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L’intime et l’extime

L’intime et l’extime

Publié le par Alexandre Gefen

Lintime « nest ni un concept ni une notion théorique, cest un mot chargé daffect, de vécu [] quelque chose de doux, de poétique, dont on aurait éliminé la violence de lextériorité ». D. Madelénat.

Depuis lAntiquité, les philosophes se sont interrogés sur le « souci de soi » dont Michel Foucault se fait largement lécho dans Dits et écrits (tome IV). Or, la démarche introspective aboutit le plus souvent à une écriture de soi qui tend à contaminer tous les autres types de discours : lémergence de « lautofiction » en est la preuve (le statut de ce nouveau « genre » mériterait dailleurs dêtre redéfini.)

Dautre part, la révélation de lintériorité ne va pas de soi ; elle se transforme aux XIXe et XXe siècles, effectuant un détour par le dehors (les autres, le monde). Ainsi, lintime semble se confronter désormais à « la violence de lextériorité » ; dans certains cas, il va même jusquà passer exclusivement par les manifestations de lextime.

Deux questions se posent donc dans lapproche de lintime et de lextime : comment le moi sexhibe-t-il dans les romans autobiographiques du XIXe siècle et les récits (auto)fictionnels contemporains, dans la mesure où le clivage intérieur/ extérieur nest plus toujours pertinent ?

Quels sont les effets dune telle redistribution des données diégétiques (« ce qui arrive et me traverse, dehors et dedans indifférenciés ») ? Lattitude introspective nest-elle pas alors supplantée par une démarche prospective créant un espace qui se déploie à lextérieur du sujet ? Est-il possible dans ses conditions de repenser la question de lherméneutique du sujet ?

Journée détude en présence de Richard Millet, écrivain

Vendredi 26 avril 2002  -  Amphithéâtre de la Présidence

Matinée

9h15 : Aline Mura-Brunel (Université de Pau)

Présentation de la journée

9h30 : Jean-Gérard Lapacherie (Université de Pau)

Lintimité exposée

10h : Franc Schuerewegen (Universités dAnvers et de Nimègue)

« Parle » (Racine)

10h30 : Discussion et Pause

11h15 : Philippe Antoine (IUFM dAmiens)

« Dehors et dedans indifférenciés » : la Promenade

11h45 : Discussion

12h30 : Déjeuner

 

Après-midi 

14h : Bruno Blanckeman (Université de Caen)

Figures de soi/ Postures intimes

14h30 : Philippe Ducat (Université de Pau)

Le sujet exproprié

15h : Franck Wagner (Université de Rennes)

« Quest-ce que cest, moi ? » (La dialectique « intime/ extime » dans ( et autour de)

 La Reprise dAlain Robbe-Grillet)

15h30 : Discussion et pause

16h15 : Richard Millet (Écrivain)

Pratiques et choix décriture.

 

Présentation des interventions

Jean-Gérard Lapacherie

   Mon intention est de réfléchir aux risques auxquels sexpose un écrivain en publiant un journal intime dans lequel il a choisi de tout dire, sans limites ni auto-censure. Mon intervention portera non pas sur laffaire Camus (sur laquelle je nai pas dopinion, sinon quelle a été pure folie), mais sur le journal que Renaud Camus a tenu pendant les trois mois qua duré cette « affaire » et au cours desquels les gens qui lont accusé, de toute évidence, nont rien lu de son uvre, qui mérite tous les qualificatifs que lon voudra, sauf ceux quon y a accolés. Comme Alain Finkielkraut, je crois que les idéologues sont incapables de lire une uvre littéraire ou den comprendre les enjeux et que le statut dune uvre littéraire et a fortiori dun journal intime- interdit quon en fasse la plate-forme dune organisation politique. Autrement dit, la lecture quelle exige na rien en commun avec celle que lon peut se faire du programme dun groupuscule politique lequel fourmille de non dits, dimplicites, dintentions cachées et repose sur une rhétorique de la dissimulation.

Franc Schuerewegen

   « Le monde ne marche que par le malentendu », écrit Baudelaire et Baudrillard ajoute que si les hommes ont inventé la « communication », cest parce quils communiquent mal. Cest dans cet ordre didées que jaimerais aborder ici, en contexte racinien, la question de lénonciation de lintime, plus exactement : la question de la possibilité de cette énonciation. Intimus : ce qui est superlativement intérieur, ce qui est soustrait à lordre de la communication et de la publicité immédiates. Or comment communiquer ce qui est incommunicable ? A quoi bon de toute façon ? Comme si en ouvrant son cur à autrui on avait quelque espoir dêtre bien compris ! Lamoureux racinien se rend compte que parler, cest faire le deuil de sa sincérité. Cest-à-dire quune intimité énoncée est nécessairement une fausse intimité vu que la vraie est linguistiquement inaccessible. Alors, que faire ? Parler ou se taire ? Et si on ne dit rien est-on plus près de lintime ?

Philippe Antoine

   Le récit de voyage tel quil se transforme au XIXe siècle devient écriture du moi aussi bien que du monde : la composante encyclopédique tend en effet à sestomper pour laisser place aux sentiments, impressions et sensations dun voyageur de plus en plus omniprésent. La description nest plus alors simple topographie ; le monument ne rappelle plus seulement les civilisations disparues On ne saurait évidemment en conclure à une totale disparition de lailleurs (et de lautre). A de rares exceptions près (on songe par exemple à lécart lyrique qui pour un Chateaubriand est conjoint à une abolition du paysage) le pacte référentiel est maintenu : subjectivité nest pas intériorité.

   On comprend assez bien que le voyageur puisse être totalement absorbé par le spectacle qui soffre à ses regards, ou, à linverse, quil laisse libre cours à ses rêveries. Dans ces deux cas de figure, qui admettent on sen doute toute une série de variations et qui peuvent dailleurs se contaminer mutuellement, lécriture prend des orientations très différentes. Suffirait-il alors dappréhender le discours viatique en constatant quil oscille entre représentation du monde et expression du moi ? Certains lieux du texte résistent, ceux où il devient impossible de faire le départ entre le moi et les choses, comme si le « clivage intérieur/ extérieur » nétait plus pertinent.

   Certaines séquences en effet font hésiter le lecteur : il croit suivre le cheminement du personnage, mais il saperçoit que les repères spatio-temporels seffacent ; il pense avoir accès à lintimité du voyageur, mais il nidentifie aucun des signes de lintrospection. Je voudrais supposer que la Promenade (définie comme une manière dêtre au monde, de le voir mais surtout de le dire) permet cette indécision. Rhétorique du spontané, style simple et naturel, poétique de linsignifiant sy combinent pour créer un « espace » paradoxal : dehors et dedans sy confondent.

Bruno Blanckeman

    Les récits de soi couvrent tout le spectre du fictionnel. On étudiera la relation intime/ extime en déployant ce spectre. Dans certains cas, lusage de la fable permet dénoncer lintime sans le révéler et de lécrire pour ce quil est : une vie secrète, soustraite à la place publique, en retrait des réalités extérieures, un for intérieur de langue et de fiction. A lopposé, caler la narration au plus près de lexpérience vécue, cest en faire un objet didentification possible pour autrui, linstituer en figure de connaissance commune, cultiver le lien interpersonnel qui déplace lintime hors les murs. De lun à lautre de ces extrêmes (lintime en huis clos/ lintime en piste), il est des modes de saisie et de représentation intermédiaires. Exemples à lappui, cinq types de récits  seront distingués selon leur degré dintensité romanesque, du plus puissant au mieux contenu :

1.      le type autofictionnel (Louis-René des Forêts, Hervé Guibert)

2.      le type littérariste (Georges Perec, Benjamin Jordane, Jean-Benoît Puech)

3.      le type généalogique (Pierre Bergounioux, Pierre Michon)

4.      le type dialogual (Frédéric-Yves Jeannet, Christine Angot)

5.      le type ethnographique (Annie Ernaux, Philippe Vilain)

Philippe Ducat

   Laffaissement du sujet dans les romans de Houellebecq. A la lumière des chapitres consacrés, dans lHistoire de la sexualité, par Michel Foucault à « Lusage des plaisirs » et «Le souci de soi », il sagirait de montrer que le héros de romans est systématiquement placé dans limpossibilité tragique ou comique (cest selon) de façonner son désir à la mesure dun « soi » substantiel ou même identifiable ; de sorte quil se trouve comme exproprié de lui-même par un désir quil ne peut reconnaître comme sien, et en même temps bien sûr incapable dun rapport « authentique » à soi médiatisé par la rencontre dautrui. De sorte quil na rien dautre à exhiber que son vide intérieur, support indestructible dune voix narrative intarissable, en quête dune improbable extinction du désir.

Frank Wagner

   Dans ses (nombreuses) déclarations épitextuelles, Alain Robbe-Grillet présente de façon récurrente son uvre comme une tentative évidemment plurielle- pour répondre à une question selon lui primordiale : « Quest-ce que cest, moi ? » » Toutefois, on sait que chez cet adversaire farouche de la psychologie des essences cette problématique, loin de renouer avec les conceptions unitaires classiques de la personne, aboutit à une virulente contestation de la dichotomie « dedans/ dehors » ou, si lon préfère, « intime/ extime ».

   Plutôt que de produire une analyse (peut-être surnuméraire du phénomène dans la trilogie « néo-autobiographique » des Romanesques, je souhaiterais montrer comment et à quel point il informe le dernier roman dAlain Robbe-Grillet, La Reprise ce que confirment lépitexte (Le Voyageur), le péritexte (notamment la seconde périgraphe : « Et puis, quon ne vienne pas membêter avec les éternelles dénonciations de détails inexacts ou contradictoires. Il sagit, dans ce rapport, du réel objectif, et non dune quelconque soi-disant vérité historique. ») et bien sûr le texte. Lexamen successif de la prédétermination ironique et provocatrice des protocoles de réception et de sa confirmation-contestation par le traitement de la voix narrative, du substrat intertextuel et des structures et contenus fantasmatiques devrait ainsi autoriser une spécification graduelle de ce que pourrait être « lintime selon Alain Robbe-Grillet » -conception singulière ( ?) dont les présupposés devront alors être clarifiés et réinscrits dans le paysage culturel contemporain.