Questions de société

"La fièvre de l’évaluation, Entretien avec Y. Gingras", par S. Paye (laviedesidees.fr, le 16/9/14)

Publié le par Marc Escola

Un entretien en ligne sur laviedesidees.fr:

 

La fièvre de l’évaluation, Entretien avec Yves Gingras, par Simon Paye, le 16 septembre 2014

Depuis une trentaine d’années, l’évaluation quantitative de la recherche agite le monde scientifique : établissements, laboratoires, revues, mais aussi chercheurs sont évalués, mesurés et classés par le moyen d’indicateurs bibliométriques. Yves Gingras porte un regard d’historien et de sociologue sur les controverses actuelles autour de l’évaluation de la production scientifique.

Yves Gingras est professeur au Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. Il vient de publier Les dérives de l’évaluation de la recherche, du bon usage de la bibliométrie (Raisons d’agir, 2014), ainsi qu’un ouvrage collectif sur les controverses scientifiques : Controverses : accords et désaccords en sciences sociales et humaines (éditions du CNRS, 2014).

La Vie des idées : Dans Les dérives de l’évaluation de la recherche, vous montrez comment les outils bibliométriques, apparus dans la première moitié du vingtième siècle, n’ont été mis au service de l’évaluation de la recherche qu’à partir des années 1980. Quels en étaient les usages auparavant, et comment expliquer que leur utilisation à des fins d’évaluation ne soit apparue qu’au cours des trente dernières années ?

Yves Gingras : Comme je le montre au Chapitre 1 de l’ouvrage, l’analyse bibliométrique, c’est-à-dire l’étude de l’évolution du nombre de publications et l’analyse des références (citations) qu’elles contiennent, émerge dans un contexte de gestion des collections des bibliothèques. Par exemple, l’analyse de la distribution de l’âge des références permet de savoir s’il faut rendre disponibles facilement les publications de plus de 10 ans ou si l’on peut les élaguer ou les mettre en entrepôt. Avant les années 1960, ces études se font à la main sur des échantillons limités de revues. Quant à l’index des citations, le fameux « science citation index » inventé par Eugene Garfield, spécialiste en sciences de l’information (pas en évaluation !) au milieu des années 1950, sa fonction première était de faciliter la recherche bibliographique. C’est d’ailleurs encore un outil essentiel de ce point de vue : au-delà de l’égotisme généré par la manie de « compter ses citations », il est en effet utile de voir qui cite vos papiers car cela vous renseigne sur les personnes qui travaillent sur le même sujet que vous et qui publient dans des revues que vous ne consultez pas nécessairement. Mais aujourd’hui, avec internet, cette fonction est souvent assurée par les revues elles-mêmes qui vous envoient – sans que vous le demandiez – des courriels indiquant : « On a cité un de vos papiers ! ». […]

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