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La contagion : enjeux croisés des discours médicaux et littéraires

La contagion : enjeux croisés des discours médicaux et littéraires

Publié le par Sophie Rabau (Source : Ariane Bayle)

Colloque internationalpluridisciplinaire

Dijon, 10 et 11 septembre2009

La Contagion : enjeuxcroisés des discours médicaux et littéraires 

(XVIe-XXIesiècle)

Objectif général du colloque

Cecolloque, organisé par Ariane Bayle (MCF en littérature générale et comparée)et Jean-Luc Martine (MCF en littérature française) à la faculté de lettres del'Université de Bourgogne, se déroulera sur deux jours, le jeudi 10 et vendredi11 septembre 2009. L'objectif du colloque est de mieux comprendre l'historicitéde la métaphore de la contagion pour parler des effets du discours littéraireet des productions esthétiques d'une manière plus générale, en adoptant uneapproche diachronique.

Cecolloque pluridisciplinaire n'a pas seulement pour vocation de réunir des spécialistesde l'histoire de la littérature et des arts et des historiens de la penséemédicale, il est ouvert à toutes les disciplines (philosophes, linguistes,anthropologues) intéressées par la question.

pistes de réflexion

Une métaphore invasive 

Dire des représentations, mentales ou publiques,qu'elles se propagent comme des maladies est un topos tellement ancien que nous avons tendance à perdre devue que cette idée de contagion est métaphorique. Dès lors qu'on reconnaît uneforce aux discours, aux représentations ou aux croyances, dès lors qu'onreconnaît qu'ils agissent sur les individus en les transformant et qu'ilspeuvent se transmettre d'un individu à un autre, nous sommes tentés de parlerde cette transmission en termes naturalistes : la force à l'oeuvre danscette transmission serait de l'ordre du vivant. C'est certainement du côté dela psychologie que cette métaphore a été et reste la plus productive : lacommunication intersubjective des émotions, des états mentaux ou des pulsions asouvent été décrite en termes épidémiologiques, en particulier lorsque onentendait lutter contre eux : quelques cas anciens peuvent servir derappel, comme La Contagion sacrée. Histoire naturelle de la superstition d'Holbach (1768) ou La Contagion du meurtre. Étuded'anthropologie criminelle du Dr.Paul Aubry (1894). La métaphore est particulièrement mobilisée pour parler dela transmission des idéologies, que l'on pense à la « peste brune »ou, pour donner un exemple plus cocasse, à une thèse des années 1970 intitulée LeFéminisme : un exemple de contagion idéologique.

Dans une période plus récente de l'histoire dessciences humaines, la métaphore a pu être utilisée dans un sens qui se voudraitaxiologiquement neutre. Ainsi Dan Sperber défend-il l'idée d'une conceptionépidémiologique des représentations culturelles et parle de« contagion des idées », en évacuant l'idée de pathologie[1]. Ce refus conscient de la connotation dysphorique,pourtant historiquement si prégnante, qui consiste à maintenir la métaphore en luidéniant son caractère morbide, n'est pas sans poser problème. Il traduit entout cas la productivité particulière et la séduction de l'imaginaire viralpour l'époque contemporaine, dans des champs disciplinaires très variés(sciences humaines, informatique, économie). Il conviendra de s'interroger surles divers présupposés idéologiques qui peuvent, aujourd'hui, motiver lamétaphore de la contagion virale. Dans une époque marquée par le sida, et déjàrompue au scénario catastrophe de la guerre bactériologique, le virus,susceptible de mutations infinies mais désormais instrumentalisable, n'est-ilpas devenu, à l'heure de l'Internet mondialisé, la meilleure entité possible –la seule ? – pour exprimer et naturaliser une force de propagation des idéesqu'aucune volonté humaine n'est jamais certaine d'endiguer ? Ainsi, on seplaît à parler de contagion, avec « neutralité », pour désigner unobjet que l'on connaît, que l'on peut décrire ou décoder tout en reconnaissantqu'on ne peut le maîtriser. Dans les usages métaphoriques récents des mots« contagion » ou « virus », se manifeste encore et toujoursla peur de la dilution des singularités, de l'indistinction.

A la croisée des discours esthétique et scientifique

Dans le champ de la poétique occidentale, les imagestopiques de la contamination et de la corruption de l'âme et du corpsapparaissent très précocement, lorsque Platon ou Plutarque, par exemple,évoquent les effets possibles de la mimésis, conçue comme poison ou venin.L'idée de contagion, elle, suppose que cette altération du sujet esttransmissible à grande échelle ; elle vise non seulement à figurer laséduction mais aussi l'effet d'entraînement irrémédiable induit par lesreprésentations, en particulier les fictions. Elle semble donc interroger plusparticulièrement leur impact social. La manière dont un événement individuel(l'atteinte de la maladie) s'articule à un processus collectif (l'épidémie) estici en jeu.

Les métaphores de la contamination et de lacontagion, récurrentes dans tous les discours anti-mimétiques, ont trouvé desdéveloppements particuliers dans les débats sur le théâtre, des sièclesclassiques[2] jusqu'à l'interprétation magico-religieuse du thèmepar Antonin Artaud dans Le théâtre et son double. Ce débat sur la puissance toxique de la mimésis esttransféré et reformulé avec l'essor du roman, et en particulier du romansentimental, notamment lorsque des médecins des Lumières, soucieux deprophylactique, s'intéressent à l'hygiène de la lecture romanesque, dont lesfemmes sont les premières victimes[3]. De nos jours, des débats similaires prennent pourobjet les images filmiques violentes ou les jeux vidéo, nuisibles par leursupposée puissance d'entraînement, de modélisation des comportements et dedésorganisation du corps social.

On voudrait ici s'interroger plus spécifiquement surla coïncidence ou la non coïncidence, à une époque donnée, entre cettereprésentation de la puissance du discours esthétique et la pensée médicale quilui est contemporaine. Ainsi, au XVIe siècle, Fracastor, médecin etpoète, fait l'hypothèse des seminaria contagionis et développe parallèlement une réflexion sur lesnotions de sympathie et d'antipathie dans le champ de la philosophie naturelle.Est-on fondé à rapprocher les prémices d'un discours médical moderne sur lacontagion, fût-il intuitif, et l'intérêt renouvelé, à la Renaissance[4], pour les commentaires sur la mimésis et ses effetséventuellement néfastes ? De même, la fréquence du thème de la maladiecontagieuse dans la prose narrative du XIXe siècle a souventété observée[5] : le corps malade et contagieux vient figurerune société malade de ses propres négligences ou assaillie par un ennemiextérieur. On peut se demander jusqu'où les découvertes de la microbiologiepasteurienne, moment crucial dans l'histoire de la pensée épidémiologique,viennent influencer l'imaginaire de la contagion ainsi que le discoursmétalittéraire.

En quoi l'étiologie et la séméiologie d'une maladiecontagieuse particulière (peste, syphilis, choléra, tuberculose, sida) informent-t-ellesplus particulièrement le discours sur la production et la réception del'oeuvre ? D'une manière plus générale, en quoi peut-on penser unrapprochement entre une pensée de la perméabilité des corps dans la nature etles effets induits par le discours littéraire ?

Contact

Les propositions de communication (une page maximum),accompagnées d'une courte bio-bibliographie, doivent être adressées avant le 1ermars 2009 à Ariane Bayle (ariane.bayle@free.fr)et Jean-Luc Martine (jean-luc.martine@wanadoo.fr).

[1] Dan Sperber, La Contagion des idées. Théorienaturaliste de la culture, éd. OdileJacob, 1996.

[2] Laurent Thirouin, L'Aveuglement salutaire. LeRéquisitoire contre le théâtre dans la France Classique, Champion, 1997 ; Sylviane Leoni, Le Poisonet le remède. Théâtre, morale et rhétorique en France et en Italie (1694-1758), Oxford, Voltaire Foundation, 1998.

[3] Alexandre Wenger, La Fibre littéraire. Le Discoursmédical sur la lecture au XVIIIe siècle, Droz, 2007.

[4] Claire Carlin (ed.), Imagining contagion in earlymodern Europe, Palgrave MacMillan,2005.

[5] Allan Conrad Christensen, Nineteenth-CenturyNarratives of Contagion, Routledge,2005.