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L'irrévérence (journée doctorants-jeunes chercheurs, SELF XX-XXI)

L'irrévérence (journée doctorants-jeunes chercheurs, SELF XX-XXI)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Solenne Montier)

Journée annuelle des doctorants et jeunes chercheurs de la SELF XX-XXI

14 juin 2014

          

Le 20e siècle est à plus d’un titre celui du crépuscule des idoles. La fin des grands récits chrétien, marxiste, positiviste, progressiste, etc., se manifeste notamment par l’émergence d’un cynisme littéraire qui signe, selon Jean-François Louette, la modernité[1]. Mais on voudrait s’intéresser ici à une posture située légèrement en deçà du cynisme ou de l’irrespect, une posture qui n’irait pas jusqu’à assumer relativisme ou nihilisme : celle de l’irrévérence.

Cette irrévérence se manifeste tout au long du siècle : présente du déboulonnage du roman par Breton, à la subversion linguistique de Céline, au renversement des normes sociales et sexuelles par Genet, empruntant la phraséologie catholique, puis à la mise à bas d’une icône balzacienne périmée, et jusqu’à la créolisation de la langue de l’oppresseur par l’écrivain colonisé, elle permet de mettre au jour des forces d’oppression et de les attaquer par une subversion humoristique. Au Reboux et Muller des vieilles idoles répond La Littérature sans estomac, qui s’attaque aux neuves.

L’irrévérence s’attaque ainsi à tout ce qui relève de la norme ou de la position dominante : elle peut s’attaquer aussi bien à des hiérarchies sociales qu’à des normes éthiques, au pouvoir exercé par le canon littéraire, ou encore aux normes de la « belle langue ». Blanchot précisait, à propos de Montherlant : « L’insolence déchire l’ordre conventionnel et se plaît dans le non-conformisme. Elle est minorité, minorité qui n’accepte aucune justification extérieure, qui réclame au contraire l’honneur d’être étrangère au vrai, à la morale, à toutes les normes dont la société commune a besoin[2]. » Mais il voyait aussi dans l’insolence une forte valorisation de l’insolent, revendiquant une aristocratie alternative : c’est par là, sans doute, que l’irrévérence diffère de l’insolence. Elle met également en lumière l’ethos du locuteur irrévérencieux, mais ne le place pas au-dessus de l’attaqué, ni même à égalité avec lui. L’irrévérence permet à l’irrévérent de se distinguer, mais éclaire aussi en retour l’attaqué.

L’élan de révolte irrévérencieuse semble en effet ne jamais aller jusqu’à une disqualification totale de la cible. Les accusations de superficialité de Sarraute contre Proust n’empêchent pas que celui-ci soit érigé en précurseur, voire en maître insurpassable. Le personnage balzacien, enveloppé comme un oignon dans les couches sémantiques de ses vêtements, de ses meubles et de son environnement, est installé par les théoriciens du Nouveau Roman comme un point de référence en même temps qu’il est ridiculisé. Dans le contexte postcolonial enfin, l’ambivalence de l’irrévérence trouve une résonance singulière, puisqu’elle répond à la nécessité de déconstruire la langue de l’oppresseur, pourtant adoptée comme moyen d’expression. On pensera ici aux phénomènes de créolisation (Glissant) ou encore au rapprochement effectué par J.-M. Moura entre certains écrivains francophones (en particulier A. Kourouma dans Les Soleils des indépendances) et de « bons écoliers » cherchant à s’émanciper de leur « maîtres », en particulier au moyen d’une « interlangue » qui se nourrit de la langue du colonisateur tout en l’abreuvant d’autres éléments[3].

            L’irrévérence, en effet, se distingue de l’irrespect et de l’insolence en ceci que l’irrévérencieux ne parvient ni même ne vise à disqualifier complètement sa cible. L’irrévérence est affaire de légèreté autant que de subversion. À ce titre, elle n’a pas pour enjeu un rejet absolu, mais seulement une déstabilisation – qui fragilise, mais met aussi en valeur l’objet qu’elle désigne comme idole. Une certaine révérence persiste dans l’irrévérence, dans la mesure où celle-ci suppose que la cible soit identifiable pour l’auditoire : ainsi pour les seuils du Hussard bleu, de « Longtemps, j’ai cru m’en tirer sans éclats. » à « Tout ce qui est humain m’est étranger. » L’irrévérence, rappelle Jean-Pierre Martin, ne peut s’attaquer qu’à des « monstres sacrés »[4].

Encore faut-il avoir le culot de s’y affronter : l’irrévérence en tant qu’ethos pourrait ainsi être située quelque part entre la modestie (je ne prétends pas être pris au sérieux) et la mégalomanie (supprimons les digressions de la Recherche). Mais peut-être cette double postulation est-elle un passage obligé pour tout aspirant écrivain. « Tout écrivain, explique Jean-Pierre Martin, se fabrique plus ou moins de cette façon – trouant, par l’expression de sa dissidence et de son irrévérence, la grande ombre que projette sur lui l’horizon de la littérature, cherchant à dessiner sa propre silhouette à l’écart de l’Église des Lettres[5]. » – prolongeant en cela la conception proustienne du pastiche comme instrument de déprise, d’émancipation stylistique, seul apte à tirer le futur artiste de l’idolâtrie esthétique. L’irrévérence serait le pied de biche qui permettrait à l’écrivain de se faufiler dans le Panthéon littéraire.

            Dès lors, est-il possible de maintenir la posture d’irrévérence sur le long terme dans une carrière d’écrivain ? L’irrévérence (celle du Rimbaud du Cahier de 1871, celle de Jarry, celle de Romains dans Les Copains) semble affaire de jeunesse, voire de fumisterie : est-elle compatible avec la consécration en tant qu’écrivain véritable ? Rimbaud résout le problème radicalement, mais reste une exception. Gary a dû inventer Émile Ajar, pour pouvoir reproduire la trajectoire ascensionnelle de l’aspirant écrivain. Faut-il être jeune pour intituler un recueil critique Les Écrivains sont-ils bêtes ?

Ou certains, devenus idoles, ont-ils conservé le goût de l’irrévérence ? La trilogie autobiographique récente de Genette montre de fait une trajectoire inverse, de la révérence critique du chercheur à l’irrévérence de l’idole narratologique, qui aurait bien gagné le droit de s’amuser. Mais il s’agit là d’un parcours de critique, non d’écrivain. L’irrévérence est-elle donc cantonnée à la littérature « au second degré », qu’il s’agisse d’écritures critique ou débutante, lorgnant pareillement vers la littérature assumée ou reconnue ?

L’irrévérence, ainsi, peut-elle définir un ethos d’écrivain, au-delà d’un ethos d’apprenti écrivain, ou de critique se plaçant également dans les marges de la création littéraire ? Le postmodernisme est-il parvenu à nous faire penser la figure d’un écrivain dilettante ou fumiste ? Et si c’est le cas, quelle efficacité pouvons-nous reconnaître au pouvoir de subversion de l’irrévérence littéraire ?

 

Modalités de participation

            Les communications de trente minutes seront suivies de dix minutes de discussion. Les propositions de communication de 300 mots maximum, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Chloé Chaudet (chloe_chaudet@yahoo.fr), Aude Leblond (audeleblond@gmail.com) et Solenne Montier (solenne.montier@unicaen.fr) avant le 1er avril 2014. Elles seront alors soumises au comité scientifique, et une réponse vous parviendra le 20 avril 2014.

 

Comité scientifique :

 

Laurent Demanze (École Normale Supérieure de Lyon)

Corinne François-Denève (Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

Jean-François Louette (Université Paris 4 Sorbonne)

Jean-Marc Moura (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

Yolaine Parisot (Université Rennes 2)

Alain Schaffner (Université Paris 3 Sorbonne nouvelle)

Régis Tettamanzi (Université de Nantes)