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L’interprétation politique des oeuvres littéraires : problèmes et perspectives

L’interprétation politique des oeuvres littéraires : problèmes et perspectives

L’INTERPRÉTATION POLITIQUE DES OeUVRES LITTÉRAIRES :

PROBLÈMES ET PERSPECTIVES

(PROJET DE COLLOQUE DANS LE CADRE DU PROGRAMME HERMÈS EN COLLABORATION AVEC LE CENTRE D'ETUDES DU ROMAN ET DU ROMANESQUE, UPJV)

 

Le sujet à plus d’un égard intempestif de ce colloque prévu pour les 3 et 4 juillet 2012 à l’Université de Paris 3 - Sorbonne nouvelle, dans le cadre du programme A.N.R. Hermès - Histoires et théories de l’interprétation dirigé par Françoise Lavocat, en collaboration avec le CERR (Université de Picardie – Jules Verne), pose d’emblée un problème de légitimité. On ne saurait occulter à quel point l’interprétation politique des oeuvres littéraires, dont l’histoire est jalonnée de diktats et d’interdits tonitruants, est lestée par le soupçon de vouloir brider le libre jeu des facultés de l’écrivain. D’où la question : une herméneutique, une lecture politiques de la littérature peuvent-elles rendre justice à un acte de création censé jouir d’une autonomie maintes fois postulée ? Essayons de formuler autrement la même interrogation : qu’en était-il de l’interprétation politique de la littérature aux époques où l’autonomie de cette dernière était loin d’être acquise ? C’est une question épistémologique que nous aimerions poser aux spécialistes des littératures d’Ancien Régime. Elle mérite également d'être examinée pour les sociétés intolérantes et répressives où l'autonomie de la sphère esthétique a fait long feu.

 

La méfiance à l’égard de l’explication politique des phénomènes littéraires est la même que suscitent certaines applications d’un métalangage conceptuel au domaine de l’esthétique. Certes, les exigences spéculatives du philosophe ont souvent fait le lit des anathèmes du censeur. Que l’on songe au célèbre passage du livre III de la République de Platon[1], condamnant sans appel la mimésis au nom du bon usage de la cité et considéré (à tort ou à raison) comme l’acte inaugural d’une longue saison d’inimitié farouche entre la polysémie de l’art d’une part, et le savoir conceptuel, voire l’utopie politique de l’autre. Peut-on pour autant se contenter d’ériger l’autotélisme d’une pratique irréductible à toute logique utilitaire en seule fonction de la littérature ? Un tel kantisme mal compris a fait depuis longtemps les frais de l’objection de Theodor W. Adorno, pour qui l’autonomie de l’art ne saurait être érigée en fétiche, sous peine de cautionner une production dont les critères de pertinence seraient voués à alimenter un jeu à somme nulle ou à satisfaire les exigences d’un académisme stérile[2]. Or, dans la mesure où l'on admet  que la littérature ne saurait déployer son potentiel politique que dans la plénitude de ses moyens expressifs, la question cruciale de la dialectique entre l’autonomie et l’ouverture, voire l’ hétéronomie des phénomènes esthétiques se pose en amont de toute réflexion sur le sens politique des oeuvres.

 

Nous souhaitons articuler les deux journées de colloque autour de trois axes thématiques relevant respectivement de la définition même de notre objet d’étude, des traditions herméneutiques et critiques qui l'ont illustré et de la production littéraire proprement dite.

 

L'interprétation politique des oeuvres littéraires : délimitations et convergences

L'interprétation politique des oeuvres littéraires  n'est pas le monopole d'une orientation idéologique déterminée. A titre d'exemple, la relecture orientée de représentants choisis du canon, voire parfois des adeptes de la modernité la plus iconoclaste (expressionnisme, avant-gardes etc.) a joué un rôle non négligeable chez un certains nombre de penseurs ou d'auteurs réactionnaires ou même fascistes. Elle a pu également servir de caution à des régimes, des gouvernements ou des partis politiques qui ont voulu asseoir leur légitimité sous le signe de tel ou tel écrivain.

Il serait donc souhaitable de s'interroger, de façon plus générale,  sur la spécificité de la lecture politique des textes, sur ses convergences et ses limites par rapport à d'autres approches herméneutiques. L'interprétation politique des textes est-elle une « méthode » parmi d'autres ou bien faut-il voir, dans la perspective politique «  the absolute horizon of all reading and all interpretation [3]» (Fredric Jameson) ?

A travers quelles opérations donne-t-on un sens politique aux textes ? Les commanditaires (à l'âge classique), le public visé par l'auteur, la constellation des personnages, les valeurs défendues par les héros positifs (ou  négatifs), le style ou la pluralité éventuelle des langages permettent-ils de cerner le sens politique d'une oeuvre ? Comment les problèmes de l'interprétation politique rejoignent-ils des questions traditionnelles de l'herméneutique, comme notamment la légitimité d'une lecture allégorique  de textes ?

 

 

      Esthétique,  politique et théorie littéraire : rétrospective et perspectives

D’éminents théoriciens de la littérature contemporains et du XXe siècle - notamment Th. W. Adorno, M. Bakhtine, R. Barthes, W. Benjamin, B. Brecht, L. Goldmann, F. Jameson, G. Lukács, J.-P. Sartre - ont posé, chacun avec sa touche et par sa sensibilité propre, le problème d’un outillage critique qui, tout en refusant les étroitesses d’une démarche strictement « militante », n’en demeure pas moins soucieux de son propre positionnement politique et de celui des oeuvres prises en examen.  Cette visée partagée a cependant donné lieu à des passes d’armes mémorables à propos de la façon dont la littérature déploie sa vocation « défétichisante ». Que l’on songe à Adorno critiquant vigoureusement, dans sa correspondance des années 1930 et dans sa Théorie esthétique, l’optimisme avec lequel Benjamin avait introduit la notion de « perte d’aura » de l’oeuvre d’art, ou bien aux empoignades entre Adorno et Lukács, au cours des années 1950 et 1960, au sujet du « réalisme » en littérature.

 

Jacques Rancière a évoqué récemment la dialectique entre une tendance de l’art à opposer ses ressources intrinsèques (« son médium propre ») aux formes d’esthétisation marchande de la vie et l’aspiration de toute oeuvre à incarner « une proposition de monde » [4]. Dès lors, sans préjuger de l’issue d’un débat entre des options et des exigences esthétiques que l’on aurait tort de tenir pour mutuellement incompatibles, comment configurer les rapports entre recherche littéraire et sciences humaines, dans le cadre d’une théorie prenant en compte à la fois, la « littérarité » du langage et l’inscription sociale de l’acte de création [5] ? Quel rapport peut-on établir entre la fonction ludique de la littérature,  sa teneur critique et son aptitude à configurer un raccourci, une « saisie intensive » d’un monde à venir ?

Ces questions méritent d'être posées, dans une perspective métacritique, à un certain nombre d'interprétations politiques des oeuvres littéraires connues et moins connues.

 

 

      Le potentiel politique des textes littéraires

Un troisième volet de la manifestation prévue serait réservé à des études de cas,  à l'examen du potentiel et des « cristallisations » politiques (tournant parfois ouvertement à l’instrumentalisation) de textes littéraires déterminés, avec des communications qui auraient le souci de s'interroger sur leur propre démarche et/ou de l'articuler avec la tradition critique dans ce domaine.

En 1939, Walter Benjamin prônait courageusement la « politisation de l’art » comme antidote contre l’ « esthétisation de la politique » brandie par la barbarie fasciste. Depuis, la pensée critique s’est évertuée à démêler les implications et les sous-entendus de ce chiasme. Où en est-on aujourd’hui du tournant esthétique préconisé par Benjamin ? Est-il toujours d’actualité dans sa formulation originaire, ou bien exige-t-il d’être repensé ? Va-t-on vers un art et une littérature post-esthétiques, une littérature sans aura, dont la vocation consisterait à se dresser contre une esthétisation médiatique du quotidien plus envahissante que jamais ? Quels rapports se dessinent-ils, en littérature, entre réalisme, analogie, schématisme et ce que les théoriciens de l’École de Francfort appelaient la « teneur de vérité » de l’oeuvre ? Il y a lieu en outre de se demander quelle est la valeur heuristique et opérationnelle de catégories telles que l’intentionnalité et l’engagement, dans l’analyse des implications politiques de la littérature.

Autant de questions qui peuvent orienter la réflexion sur les oeuvres d’auteurs dont le sens politique a fait débat (Sade, Rousseau, Baudelaire, Kafka ou Robbe-Grillet, pour n'en citer que quelques-uns) ou dont la relecture à des moments particuliers de l'Histoire a fait l’objet de retournements soudains dans le cadre d’enjeux politiques qui méritent d'être pensés. Que l'on songe aux cas Borges, Céline, Jünger, Malaparte, Pirandello ou bien à l'appropriation de Dante, de Goethe et de Hölderlin par les idéologues de l'extrême droite.

 Carlo Umberto Arcuri                                              Andréas Pfersmann

Université de Picardie - Jules Verne                          UPF/EAST, CERC

C.E.R.R. / C.E.R.C.L.L.

 

Les propositions de communication (15 à 20 lignes) doivent être adressées avant le 15 décembre 2011 simultanément à carlarc@hotmail.fr et pfersmann@gmail.com

 

[1] Platon, République, III, 394.                                                                            

[2]  Dans la Théorie esthétique, Adorno parle du « Doppelcharakter der Kunst: der von Autonomie und fait social ».

[3] Fredric Jameson, The Political Unconscious. Narrative a socially symbolic Act.(1981), London Routledge, 1996, p. 17.

[4] Jacques Rancière, Les Écarts du cinéma, Paris, La Fabrique éditions,  2011, p. 45.

[5] Ibid.