En 1919, les « Editions de la Nouvelle revue française » ont été rebaptisées « Librairie Gallimard ». Cette personnification de la marque marquait le début d'une incroyable aventure éditoriale, intellectuelle et industrielle.

A jamais, cette adresse devint synonyme de littérature et dans la culture française, « numéro 5 » n'est pas qu'un parfum mais aussi un océan de bonheurs littéraires. D'André Gide à Philip Roth, en passant par Proust, Valéry, Faulkner, Joyce, Hammett, Aragon, Céline, Nabokov, Le Clezio, Marguerite Yourcenar, Marguerite Duras, Kundera, Oz et bien d'autres, cette toute petite rue a vu passer et repasser la quasi-totalité des grands noms de la littérature publiée en France depuis un siècle. Aujourd'hui, Gallimard, c'est 36 Prix Nobel, 35 prix Goncourt, 10 Prix Pulitzer.

Sébastien Bottin, le détrôné

Et Sébastien Bottin, dans tout ça ? Né en 1764 et mort en 1835, il devint prêtre avant de s'engager dans la Révolution française [8] et d'embrasser un autre ordre : l'administration. Inventeur de la statistique commerciale, il fonda en 1796 la Société de l'Almanach du commerce, et publia annuellement de 1819 à 1853, un Almanach du commerce de Paris et des principales villes du monde, qui donnera le nom générique de « bottin ». En 1903, la société Didot, ayant racheté l'entreprise familiale Bottin, publia le « Bottin » mondain, premier répertoire des personnalités du Tout-Paris.

L'opposition du VIIe arrondissement

Lorsque le conseil municipal de Paris décida de déboulonner Bottin pour mettre Gallimard en plaque, le conseil d'arrondissement du VIIe s'opposa au projet. Le maire-adjoint René-François Bernard, chargé des espaces verts et de la propreté, argumente aujourd'hui encore :

« La règle est de ne pas changer le nom d'une rue où des personnes habitent. Il n'est pas de tradition de baptiser un lieu du nom d'un industriel qui y a son entreprise. Au nom de la maire Mme Dati [9], j'avais proposé d'habiller le square Montalembert d'un monument Gallimard, en partageant le coût entre la ville et la maison Gallimard. Certes, ça n'aurait pas été donné, mais ç'aurait été beaucoup plus visible. »

Le paradoxe d'une rue à deux noms

Il y a surtout l'histoire d'un autre numéro : le 9. En effet, la rue ne comporte ni N°1 ni N°3. Le 5 et le 7 correspondent au locaux Gallimard. Le 9, lui, est un immeuble qui ferme l'impasse. Or, tous les syndicats de la copropriété du 9 s'opposent au changement de nom, refusant de devoir payer les frais. Dès lors, le numéro 9 gardera son ancien nom de rue. Mais alors, devenus seuls habitants de la rue Sébastien Bottin, vont-ils se voir dénumérotés et devenir le 1 ? René-François Bernard précise :

« Ça n'est pas dans les priorités immédiates de la voierie. »

Une habitante de l'immeuble, jointe au téléphone, voit dans cette conclusion « une solution qui convient à tout le monde », et se réjouit « pour la famille de Gaston Gallimard, grande personnalité de notre culture ».

L'appel du 15 juin d'ActuaLitté.com

appel15juin-logo.jpgSuite à un échange de tweets avec l'auteur et éditeur François Bon [10], le site ActuaLitté.com [11] a saisi l'occasion pour lancer un appel avec « plusieurs acteurs de l'univers numérique, Publie.net [12], Studio Walrus [13], Numeriklivres [14]. Agacé par tous ces hommages à Gallimard, le directeur de la rédaction Nicolas Gary a décidé "d'attirer l'attention sur ce qui se passe dans le domaine du numérique, où Gallimard freine des quatre fers." " L'appel du 15 juin " [15] explique :

" Une gigantesque journée d'hommages est organisée pour celui qui basculera donc dans les oubliettes, au profit de la maison centenaire.

L'édition est en pleine mutation numérique, pendant ce temps-là une poignée de puissants éditeurs font l'autruche, bloquent de manière ridicule les prix des livres numériques dans la fourchette la plus haute (autour de 20 euros), et poussent au piratage. "

Le site d'ActuaLitté propose donc ce mercredi de "célébrer de manière symbolique Sébastien Bottin plutôt que Gallimard".