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La catharsis aujourd'hui

La catharsis aujourd'hui

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Alexandre Gefen)

LA CATHARSIS AUJOURD’HUI

Colloque international organisé par Mathilde Bernard, Alexandre Gefen, Bernard Vouilloux dans le cadre du projet « Pouvoir des arts. Expérience esthétique, émotions, savoirs, comportements » (programme Emotions, Cognition, Comportement de l’Agence Nationale de la Recherche).

Fondation des Treilles, 6-11 avril 2015.

Résumé : notion aussi célèbre qu’obscure chez Aristote, la catharsis trouve désormais de multiples acceptations, qu’il s’agisse de comprendre les effets d’une exposition, d’un opéra, d’un événement, d’une rencontre ou d’un procès. C’est tout autant les renouvellements de la notion aristotélicienne de catharsis par la philologie moderne, l’anthropologie ou encore les sciences cognitives, que cette extension du concept dans le domaine psychologique ou social qui intéressera cette rencontre. En faisant dialoguer des spécialistes de l’histoire de l’art et de la théorie esthétique, des historiens, des scientifiques et des écrivains, c’est à une interrogation sur les pouvoirs thérapeutiques et moraux, individuels ou sociaux, des mises en récit et des mises en scène, que ce colloque pluridisciplinaire visera.

Jamais sans doute d’aussi brefs passages que ceux d’Aristote se rapportant à la catharsis des émotions n’ont-ils été autant commentées. Le philosophe grec évoque dans La Politique les vertus purgatives de la musique ; La Poétique mentionne les effets cathartiques de la tragédie par le biais de la terreur et de la pitié et proposait probablement aussi une analyse de la catharsis comique, aujourd’hui disparue. Le concept d’une thérapie des émotions néfastes par les arts, qu’elle se fasse par le biais d’une purgation, d’une épuration ou d’une purification, a eu une fortune considérable. Les différentes époques ont privilégié une interprétation médicale – la catharsis permet de réguler les émotions siégeant dans la bile noire –, morale – la catharsis édifie en montrant le destin tragique de ceux qui ont cédé à leurs pulsions –, ou esthétique – la catharsis est une purification du réel qui permet d’éprouver un plaisir esthétique devant un objet laid ou repoussant. Les spécialistes d’Aristote, les philologues et les analystes du théâtre ont cherché dans les textes une vérité de la catharsis, ou ont au contraire préféré historiciser une notion qui avait été comprise de diverses manières et qui avait guidé de multiples pratiques théâtrales. Ces recherches ont permis de saisir la diversité de la notion tout en restant en lien avec ses origines. Cependant, elles n’ont pris que modérément en compte la diffraction du terme et du concept de catharsis de nos jours. Or les causes mêmes de cette dilution du sens ont, semble-t-il, beaucoup à révéler non seulement sur la société dans laquelle nous sommes, mais aussi sur sa façon de vivre l’oeuvre d’art.

Désireux de reconsidérer la catharsis dans un sens actuel qui, tout en étant issu d’Aristote, s’est nourri de connotations nouvelles, Mathilde Bernard (post-doctorante ANR), Alexandre Gefen (maître de conférences en littérature française du XXe siècle à l’université de Bordeaux 3) et Bernard Vouilloux (professeur en littérature française du XXe siècle à l’université Paris 4), dans le cadre du projet ANR « Les pouvoirs de l’art », sollicitent votre hospitalité pour accueillir un colloque sur « La catharsis aujourd’hui : pratiques artistiques, effets psychologiques et logiques sociétales ». L’équipe dirigée par Martine Boyer-Weinmann (maître de conférences en littérature française contemporaine à l’université Lyon 2), Alexandre Gefen, Sandra Laugier (professeur de philosophie à l’université Paris 1) et Carole Talon-Hugon (professeur de philosophie à l’université de Nice - Sophia Antipolis), a en effet l’ambition de mener sur trois ans (de 2012 à 2015) un ensemble d’actions scientifiques visant à améliorer notre compréhension du rapport de la conscience à l’œuvre d’art, de l’impact comportemental et sociétal de la relation artistique et du rôle des émotions dans le processus cognitif. À cette fin, elle se propose de réunir des chercheurs en sciences humaines, en sciences sociales et en sciences cognitives, pour parvenir à un spectre large de compréhension des effets de l’art. Dans cette optique, les organisateurs n’ont pas l’intention de revenir sur le débat fructueux de la nature de la catharsis aristotélicienne, mais de se pencher sur la large interprétation de la notion aujourd’hui, sur son action dans les différents arts, les processus physiologiques et psychiques à l’œuvre, les implications sociales des effets cathartiques, leurs enjeux anthropologiques et enfin sur la diversité des émotions pouvant provoquer une catharsis.

 

Les domaines de la catharsis

La catharsis a très vite été primordialement un concept littéraire et il est généralement entendu que son lieu privilégié est le théâtre, en raison de la mention de la tragédie dans la Poétique et de l’alternance rapide de la crainte et de la pitié que la représentation permet. C’est pour cette raison que la majorité des études scientifiques sur la catharsis portent sur le théâtre alors que les références contemporaines à la notion tendent à évacuer la nécessité d’une représentation en acte ou d’une mimésis : la catharsis sur ce point prend son indépendance. Elle investit des champs créatifs de plus en plus nombreux, a fortiori depuis que le cinéma peut – le peut-il vraiment ? – reproduire les effets de la tragédie, et elle intéresse les chercheurs et les praticiens de tous horizons : littéraires, philosophes, historiens de l’art, musicologues, psychanalystes, anthropologues, politologues et adeptes de l’art-thérapie sont tous, à un moment ou à un autre, confrontés à la question de la catharsis. On assiste aujourd’hui à une banalisation du concept – due sans doute à l’influence déjà ancienne de la psychanalyse, Freud considérant comme cathartique le rappel à la conscience d’une idée refoulée – qui l’assimile à une libération des émotions négatives par tous les biais et qui mène à son éclatement. On se demandera donc quels sont les supports de la catharsis, arts, harangues, procès, exécutions, etc. et dans quelle mesure l’extension de la notion varie selon les territoires et les sociétés.

 

Les modalités de l’action cathartique

Si la catharsis comprise dans ce sens large peut être pensée à travers des arts beaucoup plus variés que les analyses à partir d’Aristote ne l’ont envisagé, il est nécessaire de se demander selon quelles modalités et quelle intensité les effets cathartiques peuvent agir. Afin de comprendre quelle peut être la différence entre une réception collective de l’art ou de l’événement (théâtre, cinéma, concert, tribune politique) et une pratique individuelle (lecture silencieuse, écoute solitaire d’un disque de musique, contemplation d’un tableau), entre une mise en œuvre de la catharsis par la crainte et la pitié, le rire ou la colère – combien d’autres émotions encore –, de saisir quelle est la valeur thérapeutique des différentes catharsis mises en œuvre, on convoquera tout aussi bien des compétences en sciences humaines qu’en sciences dures. Les cognitivistes, médecins et psychanalystes apporteront sur cette question un point de vue qui, en lien avec les réflexions littéraires, philosophiques, épistémologiques, permettra, nous l’espérons, d’offrir de nouvelles perspectives d’analyse de cette notion complexe et évolutive.

 

Pourquoi la catharsis ?

Une catharsis multiple, agissant selon des modalités différentes, engendre des effets divers en amont et en aval de l’action ou de l’oeuvre. Les avis divergent quant à la réalité de la catharsis, certes, mais aussi quant à sa nécessité, voire sa légitimité. Ainsi,  le refus d’un art cathartique, lorsqu’il mène à l’acceptation d’un passé qui ne doit pas passer – c’est l’objet de la polémique qui oppose Imre Kertesz à Claude Lanzmann à propos de la Shoah, ce dernier refusant que les récits du génocide juif permettent une réappropriation de la Shoah par des générations qui ne peuvent pas prétendre en ressentir l’horreur –, apparaît alors comme la contrepartie d’un excès de catharsis. Cependant, dans le temps même où la catharsis des émotions semble se déconnecter du lien essentiel qu’elle entretient avec l’art, si ce n’est exclusivement avec la tragédie et la musique, la valeur thérapeutique de celui-là est de plus en plus mise en avant, ce qui est une manière de réintroduire une pensée aristotélicienne tout en l’étendant. Elle peut être entendue comme un moyen de guérir l’individu de ses blessures enfouies - c’est là le rôle du retour du refoulé -, de créer une cohésion sociale autour d’un ressenti commun - les discours politiques intègrent la catharsis dans ce sens et renvoient au rêve aristotélicien de réintégrer l’individu perturbé par ses émotions néfastes dans le coeur de la cité -, contre un individu - le voyeurisme et la cruauté pourront être pensés en lien avec cette notion, d’ôter au contraire à l’homme ses barrières sociales - ainsi que l’entendait Artaud. Mais la guérison peut être partielle ou momentanée, elle peut également être à l’origine de l’apparition d’autres émotions compensatrices, ce qui amène à reconsidérer la valeur de la catharsis selon un point de vue non seulement éthique, mais aussi pragmatique.

 

Les participants se demanderont ce qu’une approche thérapeutique – que cette thérapeutique soit du corps, de l’âme, ou du tissu social – des effets de l’art peut nous apporter pour comprendre la particularité d’action des différents arts. Les sciences sociales comme les sciences cognitives serviront l’analyse des mécanismes de la catharsis : faut-il s’identifier au personnage d’un roman, pénétrer dans un tableau, se laisser absorber par une musique, subjuguer par une statue, pour espérer ressortir changé, reconstruit d’un contact avec une œuvre d’art ? Comment l’identification et l’empathie fonctionnent-elles alors ? Quelles doivent être l’implication du sujet regardant, sa faculté de concentration ou au contraire d’abandon ? Quelles sont enfin aujourd’hui les implications éthiques d’une catharsis par l’art ? Pour traiter ces questions, les participants pourront choisir un angle théorique ou préférer une étude de cas ; ils adopteront un point de vue diachronique pour montrer par exemple l’évolution des débats sur les effets de la musique ou au contraire synchronique ; ils s’attacheront enfin à l’étude d’un art ou à des mécanismes communs à plusieurs arts. L’interdisciplinarité et la multiplicité des savoirs sont essentielles, si bien que les chercheurs issus de tous les domaines des sciences humaines ou cognitives sont invités à proposer une communication.

 

Mardi 7 avril : les origines de la catharsis. La catharsis au théâtre et en musique

10h00 Présentation d’Alexandre Gefen et Bernard Vouilloux

10h30-11h30 : William Marx : « La catharsis tragique selon Aristote » : dialogue  avec Bernard Vouilloux

Discussion et déjeuner

15h00-16h00 : Jean Delabroy, « Les Politiques de la catharsis » 16h30-17h30 : Inhye Hong, « Une voie alternative : une autre catharsis par la parole dans le théâtre de Valère Novarina » 17h30-18h30: David Chaillou, « L’émotion musicale, une double catharsis ? »

Discussion et diner

Mercredi 08 avril : approches philosophiques et sociales de la catharsis

1) 9h30-10h30 :. Bernard Rimé : « Le partage social des émotions et ses effets »

Discussion et pause

11h30-12h15 : Pierre Livet : « Quand les émotions se révisent les unes aux autres »

Discussion et déjeuner

15h30-16h30 : Carole Talon-Hugon, « L’imitation des affections »

Discussion et pause

17h00-18h00 : Marjorie Bertin, « Catharsis et indignation »

Discussion

5) 18h15-18h45 : Nathalie Heinich, « La quête de l’excitation »

Discussion et dîner

Jeudi 9 avril au matin : Entretien entre Gisèle Vienne et Bernard Vouilloux

Après-midi libre

Vendredi 10 avril : catharsis et écriture

9h30-10h30 : Mathilde Bernard et Sophie Milquet, « Catharsis et écriture de la guerre », xvie-xxe siècle. Introduction de Mathilde Bernard et présentation de Sophie Milquet sur : « Thérapeutique et politique du récit de guerre : La catharsis en question dans les écritures de la guerre d’Espagne"

Discussion et pause

2) 11h30-12h30 : Guillaume Métayer, « La catharsis chez Imre Kertész »

Discussion et déjeuner

3) 15h00-16h00 : Antonio Rodriguez, « La régulation des émotions en littérature : de la catharsis à l'empathie »


Discussion et pause

4) 17h00-18h30 : Alexandre Gefen : la catharsis dans la fiction contemporaine suivi d’un dialogue avec Mathieu Simonet