Questions de société

"La grande patouille des Labex", par H. Audier (SLR 17/03/11)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Liste Coordination Nationale des Universités et SLR)

La grande patouille des Labex (sur SLR)
Par Henri Audier, le 17 mars 2011


Comme prévu, les résultats des Labex du Grand emprunt ont donné lieu à la plus grande patouille jamais vue en France. Chacun le sait, il y a un milliard à distribuer, mais en capital, pour 240 réponses à l'appel à projet. Tout début mars, les « jury internationaux » se sont réunis et auraient sélectionné « en A+ » 39 projets dont 9 en SHS.

Mais ça se passe mal, et même très mal en SHS. Les résultats devaient être donnés le 17 mars, puis reportés au 18, puis reportés à la semaine d'après. Etrange, car il faut en gros deux heures entre la fin du jury d'un vrai concours et l'affichage des résultats, juste le temps nécessaire au Président du jury pour aller faire signer sa liste au ministère. Pourtant, dès le 7 mars, des gens bien introduits annoncent déjà, dans leurs laboratoires, qu'ils ont gagné à ce loto. La liste est donc connue et c'est bien là le problème.

Car la liste connue, c'est la panique au ministère, Matignon appelle, un conseiller de l'Elysée intervient aussi. Car blasphème il y a : le jury a classé en C notre plus grand centre d'économie hyper-excellent, que nous appelleront ici EET pour préserver son anonymat. Pensez-vous, ces experts internationaux sont nuls ! L'EET est reconnu internationalement, mais sans doute sauf des experts internationaux du jury ! Elle est financée par la plus grosse fondation à laquelle ont participé banques et assurance. Et s'il n'y avait que l'EET ! Le ministère, Matignon, l'Elysée avaient chacun son Labex préféré, au meilleur niveau international, mais pourtant non retenu par le jury.

Mais il y a pire. Une fois la carte de France coloriée, il apparaissait que les 2/3 des régions n'avaient pratiquement rien, bien peu de chances d'avoir un Idex, et n'avaient obtenu que des clopinettes aux autres appels d'offre. Non qu'il y ait le moindre souci d'aménager le territoire, mais ce serait mal venu si, en 2012, l'opération-phare de l'effort pour l'enseignement supérieur et la recherche de la droite se transformait en sabordage des 2/3 des universités françaises. Et puis, il y a quand même les cantonales et se mettre à dos les potentats et les élus locaux, même de droite, ce n'est pas le moment ! « Ne pourrait-on pas différer les résultats après le premier tour, et même après le second tour, cela serait mieux », téléphone un parti politique dont on ne nous a pas dit le nom.

Donc, on se remet a travail, on explique aux experts internationaux qu'ils n'ont rien compris à ce qu'on attendait d'eux, qu'ils n'ont pas pris en compte « l'effet structurant » que devait avoir l'opération. On leur dit que Monsieur Ricoll, le commissaire au Grand emprunt qui est un grand scientifique connu de tous, tient beaucoup au susdit effet structurant. On arrive ainsi à faire remonter quelques labos, généralement de ceux qui n'avaient vraiment pas besoin de ça pour vivre, à rééquilibrer un peu la géographie de la France pour neutraliser les grandes gueules.

Mais, nouveau problème, qui justifie le temps nécessaire pour transmettre les résultats du jury : si on fait remonter des Labex, il faut en éliminer d'autres, à qui on avait déjà fait savoir que « c'était bon ». Et si on en met plus en SHS (on en est maintenant à 15), il faut éliminer des physiciens qui vont râler. Si on annonce 50 vainqueurs, cela va faire drôle …

Bref, on en est là. On a encore quelques jours pour trouver une solution. Même à l'ANR (qui gère le dossier) et au ministère, certains commencent à trouver qu'on pousse un peu loin le bouchon. Et encore heureux que personne ne soit au courant, car si cette histoire était connue, chacun conclurait… qu'il faut remettre à plat le Grand emprunt.