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La littérature à l’ère de la reproductibilité technique

La littérature à l’ère de la reproductibilité technique

Publié le par Camille Esmein (Source : Pierre Piret)


La littérature à l'ère de la reproductibilité technique.
Réponses littéraires au nouveau dispositif représentatif créé par les médias modernes
Colloque international, Université catholique de Louvain
(Louvain-la-Neuve, Belgique)
24 - 26 février 2005


L'invention de nouveaux médias (photographie, phonographie, cinéma, etc.), dans le courant du XIXe siècle, a eu pour effet de transformer les dispositifs de représentation et, par voie de conséquence, les logiques du discours et l'organisation du lien social. Comme Walter Benjamin l'a bien montré, ces médias reposent sur des procédés nouveaux qui les distinguent radicalement de leurs prédécesseurs : portant la reproductibilité technique à un point jamais atteint, ils opèrent une rupture précisément en ceci qu'ils dissocient les deux dimensions de l'expression et de la technique. Jusque-là, les modes de reproduction renvoyaient à l'intervention première d'un énonciateur, d'un créateur : la peinture, la sculpture, la gravure dépendent d'un acte manuel, c'est pourquoi l'intervention de la technique est occultée ou, plus précisément, fondue dans l'effet expressif, significatif, idéologique ou esthétique produit. La photographie, quant à elle, dépend, non d'un acte manuel, mais d'un acte technique : dans ce cas, l'opérativité du média semble s'affirmer au détriment de l'expression ; l'acte de reproduction semble devenir autonome, indépendant du sujet qui le commet. Les médias modernes instaurent ainsi un dispositif de représentation inédit, qui souligne l'illusion d'immédiateté produite par les médias traditionnels et distingue au contraire la fonction de l'Autre langagier, en tant qu'il médiatise la relation discursive. En cela, leur invention, qui confère un nouveau mode d'être à l'image, devait nécessairement se répercuter sur l'ensemble des discours et les transformer dans leur structure même.
Il semble que la littérature ait répondu de deux façons à cette mutation fondamentale. D'une part, on sait que, comme toutes les formes artistiques, elle a elle-même été prise dans le mouvement et s'est trouvée affectée, au plan rhétorique par exemple, par les procédés nouveaux, qu'elle a d'ailleurs largement empruntés. D'autre part, étant donnée la position analytique spécifique qui est la sienne, elle n'a cessé d'interroger cette mutation, d'en saisir les effets et les implications dans le lien social, enfin, d'y répondre par l'invention de formes discursives nouvelles, en opposant par exemple la force séparatrice du discours à la puissance fascinante mais aussi aliénante de l'image. Telle est du moins l'hypothèse que l'on voudrait mettre à l'épreuve au cours de ce colloque. L'objectif est de dégager les différents types de réponses qui ont été apportées à cette mutation à l'aube et au cours du XXe siècle, en essayant de baliser l'ensemble des possibles. Pour délimiter l'objet de recherche, on s'en tiendra pour l'essentiel aux littératures de langue française (France et Belgique et particulier), sans exclure cependant les ouvertures comparatistes.


Quatre axes de recherche principaux paraissent pouvoir organiser la réflexion, qui ont trait à des questions nouvelles, des apories, des contradictions nées en même temps que ce nouveau dispositif. Ils recouvrent quatre effets de structure majeurs de cette mutation des discours qui nous semblent avoir été traités, au sens médical du terme, par la littérature.
1) Exactitude et vérité
Le modèle photographique renforce évidemment la prétention à l'objectivité : le remplacement de l'humain par l'instrument dans le processus de la représentation confère à celle-ci un caractère d'exactitude jamais atteint. Dans le même temps, ce processus est aussi perçu comme aliénant, dans la mesure où il dépossède le sujet de lui-même, le soumettant à la technique médiatique, le réduisant au rang d'effet de langage. L'effet de vérité du discours semble ainsi aboli. Un nouveau paradigme, valorisé en sens parfois opposés, s'affirme ainsi, que la littérature n'a cessé d'interroger.
2) La perte d'origine
La dissociation de la technique et de l'expression conduit à dénier la valeur d'origine traditionnellement conférée à l'énonciation : l'origine du tableau (la main du peintre) y demeure impliquée, compliquée (elle le signe) ; il n'en va pas de même dans la photographie (quoique cette opposition n'ait cessé d'être déconstruite par les arts depuis plus d'un siècle : c'est une des réponses discursives évoquées). En découle l'impossibilité structurelle de toute authentification, dont témoigne exemplairement le processus de manipulation des images photographiques. Celles-ci se singularisent ainsi par la double perception, contradictoire, qu'elles produisent : d'un côté, elles semblent incontestables, dans la mesure où elles sont prises sur le vif (à la différence du témoignage, par exemple, qui est toujours rapporté) ; de l'autre, elles produisent des effets de déréalisation, de schizophrénie, mettent en cause la référentialité du discours, dans une épreuve nouvelle du gouffre pascalien dont témoignent les réactions néo-baroques qui caractérisent la littérature du XXe siècle.
3) La parole orpheline
Dans le même ordre d'idées, l'invention de ces nouveaux médias a contribué à déplacer considérablement le rapport entre sphère publique et sphère privée, en promouvant notamment l'avènement des médias de masse et, consécutivement, l'imposition de valeurs uniformes. La dimension de l'adresse, qui configure le discours (tout discours se construit comme réponse), s'est ainsi transformée dans la mesure où elle est devenue incontrôlable, ce qui peut expliquer des réactions littéraires comme l'hermétisme, l'ironie, les littératures de l'intime, etc.
4) La mise en série
Les médias modernes inaugurent aussi l'ère de la sérialisation et de la standardisation : avec eux, l'image unique ou renvoyant à un original unique devient une parmi d'autres, mettant en cause la dimension humaine essentielle de l'événement. Cet effet de structure a souvent été étudié dans le domaine des arts plastiques, mais il a également provoqué des réactions littéraires, qui mériteraient d'être analysées.


Ce colloque a été conçu dans le cadre d'une réflexion plus large, portant sur la force critique et opératoire du discours littéraire, et sur la nécessité et les enjeux de son enseignement. Cette réflexion est menée en collaboration avec l'équipe de recherche « Lettres, langages et arts » de l'Université de Toulouse-Le Mirail. Ainsi, le colloque de Louvain constitue le premier volet d'un dyptique franco-belge, que viendra compléter le colloque Images, discours, dispositifs, qui aura lieu à Toulouse.

ProgrammeJeudi 24 février
9h00 : accueil des participants
9h30 : allocution d'ouverture du colloque par le Professeur Roland KEUNINGS, Prorecteur à la recherche
9h45 : présentation scientifique du colloque par Pierre PIRET
10h30 : pause café
10h45 : Arnaud RYKNER (Université de Toulouse-Le Mirail) : La pantomime comme réponse théâtrale aux nouvelles images dans la seconde moitié du XIXe siècle
11h15 : Jean-Pierre BERTRAND (Université de Liège) : Un genre né par et pour la presse : le poème en prose
11h45 : discussion
12h30 : repas
14h00 : Pascal DURAND (Université de Liège) : L'aura et la chose littéraire : une mise au point
14h30 : Charles GRIVEL (Université de Mannheim) : Le Symptôme photographique
15h00 : discussion
15h45 : pause café
16h00 : Stéphane LOJKINE (Université de Toulouse-Le Mirail) : Dispositifs de récit dans l'Angélique de Robbe-Grillet : répétition, reproduction, perversion
16h30 : Christophe MEUREE (U.C.L.) : Simultanéité, répétition et effacement : de la narration proliférante à l'illisibilité dans quelques pages de Duras, Koltès, Lodge et Woolf
17h00 : discussion

Vendredi 25 février
8h45 : Bénédicte DE VILLERS (Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles) : La condition technologique de l'homme
9h15 : Nathalie FROGNEUX (U.C.L.) : La théorie esthétique de la « formativité » de Luigi Pareyson
9h45 : discussion
10h30 : pause café
10h45 : Evelyne GROSSMANN (Université de Paris VII) : « Le derme de la réalité » : écriture et cinéma chez Antonin Artaud
11h15 : Pierre PIRET (F.N.R.S.-U.C.L.) : Pouvoir et image, pouvoirs de l'image : Jean Genet
11h45 : discussion
12h30 : repas
14h00 : Ginette MICHAUX (U.C.L.) : Le regard proustien et la photographie
14h30 : Nathalie AUBERT (Oxford Brookes University) : Christian Dotremont et la photographie
15h00 : discussion
15h45 : pause café
16h00 : Philippe ORTEL (Université de Toulouse-Le Mirail) : Lyrisme et communication : réflexion sur le « transport » à l'époque romantique
16h30 : Daniel GROJNOWSKI (Université de Paris VII) : Photographie et croyance : du spiritisme à la métapsychique
17h00 : discussion

Samedi 26 février
8h45 : Laurent VAN EYNDE (Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles) : La tentation hermétique : résistance ou invention ? Notes philosophico-littéraires au départ d'Adorno
9h15 : Michel LISSE (F.N.R.S.-U.C.L.) : Secrète la visibilité. Jacques Derrida et la photo-skia-graphie
9h45 : discussion
10h30 : pause café
10h45 : Isabelle OST (F.N.R.S.-U.C.L.) : Le langage de l'image : réponse de Beckett au traitement médiatique du visuel, à la lumière d'une rencontre avec Gilles Deleuze
11h15 : Paule PLOUVIER (Université Paul Valéry, Montpellier) : Le sujet aphoristique. À propos de Quignard
11h45 : discussion et conclusions
13h00 : repas de clôture


Lieu
Le colloque se tiendra à la Salle du Conseil de la Faculté de philosophie et lettres de l'U.C.L.
Collège Erasme
Place Blaise Pascal 1
B-1348, Louvain-la-Neuve
Pour se rendre à Louvain-la-Neuve : http://www.ucl.ac.be/LLN/acces-lln.html
Une fois sur place : http://www.dom.ucl.ac.be/info_plan.html (la Faculté de Philosophie et Lettres se trouve à deux pas de la Grand Place et à cinq minutes de la gare)

Colloque organisé par le Centre de recherche Joseph Hanse. Littératures de langue française : théorie littéraire et littérature comparée (CJH)
Université catholique de Louvain
Faculté de philosophie et lettres - Département d'études romanes
Collège Érasme
Place Blaise Pascal, 1
B-1348, Louvain-la-Neuve

Renseignements pratiques et inscriptions
Pierre Piret
Tél. +32 (0) 10 47 20 51 ou 65 89 21
Fax +32 (0) 10 47 25 79
Courriel : piret@rom.ucl.ac.be
Site web : http://cjh.fltr.ucl.ac.be (actualités)

Avec le soutien
du Département d'Études romanes de l'U.C.L.
de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'U.C.L.
du Fonds National de la Recherche Scientifique
du Commissariat Général aux Relations Internationales
du Ministère de la Communauté Française (Administration générale de l'Enseignement et de la Recherche scientifique)