Essai
Nouvelle parution
L. Kahn, Faire parler le destin

L. Kahn, Faire parler le destin

Publié le par Pierre-Louis Fort (Source : Marie-Pierre Ciric)

Laurence Kahn, Faire parler le destin
Klincksieck, collection « Méridiens Klincksieck », 250 p.
ISBN : 2-252-03517-X

EAN :  9782252035177

17 €



L'oeuvre de Freud ne renvoie pas seulement à la fondation d'une pratique thérapeutique ; elle reflète aussi un bouleversement de la conception de l'homme et du fait culturel. Mais entre le livre fondateur de la psychanalyse, L'interprétation du rêve (1899), et le dernier texte publié de son vivant, L'homme Moïse et la religion monothéiste (1939), le monde bascule et Freud modifie profondément les modèles qui lui permettent d'élucider ce qui échappe radicalement à la conscience et à la volonté des humains : le rêve, le symptôme, la névrose, les forces pulsionnelles, mais aussi le processus culturel et ses échecs répétitifs et destructeurs.
Dans sa première conception, Freud se réfère en particulier à la « faute tragique » reçue des Grecs, nommément à Oedipe Roi de Sophocle, pour envisager la violence meurtrière au coeur de l'inconscient et la culpabilité civilisatrice une conception encore animée par l'espoir que la compréhension du destin psychique qui asservit l'humanité aboutira à plus de liberté. C'est cet idéal d'émancipation qui est mis en déroute par la guerre de 14-18, tous les idéaux, y compris ceux promus par la psychanalyse, devant être dès lors réinterrogés. Freud, après 1920, s'y emploie sans relâche, remaniant son appareil théorique pour faire place à l'intraitable sauvagerie, tout en appelant à la raison, seule capable de s'opposer aux puissances nocturnes dont le nazisme se réclame ouvertement.
« Faire parler le destin » serait la manière d'expliciter cet ensemble de forces psychiques qui tient captive l'humanité : de l'inconnaissable tel que Freud l'hérite des romantiques aux mythes anthropologiques rendant compte de la primitivité, de la controverse avec les détracteurs de l'inconscient à la réflexion sur l'assise scientifique de la psychanalyse, Freud affronte l'évaluation critique des « préjugés enthousiastes » du Siècle des Lumières et parcourt le chemin d'une désillusion dont nous sommes les héritiers directs.
Dans cette relecture de Freud, Thomas Mann s'est souvent imposé comme l'interlocuteur qui, au delà de leur commune relation à la culture allemande et à Goethe, a partagé l'épouvante lucide face au désastre qui s'avançait.
De ce désastre, on peut se demander aujourd'hui quels sont les effets sur le devenir de la psychanalyse. Celle-ci est-elle seulement aux prises avec une « crise », ainsi que semblent le considérer nombre d'analystes ? Ou bien avons-nous à faire avec la conséquence autrement problématique, sur la pratique et la théorie analytiques mais aussi sur la culture, de l'effondrement d'une scène la scène tragique qui avait permis jusqu'alors de concevoir le destin humain et la symbolisation de la vie psychique ? Dans ce cas, quel pourrait être le destin du destin ?

Laurence Kahn, historienne, helléniste et psychanalyste, membre titulaire de l'Association Psychanalytique de France, co-rédactrice de la Nouvelle Revue de Psychanalyse de 1990 à 1995 et du Fait de l'Analyse de 1996 à 2000 a notamment publié Hermès passe ou les ambiguïtés de la communication (Maspero, 1978), La petite maison de l'âme (Gallimard, 1993), Freud II (PUF,2000), Cures d'enfance (2004) et Vérité et fiction freudiennes ; entretiens avec Michel Enaudeau (Balland, 2004).

Introduction : « Ce que tu as hérité de tes pères »
La barbarie n'est pas un accident Le destin : de Sophocle à Empédocle Les héritages Les ruptures Le schisme
I. L'abîme de ce temps-là
Le démonique et la création Le diable, le vrai seigneur de l'enthousiasme L'expression
II. Présenter l'invisible : Freud et le Romantiques
L'unité perdue Rationalité de l'irrationnel Le malentendu L'inconnaissable ou l'incarnation ? Esprit et pulsion : l'incandescence du Witz L'idée incidente, première rupture freudienne L'inconscient, seconde rupture freudienne Travail et processus
III. L'appareil de l'âme
Le scandale de la division Science ou fiction L'hétérogénéité La construction et le mouvement L'unité de la vie
IV. Les contradicteurs
De la conviction délirante au consensus scientifique Comment observer ? Valeur de l'indice L'exemple et la preuve Comment universaliser ? Le substantif et la substance : la critique de Wittgenstein « Voir sous la surface » L'oeil de la conscience Qualité de la quantité : l'au-delà de la conscience Le sens et l'objet de la référence Poïesis et incarnation
V. La preuve par l'anthropologie ?
Universaliser : la prohibition de l'inceste Le fait de nature Le saut culturel Un code sexuel ? L'ombre de l'autre côté de la terre Dédommagement et renoncement
VI. Voir, transférer : l'incomplétude
Nécessaire inachèvement Points de vue et visions partielles D'où vient la perception ? L'universel et le repli de l'origine Retour du même ou nouvelle fabrication : le transfert L'axe paternel et le défi Une correction humiliante pour notre scientificité L'instrument est l'objet de la saisie « La jouissance ne s'observe pas » Fragmentation de la vue, hardiesse de la pensée : Léonard
VII. Faire parler le destin
La défaite du progrès L'Homo natura La ruse des mots Les intentions du récit Le mythe scientifique L'attente et le transfert L'excitation et l'infantile Nostalgie de la construction Dans le temps et hors du temps Lorsque les pièces se détachent : l'Homme aux loups Qui ? Antinomie de la « vérité historique »
VIII. L'intérêt, la croyance et la désillusion
Déguisements de la valeur Puissance de la croyance, pouvoir de la vérité Le temps à venir de l'Aufklärung La guerre et la désillusion Les « intérêts » de l'illusion « L'intérêt » de la psychanalyse « Écarter le préjugé enthousiaste »
Conclusion : Destin du destin
La nature de l'homme Mort et destin Le langage des forces Une crise ? Relativisme métapsychologique et perspective identitaire Quand la narration comble L'opacité tragique Autre mesure de la démes