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La Chanson et les Lettres (volume collectif)

La Chanson et les Lettres (volume collectif)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Gilles Bonnet)

 

La Chanson et les Lettres

(chanson, littérature et performance)

 

Volume collectif

 

 

Les nombreuses oeuvres et pratiques qui se plaisent à tresser littérature et chanson doivent nous conduire à venir interroger à nouveaux frais le positionnement des formes littéraires consacrées, ainsi que les valeurs et fonctions du recours à la forme-chanson dans des genres littéraires divers. Dans la lignée des travaux de « cantologie » initiés par S. Hirshi (Chanson : l’art de fixer l’air du temps, Belles Lettres, 2008), et sans s’interdire aucun type d’appréhension critique, nous souhaitons consacrer un volume collectif à l’étude des rapports entre la chanson, la littérature et la performance située au confluent des deux champs cités.

 

Voici trois des axes de réflexion qui pourront être explorés :

 

Quel(s) champ(s) pour la chanson ? quelle(s) poétiques pour la littérature ?

 

La chanson entretient bien sûr d’étroits rapports avec la poésie et l’oralité du littéraire (cf. notamment Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Seuil, 1983 et Dominique Rabaté, Poétiques de la voix, Corti, 1999). C’est également en tant que forme populaire que la chanson a pu constituer un horizon pour la poésie, désireuse de brouiller le fonctionnement des systèmes de légitimation du littéraire. Encanaillée, la poésie du Rimbaud de 1872, par le choix du refrain et du vers bref, veut ainsi s’ébattre dans « le pré des sons ».

Désireuse de se distinguer de la variété à fins commerciales, une tradition de la chanson française illustrée par Léo Ferré, tradition ravivée dans les années 1990 par cette nouvelle chanson française dominée par la figure de Dominique A, s’ancre symétriquement dans le champ littéraire. Le souci du texte conduit même les auteurs-interprètes à faire appel aux textes littéraires déjà canoniques du XXe siècle. L’édition 2011 du Festival d’Avignon accueillait ainsi Jeanne Moreau et Étienne Daho pour un spectacle autour du Condamné à mort de Jean Genet. Lors de la dernière édition du Festival « Les Correspondances » de Manosque, coutumier de tels croisements, Bertrand Belin a donné un « concert littéraire » où ses chansons se frottaient aux textes de Christophe Tarkos, Philippe Jaccottet ou Herman Melville. Certains enregistrements issus de cette manifestation annuelle ont d’ailleurs composé le projet Fantaisie littéraire, où  sont lus et chantés (par Valérie Leulliot, Thomas Fersen, Arman Méliès…) des textes de Paul Celan, Olivier Adam, Richard Morgiève, Georges Hyvernaud, et bien d’autres.

Arnaud Cathrine et Florent Marchet, proposant un genre hybride, ont par ailleurs publié un « roman musical » (Frère animal, 2008). La chanson vient en effet s’insérer dans le champ des formes narratives brèves; et retour : en 2004, quinze écrivains contemporains s’emparaient de chansons de Dominique A et s’en inspiraient pour écrire leurs propres nouvelles (Tout sera comme avant, Verticales). En quoi de telles collaborations peuvent-elles déterminer de nouvelles orientations du texte littéraire en termes de poétique du récit, par exemple ?

 

Chanson et performance littéraire

 

Le compagnonnage chanson/littérature s’incarne également dans un ensemble de pratiques liées à la performance littéraire. Tel est le cas, par exemple, des oeuvres de Lydie Salvayre accompagnées par le travail du musicien Serge Teyssot-Gay (Contre ; Dis pas ça). La collection « Minimales » des éditions Verticales s’est d’ailleurs spécialisée dans la publication de tels croisements littérature/chanson qui s’éloignent de la problématique classique de la simple illustration d’un texte.

L’auteur-compositeur Rodolphe Burger, fondateur du groupe Kat Onoma, accompagne de même régulièrement le travail d’écrivains contemporains porté à la scène, dont celui d’Olivier Cadiot (Hôtel Robinson, 2009). Théâtre, arts plastiques, vidéo, littérature et chanson se croisent ici lors de manifestations qui revêtent parfois des allures de célébration d’un texte littéraire auquel la performance souhaite redonner sa présence et sa vitalité pragmatiques. L’enregistrement vient parfois fixer ces événements : ainsi des lectures-performances des textes du poète hongrois Attila Jozsef par Denis Lavant et Serge Teyssot-Gay, publiées au Seuil en 2008. Qu’advient-il alors au texte littéraire, ainsi relu voire recomposé dans le cadre de la performance, et ouvert, dans un nouveau simultanisme, à une pluralité de médias (images, voix, sons…) ? L’oralisation du texte vaut-elle comme relecture (cf. Mireille Hilsum (dir.), La Relecture de l’oeuvre par ses écrivains mêmes, 2 vols., Kimé, 2007) ? Les anciens cadres théoriques, issus des théories de la réception et de l’analyse de l’énonciation théâtrale, permettent-ils de circonscrire la relation à l’auditeur/spectateur/lecteur de ces performances ? Ces dernières ne sont-elles qu’une radicalisation de l’actualisation traditionnelle de la chanson « vivante » comme instantané ? Faut-il, et selon quelles modalités, convoquer l’histoire récente du happening et de la performance artistique pour aborder ces événements ?

 

La chanson et l’infra-ordinaire : le quotidien en chanté

 

Jean-Louis Murat, après avoir chanté Les Fleurs du mal, intitulait son album de 2009 Le Cours ordinaire des choses, reprenant le titre de l’essai de l’historienne Arlette Farge sur le malheur citadin au XVIIIe siècle. Mais la chanson dans laquelle apparaît l’expression se nomme « Comme un incendie », suggérant la tension fructueuse entre désir de lyrisme et ancrage dans le réel immédiat. Christophe Miossec vient de publier en 2011 un album intitulé Chansons ordinaires, récit d’une « vie ordinaire » éloignée des faits divers. L’auteur-compositeur-interprète, qui s’était fait connaître avec « Regarde un peu la France », rejoint ce souci de la chronique du quotidien, illustré naguère par la veine politique et sociale du rock : Noir Désir avait déjà montré qu’une chanson pouvait se proposer comme objectif de saisir « Un jour en France » (666.667 Club, 1996).

Peut-on ici parler d’une appréhension sociologique et politique (voir C. Dutheil Pessin, La Chanson réaliste. Sociologie d’un genre, L’Harmattan, 2004) ? La chanson a-t-elle sa place dans une « histoire du présent » ? Peter Szendy a ainsi proposé de concevoir le « tube » comme la possibilité d’un « accès à soi », à l’intime et au singulier, par « l’expérience de la banalité », de « l’absolument quelconque » (Tubes. La philosophie dans le juke-box, Minuit, 2008, p. 92). Comment l’écriture propre à la chanson rencontre-t-elle formes et figures littéraires de l’écriture du quotidien ? Il s’agirait donc de croiser notamment les méthodologies anthropologique et littéraire, en prenant en considération non une anthropologie du lointain, mais du proche voire du banal. Les deux bornes critiques pourraient en être côté anthropologie, l’oeuvre de Marc Augé (Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier, 1994, par exemple) et, côté littérature, l’ouvrage critique de Michael Sheringham, Everyday Life, theories and Practices from Surrealism to the Present (Oxford University Press, 2006). D’autres jalons s’imposent : L’invention du quotidien de Michel de Certeau (1980), ou bien sûr l’oeuvre de George Perec (L’infra-ordinaire, 1989).

 

L’approche de la complexité des relations littérature/chanson, requiert, au-delà des considérations littéraires (histoire des formes, du champ ; poétique ; études de réception…), des analyses transdisciplinaires, en provenance des pratiques du spectacle vivant, de l’histoire, de la sociologie des arts, comme de l’anthropologie.

 

 

Merci d’adresser vos propositions (une vingtaine de lignes) accompagnées d’un bref CV avant le 15 janvier 2012 à l’adresse suivante : bonnetgilles@wanadoo.fr.

Les articles seront à rendre pour le 1er septembre 2012.

 

Retrouvez ce texte sur le site : www.performance-litteraire.net

 

 

 

Gilles Bonnet

 

Groupe MARGE

Université Lyon 3