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La Licorne : "Dire le travail. Fiction et témoignage depuis 1980"

Publié le par Sarah Lacoste (Source : S. Bikialo et J.-P. Engélibert)

La Licorne

Dire le travail. Fiction et témoignage depuis 1980

Depuis les années 1980, un nombre croissant d'écrivains, s'inscrivant dans une forme spécifique de ces “retours au réel” analysés par Dominique Viart, s'intéresse à la vie au travail : à la condition ouvrière et aussi à celle des employés et des cadres. Ce n'est pas un hasard : c'est le moment où, d'une part, le chômage de masse est apparu comme inéluctable, et celui où, d'autre part, le "nouvel esprit du capitalisme" décrit par L. Boltanski et E. Chiapello (dans leur livre éponyme de 1999) impose à la grande majorité des salariés français ses nouvelles exigences – adaptabilité, flexibilité, implication accrue dans le service, etc. – et les légitime par un nouveau discours, celui des "ressources humaines". Le travail s'est ainsi métamorphosé : désindustrialisation, disparition de la classe ouvrière et restructurations sont allées de pair avec le thème idéologique de la "fin du travail". Ces changements dans la réalité et dans les représentations devaient fatalement être pris comme objets par la littérature. Il faut souligner la vitesse avec laquelle la littérature a exprimé cette "bascule" (le mot est de François Bon, repris par Dominique Viart) : François Bon (Sortie d'usine, 1982 et Leslie Kaplan (L'excès, l'usine, 1982 aussi), les premiers, seront bientôt suivis d'autres auteurs.

Il convient donc de se demander comment cette réalité nouvelle est représentée, à savoir :

  • -  ce que la littérature représente (lieux de travail, processus de travail, découverte de métiers, expérience de la perte d'un emploi, expériences subjectives multiples et changeantes du travail dans un monde en transition),
  • -  comment le texte (roman ou récit) prend en charge ces objets (comment sa forme en est affectée).

“Dire le travail”. Ce titre exprime ainsi une double ambition : étudier la manière dont la littérature contemporaine représente le travail et étudier la manière dont cet objet "travaille" la fiction, le récit (comme genre opposé au roman), la narrativité, la syntaxe, le vocabulaire.

Un exemple rapide de ce dernier point est fourni par Daewoo (2004) de François Bon, objet littéraire inclassable, présenté comme un "roman", mais qui est aussi enquête, témoignage et pièce de théâtre (créée sous le même titre par Ch. Tordjmann, Avignon, 2004, et dont le roman reprend de larges extraits). François Bon tire de l'objet social qu'il construit une théorie littéraire :

Finalement, on appelle roman un livre parce qu'on a marché un matin dans ce hall où tout, charpente, sol et lignes, était redevenu géométrie pure (...), et le territoire arpenté, les visages et les voix, les produire est ce roman. Ils appellent le récit parce que le réel de lui-même n'en produit pas les liens, qu'il faut passer par cette irritation ou cette retenue dans une voix, partir en quête d'un prénom parfois juste évoqué, et qu'on a griffonné dans le carnet noir. Les noms de ceux qui ne sont plus, comme autant d'appels d'ombre. La masse que cela supposait de figurer, reconstruire : il n'y a littérature que par le secret tenu.

Le roman s'autorise du réel et lui est nécessaire parce que le réel "ne produit pas les liens" du territoire, des hommes et de leurs paroles, que le roman devra produire pour lui. Le réel les gardant au secret, il devra lui opposer un autre secret, celui de "l'ombre" dont l'appel l'entraîne tout entier (Sylvia dans Daewoo).

            C'est pourquoi l'objet est aussi linguistique : la fiction doit trouver une langue à la hauteur de cette obligation. C'est la langue des ressources humaines que François Emmanuel détourne et  interroge dans La Question humaine (2000), que Lydie Salvayre met en scène dans La Médaille (1993) ou que Thierry Beinstingel pastiche dans Central (2000), c'est le décalage linguistique entre la dernière génération de la classe ouvrière et ses enfants qui émeut dans Les Derniers Jours de la classe ouvrière (A. Filippetti, 2003). Tous ces romans montrent qu'exprimer les nouvelles formes du travail exige de nouvelles formes littéraires : jeu sur l'énonciation et la polyphonie (Salvayre, Bon, Vinaver), déplacement de la frontière entre la fiction et le témoignage (Bon, Franck Magloire, Beinstingel, Fajardie), expériences de contraintes syntaxiques et structurelles (Beinstingel, Kaplan), emploi du pastiche et de l'ironie (Mathieu Larnaudie, Nicole Caligaris [L'Os du doute, Verticales, 2006]), etc.

            On s'intéressera aussi au récit, qui peut être celui de sociologues en "établis" ou en "observation participante", de psychanalystes ou de travailleurs qui écrivent leur expérience et se posent la question de l'écriture : comment écrire l'expérience du travail, comment la faire partager (Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Pearson, 2008, Marcel Durand, Grain de sable sous le capot, Agone, 2006, Thierry Metz, Le Journal d'un manoeuvre, L'Arpenteur, 1990).

            Le champ étant large et les oeuvres à étudier nombreuses, les articles de synthèse portant sur plusieurs auteurs seront nettement prioritaires. L'approche pourra être thématique, générique ou formelle,  sociologique ; seule la monographie est à proscrire. Le volume sera ouvert à la littérature étrangère, les contributions comparatistes sont les bienvenues, l'objectif étant de constituer un panorama international sur la question.

Propositions (d'une page environ) à envoyer avant le 30 septembre 2009 à Stéphane BIKIALO (sbikialo@wanadoo.fr ) et Jean-Paul ENGELIBERT (jean-paul.engelibert@u-bordeaux3.fr )

Remise des articles (30000 à 35000 signes) : septembre 2010.

Parution : Janvier-Mars 2011