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La bibliothèque mentale de Marcel Proust

La bibliothèque mentale de Marcel Proust

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Guillaume Perrier)

La Revue d’études proustiennes (à paraître aux éditions Classiques Garnier) consacrera un numéro au thème suivant : « La bibliothèque mentale de Marcel Proust ».

On connaît l’immense culture de Marcel Proust et la multitude des œuvres qui alimentent son roman. On sait aussi qu’il accordait peu d’intérêt à la possession matérielle des livres. La chambre où il se retranchait pour écrire fut finalement remplie par ses propres cahiers manuscrits. « Les livres qui comptaient, il les avait dans sa tête », écrit Anka Muhlstein (La Bibliothèque de Marcel Proust, Odile Jacob, 2013, p. 16). Le cas de Proust n’est pas unique mais la puissance créatrice et la singularité de sa mémoire méritent une étude de cas renouvelée, qui prenne en compte les nombreux apports de la critique, en les articulant voire en les dépassant.

« S’il ne possédait pas de bibliothèque personnelle, de librairie comme Montaigne, on pourrait à la longue dresser le catalogue de sa bibliothèque virtuelle, soit la somme de tous les livres qui lui sont passés entre les mains, depuis Homère et la Bible jusqu’aux poètes et romanciers les plus contemporains de lui : dans l’entre-deux, combien d’écrivains, ceux des XVIIe et XIXe siècles souvent sus par cœur ; combien de philosophes, de linguistes, de sociologues, de critiques d’art et de critiques littéraires, d’historiens et d’historiens de l’art ! […] Or si cette œuvre s’impose aujourd’hui comme le monument du XXe siècle, c’est à l’évidence parce qu’elle nous offre plus que la somme de ces lectures et de ces héritages » (Luc Fraisse, La Petite musique du style, Classiques Garnier, 2011, p. 11).

Prendre pour thème la « bibliothèque mentale » de l’écrivain, c’est s’interroger sur la signification particulière que donnent le souvenir, la méditation et la création aux sources livresques de Proust. C’est tenter de décrire l’architecture mentale qu’il a progressivement façonnée pour ranger – et arranger – la masse des écrits intégrés dans son œuvre. Une telle expérience ne peut être assimilée directement à la disponibilité physique offerte par une bibliothèque réelle, ni au genre de virtualité dont le progrès des télécommunications et des supports techniques nous fait bénéficier aujourd’hui. Comment et sous quelles conditions appliquer chacun de ces deux modèles, sans réduire la spécificité de cette expérience ?  A quels autres modèles, antérieurs, contemporains ou postérieurs, recourir pour mieux la comprendre ?

« L’art de la mémoire construit le modèle d’une bibliothèque imaginaire. Des livres n’y côtoient pas des livres, mais des fragments discursifs d’autres fragments discursifs, des énoncés d’autres énoncés […]. La mémoire contextuelle, celle qui fait le livre, l’œuvre, le discours comme totalité cohérente, coexiste avec une mémoire intertextuelle et une mémoire pragmatique qui dispersent non seulement le discours, mais ses éléments mêmes, qui fragmentent jusqu’à la phrase et aux mots. […] il se trouve que nous avons des livres et des bibliothèques bien rangées ; que nous croyons que la mémoire a disparu comme instance décisive du phénomène littéraire, avec l’imprimerie, avec la diffusion du livre, avec la constitution de bibliothèques réelles. Et le théoricien risque d’oublier la mémoire » (Michel Charles, Introduction à l’étude des textes, Le Seuil, 1995, p. 79-91).

Pour décrire le fonctionnement de la bibliothèque mentale, il convient de renoncer à la maîtrise « full-text » et intemporelle des œuvres, pour mieux prendre en compte la culture personnelle et familiale, scolaire et universitaire, mondaine et politique, littéraire et non-littéraire de Proust. Dans cette perspective, que signifie connaître « par cœur » un livre, comme il prétend le faire à de nombreuses reprises dans sa correspondance ? Quelle valeur particulière prend une citation, quand elle est dite ou écrite de mémoire, plutôt que recopiée d’après un livre ? Quel rapport spécifique entraine un tel mode de pensée et de création avec le livre comme support matériel ?

Les articles publiés dans ce numéro pourront traiter, en premier lieu, de la mémoire intertextuelle, en particulier s’ils envisagent la multiplicité des sources et des références de l’œuvre (leurs relations, sur le mode du réseau ou de la dissémination) ; mais aussi de la mémoire autotextuelle des écrits antérieurs (enjeux, spécificités, rapports de la lecture et de l’écriture avec les âges de la vie) ou de la mémoire contextuelle dans les manuscrits (renvois d’un cahier à l’autre qui impliquent la temporalité de la genèse du roman). Ils pourront traiter également de la « bibliothèque mentale » d’autres écrivains ou artistes, dans la mesure où l’œuvre de Marcel Proust y joue un rôle privilégié et significatif. Les autres pistes de réflexion seront étudiées avec intérêt.

Les propositions (250 mots environ), accompagnées éventuellement d’une brève bio-bibliographie, peuvent être envoyées par courrier électronique, d’ici le 1er juillet 2015, au coordinateur du numéro, Guillaume Perrier : guillaume.perrierATgmail.com. Les textes achevés seront rassemblés au plus tard le 1er juillet 2016.

 

Choix de références

BOUILLAGUET Annick, Marcel Proust. Le jeu intertextuel, Paris, Editions du Titre, 1990.

CHANTAL René de, Marcel Proust critique littéraire, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2 vol, 1967.

CHARDIN Philippe, Proust ou le bonheur du petit personnage qui compare, Paris, Honoré Champion, 2006.

COMPAGNON Antoine (dir.), Proust, la mémoire et la littérature, textes réunis par Jean-Baptiste Amadieu, Paris, Odile Jacob, 2009.

D’IORIO Paolo et FERRER Daniel (dir.), Bibliothèques d’écrivains, Paris, CRNS éditions, 2001.

FRAISSE Luc, L’Eclectisme philosophique de Marcel Proust, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2013.

LAMBILLIOTTE Julie, « La bibliothèque de Marcel Proust. De la lecture à l’écriture », Bulletin d’informations proustiennes, n° 30, 1999, p. 81-89.

POULET Georges, La Conscience critique, Paris, José Corti, 1971.