Questions de société

"L'instituteur et le curé", un point de vue de Laurent Nunez

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Laurent Nunez)

L'instituteur et le curé

"Le jeudi 25 juin 2009, Claire Bottineau-Sicard, agrégée de Lettres, aurait dû faire passer les épreuves anticipées de français (EAF) au lycée Saint-André de Choisy-le-Roi, établissement privé catholique sous contrat. Comme le bac est un examen national, et que la France est un pays laïque, elle avait demandé très justement qu'on retire une croix de bois près du tableau, afin que les candidats (qui provenaient tous d'établissements laïques) ne soient pas gênés par cette marque trop ostentatoire. C'est une demande très courante des examinateurs, qu'ils obtiennent d'ordinaire sans aucune difficulté.

  Toutefois, cette fois-ci, le directeur de l'établissement opposa un refus catégorique à la demande de Mme Bottineau-Sicard : on lui assura que depuis des années, nul ne s'était plaint de cette croix (!), et que l'établissement accueillait en son sein des élèves et des personnels de confessions diverses. Une discussion hors sujet sembla donc débuter, et Mme Bottineau-Sicard préféra l'écourter afin de ne pas mettre les candidats en retard. Elle commença donc les oraux du bac.

  À 11 h du matin, la directrice fit irruption dans la salle d'examen : elle confirma à Mme Bottineau-Sicard que la croix ne serait pas enlevée, et qu'elle avait obtenu l'accord du SIEC (Service interacadémique des examens et concours.) Très surprise de cela (car c'est une chose qu'un établissement catholique reste sur sa position, et une autre qu'un organisme publique et laïque accepte cette position), Mme Bottineau-Sicard profita de sa pause au milieu de la journée pour contacter le SNES, auquel elle n'était pas syndiquée. Évidemment, on lui répondit qu'elle était dans son droit le plus strict, le plus absolu, et peut-être même, dans son devoir de fonctionnaire. Rassurée d'entendre cela, Mme Bottineau-Sicard revint au lycée Saint-André en réitérant sa demande ; expliquant que si elle ne lui était pas accordée, elle se voyait dans l'impossibilité de faire passer convenablement cette épreuve nationale. Qu'à cela ne tienne : il était 13 h 40 et les premiers candidats étaient convoqués à 14 heures. On interrompit par conséquent les épreuves de français, et l'on fit attendre cette examinatrice jusqu'à 15 h, heure à laquelle on lui expliqua qu'elle pouvait rentrer chez elle : le chef du centre du SIEC avait donné raison à l'établissement (!), et on avait organisé le remplacement de l'examinatrice.

  Voilà un extrait du témoignage de cette enseignante : «On m'a alors demandé d'écrire une lettre à faxer au chef de centre expliquant ma défection. J'ai été conduite dans une salle où j'ai composé un courrier à la va-vite, courrier relu par la directrice qui m'a assuré que l'établissement donnerait “sa propre version” (ce dont je ne doute pas une seconde). J'ai rendu les descriptifs en ma possession (je n'avais pris que les deux qui m'étaient nécessaires pour la journée) et mes bordereaux d'interrogation. La directrice m'a demandé si j'avais également mon paquet de copies. J'ai manifesté ma surprise – corriger des copies ne me posait en effet pas le même type de problème. J'ai compris qu'elle supposait que j'avais trouvé un moyen procédurier d'échapper à mes obligations de service, ce qui n'était nullement le cas. Il devait lui sembler incongru qu'un professeur de la République tienne autant au respect de la laïcité que le directoire de l'établissement à la présence constante d'une croix dans chaque salle. »

  Où cela se passe-t-il donc ? Ah oui : en France. Et nous sommes en 2009. Cet incident est honteux pour la République ; il remet en cause les valeurs de laïcité et de tolérance de notre nation. Car la tolérance, ce n'est pas accepter les croix sur les murs : c'est comprendre que depuis 1905, la France est un pays laïque, que l'enseignement est donc séparé de la religion. Depuis des années, nous débattons autour des signes ostentatoires dans les écoles ; mais il serait injurieux et illégal que ces signes soient interdits aux seuls élèves, aux seuls enseignants. Quand un établissement privé sous contrat participe, avec ses locaux, à des épreuves pour un diplôme délivré par un état laïque, cet établissement privé devient automatiquement un centre d'examen national : il se doit par conséquent de respecter une forme élémentaire de neutralité en matière religieuse.

  Au Vatican, le 18 décembre 2008, M. Sarkozy avait osé déclarer : « l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance. » Mme Bottineau-Sicard vient de démontrer le contraire. Espérons que pour cela elle ne sera pas inquiétée par ses supérieurs. Mais justement : pour quels motifs ? Et quels griefs pourrait-on bien lui faire ?""

Laurent Nunez