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L'intratextualité dans le roman français du XIXe s. (Les Lettres romanes, 2017)

L'intratextualité dans le roman français du XIXe s. (Les Lettres romanes, 2017)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Laetitia Hanin)

Appel à contributions pour la préparation d’un numéro de la revue Les Lettres romanes, à paraître en 2017.

 

L’intratextualité dans le roman français du XIXe siècle

« Il y en a [des choses] qu’on ne doit pas craindre de répéter toujours, au risque d’être accusé de stérilité ou d’obstination »[1]. Cette déclaration de George Sand dans la préface de sa pièce de théâtre Cosima, ou la haine dans l’amour (1840) invite à penser l’imitation de soi comme une poétique possible pour cet auteur et, sans doute plus largement, au XIXe siècle. Autant, à cette époque, l’imitation des autres est tabou, autant la reprise par un auteur de ses propres thèmes ou procédés est tolérée (légale) voire réclamée (lecteurs et éditeurs demandent à un auteur à succès qu’il reprenne les recettes qui ont marché) et jugée inévitable (au nom d’une conception de l’individualité créatrice qui est une et non susceptible de fragmentation).

« Intratextualité », « autotextualité », « intertextualité restreinte » sont les étiquettes les plus souvent données à ce phénomène de renvoi entre plusieurs œuvres signées du même nom, pour le différencier de l’intertextualité[2]. Les deux mécanismes sont au fondement de la création littéraire. Une œuvre se construit tant dans le rapport avec d’autres œuvres que dans sa propre continuité.  Le roman déjà publié d’un auteur peut fonctionner, par rapport à ceux qui vont suivre, comme brouillon, comme modèle ou au contraire comme contre-exemple, comme déjà-dit ou déjà-fait à ne pas répéter. L’intratextualité fait ainsi intervenir, dans des proportions variables selon les cas, deux facettes de la création littéraire : la posture et la poétique, sur lesquelles elle fournit en retour un éclairage particulier. Sur le plan symbolique, elle incarne une façon dont chaque écrivain se positionne dans le champ littéraire. Sur le plan poétique, elle donne à saisir la cohérence, la genèse et l’évolution d’une production littéraire.

L’intratextualité est un concept-clé des poétiques romanesques du XIXe siècle, que la critique devrait davantage prendre en considération. Lorsque, désireux de légitimer un genre longtemps associé à la frivolité et au féminin, les romanciers se donnent pour objet et pour méthodes les objets et les méthodes de l’histoire, de grands ensembles romanesques, d’abord historiques puis contemporains, voient le jour[3]. Composition cyclique, retour des personnages, analepses et prolepses sont mis au service d’une représentation vraisemblable, structurée et encyclopédique de la société. Balzac construit œuvre par œuvre sa Comédie humaine, Zola son « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ». Certains taisent ces procédés, comme George Sand, dont la production comporte de nombreux types et des cycles d’œuvres non répertoriés.

L’industrialisation de la littérature, l’apparition du mode de publication en feuilletons fait fleurir, parallèlement à ces entreprises, une production populaire qui exploite elle aussi massivement les ressources de l’intratextualité. La nécessité d’entretenir la mémoire du lecteur, d’une part ; la promesse du succès, d’autre part, poussent des auteurs comme Alexandre Dumas, Eugène Sue ou Paul Féval à jalonner leurs œuvres de rappels et d’effets d’annonce, et à reproduire leur recette. Ces facteurs aboutissent à la création d’un genre spécifique, très codé, le roman-feuilleton. L’intratextualité se confond alors avec l’inscription dans un genre[4].

Au moment où les législations sur la propriété intellectuelle rendent honteuse et illégale l’imitation des autres, une certaine intratextualité se voit légalisée et valorisée à travers la notion de style. On estime en effet que l’identité littéraire d’un auteur, et donc aussi son originalité, se définit dans une large mesure par son « style » (usage personnel de la langue, manière propre d’un écrivain), qui est une émanation de son caractère et est par là même doté d’une certaine stabilité[5]. Les années 1820 voient fleurir des recueils de pastiches[6], qui jouent sur les styles d’auteurs ; les romanciers qui ont une ambition littéraire (Balzac, Flaubert) travaillent leur style ou feignent de ne pas le travailler (Sand).

Hors de la zone d’influence de ces paramètres communs, on peut interroger des manifestations moins visibles et moins massives de l’intratextualité : celles qui guident la genèse et l’évolution des productions littéraires. Romans réécrits (Les Chouans de Balzac, Lélia de Sand), variations thématiques (l’adultère dans Jacques et Le Dernier amour de Sand), transpositions de romans au théâtre (Sand, Féval, Zola) et de pièces en romans (Les Beaux Messieurs de Bois-Doré), développements organiques par reprise et approfondissement de situations ou de caractères (Le Meunier d’Angibault commence où finit Valentine) : toutes ces pratiques renseignent sur l’esthétique des romanciers.

 

Les articles pourront aborder les aspects suivants :

— le discours sur l’intratextualité au XIXe siècle

— cycles romanesques et personnages reparaissants comme modalités d’intratextualité

— la réécriture comme genèse des œuvres

— les œuvres corrigées, la réécriture comme rétractation

— les variations thématiques

— les phénomènes de transposition

— intratextualité et identité littéraire

— intratextualité et formes romanesques

— intratextualité et valeur littéraire

— etc.

Les propositions d’articles, accompagnées d’une notice bio-bibliographique, sont à envoyer pour le 1er mai 2016 à l’adresse suivante : laetitia.hanin@uclouvain.be

Les articles terminés (environ 30.000 signes, espaces compris) seront attendus avant le 15 octobre 2016 à la même adresse.

Laetitia Hanin, FNRS – Université catholique de Louvain, Belgique

 

[1] George Sand, Préface de Cosima, ou la haine dans l’amour, Bruxelles, Société belge de librairie, 1840, p. 5.

[2] Gérard Genette utilise indifféremment « autotextualité » et « intratextualité » (Palimpsestes. La littérature au second degré [1982], Paris, Seuil, 1992), mais selon certains théoriciens, dont Lucien Dällenbach, l’autotextualité est un phénomène immanent à un texte particulier (« Intertexte et autotexte », Poétique, 27, 1976). Jean Ricardou parle d’« intertextualité restreinte » (Claude Simon. Analyse, théorie, Paris, Union générale d’éditions, 1975). D’autres parlent d’« intertextualité interne » (Khama-Bassili Tolo, L’Intertextualité chez Mérimée : l'étude des sauvages, Birmingham/Alabama, Summa Publications, 1998) ou d’intra-intertextualité (Brian T. Fitch, « L’intra-intertextualité interlinguistique de Beckett : la problématique de la traduction de soi », Texte, n°2, 85-100, 1983). On privilégiera ici « intratextualité », terme simple et non équivoque.

[3] Sur les liens entre roman, histoire et genre sexué, voir l’ouvrage de Margaret Cohen, The Sentimental Education of the Novel, Princeton, Princeton University Press, 1999.

[4] C’est ce que Gérard Genette appelle l’« architextualité » dans Palimpsestes. La littérature au second degré, op. cit.

[5] Sur la notion de « style d’auteur » et son usage au XIXe siècle, voir le dossier Style d’auteur réuni par Éric Bordas, Romantisme, 2010/2 (n° 148), Paris, Armand Colin.

[6] Daniel Sangsue, « Pasticheries », Romantisme, 2010/2 (n° 148), ibid., p. 77-90.