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La critique musicale dans le monde germanique au XXe siècle. Élaborations discursives et construction d’objets

La critique musicale dans le monde germanique au XXe siècle. Élaborations discursives et construction d’objets

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Jean-François Candoni)

Journée d’étude

28 novembre 2013, Rennes 2

La critique musicale dans le monde germanique au XXe siècle.

Élaborations discursives et construction d’objets

Coordination :

Jean-François Candoni (ERIMIT) et Timothée Picard (CELLAM/IUF)

 

Dans le monde germanique, la production artistique est traditionnellement assortie d’un discours critique qui ne cherche pas uniquement à produire un jugement esthétique fondé sur la raison, mais qui, depuis Kant, se fixe également comme objectif d’ « arpenter l’espace du possible » (Birgit Recki). La musique, forme d’art venue sur le tard dans une « nation retardataire » (verspätete Nation), illustre de façon paradigmatique cette interdépendance entre réflexion critique et production artistique : les discours sur la musique ont joué un rôle déterminant dans l’exceptionnel développement de la vie musicale allemande au cours des deux siècles passés. S’il se développe très tôt une critique musicale « poétique » due à des écrivains ou à des artistes (Hoffmann, Schumann) et comparable à certains phénomènes observés en France, ce sont, depuis le XIXe siècle et la professionnalisation de la critique musicale (A.B. Marx, Brendel, Ambros, Hanslick), des types de discours dérivés de la philosophie esthétique qui dominent.

La journée d’étude organisée à Rennes le 28 novembre 2013 sera consacrée à la critique musicale allemande au XXe siècle (1918-2000) et se concentrera sur les textes publiés dans la presse écrite (imprimée sur support papier), qu’il s’agisse de revues spécialisées comme Melos, la Neue Zeitschrift für Musik ou Opernwelt, ou bien des pages consacrées à la vie musicale dans les pages culturelles (Feuilleton) de la presse régionale ou nationale (Frankfurter Zeitung, F.A.Z., Neue Freie Presse, etc.).

Il serait souhaitable que l’ensemble des interventions permette de couvrir les différentes phases de la vie culturelle allemande et autrichienne du XXe siècle : nous envisagerons non seulement la seconde moitié du XXe siècle, mais également la république de Weimar, la dictature nazie, la RDA – on se demandera par exemple si le critique ne se transforme pas, dans les régimes totalitaires, en fonctionnaire de la culture. Des études synthétiques sur les grandes tendances de la critique musicale allemande pourront être complétées par des interventions consacrées à des revues ou bien à des figures de critiques particulièrement représentatives (Hans Heinz Stuckenschmidt, Paul Bekker, Julius Korngold, Joachim Kaiser) ainsi qu’à des écrivains qui se sont essayés à la critique musicale (Hermann Bahr, Max Brod, Soma Morgenstern, Hanns-Josef Ortheil). On s’efforcera au passage de rendre compte des spécificités de la critique musicale dans le monde germanique par rapport aux autres espaces européens.

Il faudra s’interroger sur la coupure qui s’accentue rapidement au cours du XXe siècle entre la critique de la production musicale (Werkkritik) et la critique de l’interprétation (Interpretations­kritik) – distinction que l’on affinera, selon les critères proposés par Mathias Döpfner, en envisageant la critique des institutions et manifestations musicales (Organisations­kritik). On essaiera de comprendre comment et pour quelles raisons un fossé de plus en plus infranchissable s’est creusé entre une critique de la Neue Musik (pour reprendre le concept introduit par Paul Bekker) fortement spécialisée et professionnalisée, et une critique de l’interprétation qui s’épanouit dans un cadre journalistique moins rigoureux (Publizistik), à l’intention d’un public élargi. On pourra dans cette perspective enquêter sur le déclin, réel ou supposé, mais sans cesse invoqué, de la critique musicale allemande : dès les années 1960, de nombreuses voix dénoncent l’écart grandissant entre une critique de la création contemporaine qui s’adresse à un cercle restreint de lecteurs initiés et une critique de l’interprétation de plus en plus dépendante des politiques de marketing des institutions et de l’industrie musicales – c’est dans ce cas la fonction de prescription et d’information (Empfehlungs­­journalismus) qui prend le pas sur la véritable critique, le journaliste se contentant alors d’être le porte-voix du discours dominant : « si l’opinion publique musicale tombe souvent dans le bêlement, dans le ressassement de clichés donnés comme preuves de sa propre loyauté culturelle, la tentation augmente en même temps pour de nombreux critiques de bêler avec le groupe », constate Adorno en 1962.

Ces assertions posent la question, qui sera au centre de la journée d’étude, de la façon dont on fonde en Allemagne la légitimité du discours de la critique musicale. On se demandera qui est habilité à tenir un discours critique, quel est le statut social et économique du journaliste musical (peut-il avoir aujourd’hui une autorité comparable à celle dont bénéficia Eduard Hanslick au XIXe siècle ?), ce qui conduira également à s’intéresser aux compétences requises, qu’elles soient musicologiques, esthétiques ou rhétoriques. Il faudrait accessoirement, afin de mieux cerner le champ d’étude, rendre compte des subtiles distinctions qui existent entre les termes de Kritiker, Kunstrichter, Rezensent ou Musikschriftsteller, et délimiter les espaces qui reviennent à la critique musicale par rapport à ceux qui restent l’apanage de la musicologie.

On s’intéressera également dans une perspective métacritique, aux multiples débats autour de la subjectivité de la critique musicale et de sa capacité à énoncer une forme de vérité : les positions adoptées vont de la condamnation pure et simple de la subjectivité au nom de la parole de l’expert à l’idée, défendue par Adorno et Dahlhaus, que la véritable subjectivité (celle qui n’est pas enfermée dans des préjugés) est la condition de la pertinence de la critique – seul « un sujet parfaitement différencié » serait capable, selon Dahlhaus, « d’émettre sur un objet des observations méritant d’être communiquées ».

Quels que soient les reproches formulés envers une critique musicale qui se contenterait reproduire des clichés en espérant que leur sempiternelle répétition serait le signe de la part de vérité qu’ils contiennent (Adorno), personne ne remet en cause l’importance sociale de la critique musicale, principal medium du développement d’une opinion publique musicale.  La parole du critique crée une communauté, un sous-groupe social, dont la presse constitue le lien : « pour être pertinente, la critique est dépendante de la continuité » (Dahlhaus), et cette continuité institutionnelle se matérialise dans le journal, sans lequel il n’y aurait que des discours épars et discontinus, incapables de donner naissance à une opinion publique.

On ne négligera donc pas les perspectives sociales (qui s’adresse à qui ? y a-t-il une homogénéité des présupposés sociaux et idéologiques des auteurs de critiques et de leurs lecteurs ?) et historiques : le discours ouvertement nationaliste et raciste (völkisch) qui sous-tend nombre d’articles des Bayreuther Blätter (années 1920-1930) est évidemment aux antipodes des positions résolument progressistes d’Adorno ou de la revue Melos, mais d’autres arrière-plans idéologiques peuvent s’exprimer de manière plus insidieuse. Il apparaît donc nécessaire d’étudier le contexte social, institutionnel et idéologique dans lequel est produit le discours du critique, de saisir les codes sociaux qui y transparaissent, ainsi que les présupposés poétologiques, philosophiques ou idéologiques qui sous-tendent ses énoncés.

On examinera enfin comment s’organise le discours de la critique musicale allemande, quelles sont les stratégies rhétoriques ou communicationnelles mises en œuvre (style, schémas stéréotypés, concepts clefs, place et statut accordés aux termes techniques), et comment le discours de la critique musicale se comporte par rapport à d’autres discours : y a-t-il par exemple un lien entre la façon dont la critique rend compte de l’interprétation « historiquement informée » et la réception du new historicism dans le monde germanique ?

La journée d’étude s’appuiera sur le postulat selon lequel la critique musicale ne se contente pas de décrire ou de rendre compte d’un objet, mais contribue également pour une large part à construire cet objet : l’œuvre musicale est en partie perçue à travers des discours qui lui donnent un sens. Ces derniers recourent largement à des  énoncés métaphoriques – sans lesquels il est quasiment impossible de rendre compte de la musique – ; plus les métaphores seront riches et variées, plus la perception des œuvres par le public sera fine et nuancée. De manière générale, les communications qui, dans une perspective de type littéraire, s’interrogeront sur les formes et styles d’écriture pratiqués, seront les bienvenues.

L’objet d’étude étant un ensemble de discours élaborés dans un espace donné, on cherchera à en observer les différentes facettes, les phases de développement, les éléments de rupture en faisant, le cas échéant, appel aux outils méthodologiques fournis pas les théories du discours du XXe siècle, en particulier celles qui ont eu un large écho dans le monde germanique (linguistic turn, post-structuralisme, etc.).

Modalités

Les propositions de communication devront être envoyées avant le 30 juin 2013 simultanément à Jean-François Candoni (jf.candoni@gmail.com) et à Timothée Picard (timothee.picard@gmail.com).

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un programme concernant « La critique musicale au XXe siècle » (Institut universitaire de France). On trouvera un descriptif des journées d’études passées ou à venir sur le site du CELLAM (www.cellam.fr). Les communications feront l’objet d’une publication en fin de programme.