Actualité
Appels à contributions
La culture judiciaire du Moyen Âge à nos jours. Rhétorique, représentation et arbitraire   

La culture judiciaire du Moyen Âge à nos jours. Rhétorique, représentation et arbitraire

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Lucien Faggion)

La culture judiciaire du Moyen Âge à nos jours. Rhétorique, représentation et arbitraire

Est-il naturel d’être soi-même sur la scène judiciaire ? La question peut sans doute surprendre. Pourtant, la pratique des archives judicaires fait émerger des configurations rhétoriques, des discours attendus et des attitudes motivées par la situation d’urgence dans laquelle la crainte du bras vengeur de la justice place le prévenu, le témoin, le plaignant devant l’opinion, plus souvent appelée le « bruit public » sous l’Ancien Régime. La pratique régulière de la justice, les confrontations aux différents récits qui s’échappent des tribunaux, des témoins bavards et des jurés peu scrupuleux, rendent compte d’une profonde familiarité des justiciables du monde de la justice, lesquels témoignent tous d’une fine connaissance des usages du discours judiciaire et des réponses qui peuvent être attendus en justice, réponses censées accabler, atténuer ou disculper l’auteur de l’acte réalisé auprès des juges chargés de l’enquête. Ainsi, selon le délit commis et, parfois, le sexe, se distingue une instrumentalisation des discours et des représentations des individus confrontés au crime, à la morale, aux convenances et à l’État. Parler de scène judiciaire suppose que le justiciable se produit et se donne en spectacle, selon une ritualisation de soi, à la fois dans son rapport à autrui et aux normes, le plus souvent tacites, régissant la société. Il apparaît, par exemple dans les affaires d’infanticides, que des similitudes rhétoriques sont dévoilées par de tels récits mortifères formulés en justice. Les infanticides ainsi élucidés mettent l’accent sur la mort de l’enfant, dès l’accouchement, ou soulignent alors l’inexpérience de la femme, incapable de comprendre son état de grossesse. L’intérêt est de considérer, dans chacune des articulations du procès, la capacité à relier la cause dénoncée avec la société, la justice et la politique : aucun procès ne peut être envisagé dans sa seule logique interne, quoique celle-ci soit essentielle à la compréhension et à la dynamique de l’instruction de l’affaire ; il tend aussi à s’intégrer dans un discours qui est celui de la politique, urbaine ou souveraine, du Moyen Âge à nos jours.

 

L’ouvrage propose 5 axes de réflexions :

 

Axe 1.- Le genre et la justice. L’étude des archives judiciaires d’Europe sous l’Ancien Régime semble mettre en lumière que, selon les crimes et la circonstance de leur réalisation, les hommes et les femmes sont amenés à développer des stratégies rhétoriques et des procédés discursifs spécifiques, des postures et des récits propres à leur sexe. Mais existe-t-il un discours qui traduirait un dimorphisme sexuel ? Quelles sont les différences et les spécificités éventuelles en termes de représentations et de réalité sociale décrite par les hommes et les femmes du Moyen Âge à nos jours ? Quels sont les arguments mis en lumière par les hommes et les femmes, et quelles sont les réalités – leur vérité – traduites par le mot en justice ?

 

Axe  2.- Trouble de soi et émotion en justice. À travers le discours du plaignant, de la victime, du prévenu, du témoin, il est intéressant de rendre perceptible l’émotion ressentie par chaque protagoniste du procès, du discours de soi, de la souffrance subie par l’acte violent, qu’il ait été verbal, physique ou symbolique, à celle de devoir tout livrer en justice, au nom de la vérité, et de s’exposer à d’éventuels actes de représailles, les faits déposés entrant, tôt ou tard, dans la sphère du public. Le mot révèle ainsi des enjeux qui sont ceux de l’individu, de la parenté et du groupe auquel il appartient.

 

Axe 3.- Le mensonge judiciaire : formes et permanences. Les justiciables connaissent les rouages de la machine judiciaire, même de façon sommaire, et n’hésitent pas à utiliser, sans doute grâce aux conseils d’amis et d’avocats, les possibilités offertes par la loi et le droit, afin d’éviter la sanction d’une peine, de ne pas conforter un savoir juridique et de mettre en doute, sur la base de pratiques culturelles et politiques, la vérité qui tend à émerger du discours des plaignants et des déposants. Quelles sont ainsi les usages des différents acteurs du procès ? Quels sont les outils qui leur permettent d’être entendus et de ne pas voir invalidées leurs affirmations en justice ? Quelle est la part jouée par les avocats ? Quels sont les rites judiciaires qui permettent à chacune des parties du procès de faire face à l’instruction d’une affaire et aux technicismes utilisés par les experts de la justice ? Quels liens peuvent être dégagés entre le procès et la sphère politique ?

 

Axe 4.- De la comédie à la tragédie, la mise en scène judiciaire. Les discours prononcés devant le juge rendent également compte de pratiques littéraires, qui reposent parfois, explicitement, sur des récits anciens ou sur d’autres récents que les contemporains, qu’ils soient ou non appelés à jouer un quelconque rôle dans le procès, comprennent. Cette forme de dialogue, qui peut se décliner sur des registres différenciés allant de la comédie au drame et à la tragédie, autorise les acteurs de la justice – en l’occurrence les parties impliquées, soutenues par leurs avocats – à jouer sur la rhétorique destinée à infléchir le procès dans un sens qui soit favorable à l’une ou l’autre des parties. Quelle est, ainsi, la mise en scène judiciaire conçue par les plaignants, les avocats et les prévenus ? Quel est le rôle joué par l’opinion publique, qui est aussi appelée à se prononcer, ainsi que celui de la littérature grise, de l’échafaud, du roman noir sur le procès et son histoire du Moyen Âge à nos jours ?

 

Axe 5.- La culture judiciaire à l’épreuve du discours des experts. Le procès est l’expression d’une culture à la fois juridique et culturelle, et rend manifestes les pratiques sociales d’une communauté à une époque donnée. À ces discours s’ajoutent ceux livrés par les experts, des légistes et des médecins, sur le corps, qu’il ait été blessé, meurtri, torturé. Aussi la science des experts contribue-t-elle à donner à lire différemment le procès et l’enrichit d’une perception nouvelle, censée conforter l’intime conviction du juge qui est tenu de prononcer la sentence. L’intérêt est ainsi prêté à saisir une vérité multiple qui repose, d’abord, sur l’expert de la justice, puis sur le médecin : une confrontation de discours, allant de la culture savante, littéraire, culturelle, juridique et scientifique qui contribue à exprimer des sensibilités collectives, et à rendre compte de la perception du corps, celui qui a été blessé ou qui est mort.

 

Les propositions d'articles (titre + résumé d'une page maximum) seront à retourner aux adresses suivantes : lcnfaggion@gmail.com et christopheregina@gmail.com, avant le 1 mars 2012.