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« L’instinct de ciel » Vestiges, reconfigurations et dynamiques du sacré dans la littérature moderne et contemporaine (XXe-XXIe siècles) (ENS de Lyon)

« L’instinct de ciel » Vestiges, reconfigurations et dynamiques du sacré dans la littérature moderne et contemporaine (XXe-XXIe siècles) (ENS de Lyon)

Publié le par Emilien Sermier (Source : Yves Schulze)

La mort de dieu pro­cla­mée par Nietzsche, l’intran­si­geance catho­li­que redé­fi­nie entre 1869 et 1870 lors de Vatican I, l’élaboration d’une mytho­lo­gie répu­bli­caine, la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État en 1905 jusqu’à l’affir­ma­tion d’un « retour du reli­gieux » aujourd’hui sont autant de phé­no­mè­nes cultu­rels et socio-his­to­ri­ques qui, tout en attes­tant la sécu­la­ri­sa­tion des socié­tés occi­den­ta­les, font signe vers une per­ma­nence trou­ble du sacré que la lit­té­ra­ture tente d’élucider. À rebours des nom­breu­ses conver­sions au catho­li­cisme du début du XXe siècle (Huysmans, Péguy, Claudel), nous sou­hai­te­rions partir de « l’ins­tinct de ciel » (Mallarmé), exprimé dans la poésie de la fin du XIXe siècle, tri­bu­taire de l’héri­tage de Baudelaire et en germe dans la décla­ra­tion rim­bal­dienne « Je finis par trou­ver sacré le désor­dre de mon esprit » (« Alchimie du verbe »), pour étudier les formes que cette quête du sacré a prises dans la lit­té­ra­ture du XXe et XXIe siè­cles.

Forts d’une pos­ture réso­lu­ment pro­fane, voire athéiste, pro­sa­teurs et poètes se sont appro­priés du sacré non seu­le­ment dans une pers­pec­tive de sub­ver­sion, mais sur­tout comme hori­zon à main­te­nir pour com­pren­dre le sujet, le monde, la vie col­lec­tive et la créa­tion. À tra­vers à une reconfi­gu­ra­tion de la notion du sacré, écrivains et phi­lo­so­phes rêvent ou bien d’une « mys­ti­que sans dieu » (Fritz Mauthner) ou d’un « dieu sans mys­ti­que », vœux qui concor­dent avec un large empan d’œuvres qui se voient comme relais du sacré ou comme inter­mé­diaire pri­vi­lé­gié pour l’appro­cher. Il appa­raît que le concept de sacré, et le geste qui le fonde, au moins étymologiquement, le sacri­fice, ont été sur­tout inves­tis par la phi­lo­so­phie, par exem­ple dans les tra­vaux de Bergson, Bataille, Ricœur, Levinas, Agamben ou encore François Laruelle. Dès lors, il convient également d’inter­ro­ger cette diver­sité de pensée, pour savoir dans quelle mesure elle permet d’éclairer l’appro­che lit­té­raire du sacré ou si cette der­nière s’avère irré­duc­ti­ble aux théo­ries phi­lo­so­phi­ques. De plus, si la sécu­la­ri­sa­tion du monde entraîne son désen­chan­te­ment, la lit­té­ra­ture se conçoit-elle comme lieu de résis­tance à ce pro­ces­sus ou est-elle soli­daire de cette rup­ture entre l’esprit et la matière en vue de les recom­po­ser dans un espace à venir ou à dévoi­ler ? En réflé­chis­sant sur l’atti­rance du sacré et son éventuelle nature spé­ci­fi­que au sein de la lit­té­ra­ture, surgit la pro­blé­ma­ti­que fon­da­men­tale du pou­voir de l’écriture, à la fois comme dis­cours, fic­tion et dic­tion. Lorsque la lit­té­ra­ture prend en chargé le sacré, elle semble oscil­ler entre puis­sance et impuis­sance, enthou­siasme et inef­fa­ble, et s’engage ainsi dans une dyna­mi­que, tantôt posi­tive, tantôt néga­tive, dont il faut mettre en relief les enjeux et la signi­fi­ca­tion. Le sacré est-il une fin en soi, un absolu, ou est-il un signe sub­sti­tu­tif, voire heu­ris­ti­que, pour autre chose ? Enfin, nous pou­vons nous deman­der si cette dyna­mi­que même résulte d’un réseau dis­cur­sif qui conduit à la sacra­li­sa­tion de la lit­té­ra­ture et dont il fau­drait révé­ler les imbri­ca­tions. Ces ques­tions, parmi bien d’autres, seront abor­dées au cours de cette jour­née d’étude dévo­lue aux diver­ses arti­cu­la­tions entre l’écriture et le sacré dans la lit­té­ra­ture du XXe et du XXIe siècle, qui tourne le dos aux ins­ti­tu­tions reli­gieu­ses. Tous les genres lit­té­rai­res y trou­ve­ront une place, en par­ti­cu­lier la poésie comme point de conver­gence et de cris­tal­li­sa­tion des inter­ro­ga­tions esthé­ti­ques, au même titre que la lit­té­ra­ture d’autres espa­ces cultu­rels, et nous encou­ra­geons ainsi des appro­ches com­pa­ra­tis­tes. Les pro­po­si­tions de com­mu­ni­ca­tions pour­ront s’appuyer sur les axes de tra­vail sui­vants :

Poétiques : si la poésie se main­tient comme hori­zon ou point de fuite majeurs de l’écriture, c’est qu’elle ren­voie aux sour­ces pri­mor­dia­les de la créa­tion, geste dont la conno­ta­tion sacrée est attes­tée par la majo­rité des tra­di­tions spi­ri­tuel­les et cos­mo­go­ni­ques, ainsi que par l’idée du « Verbe » créa­teur inti­me­ment atta­chée à la parole poé­ti­que. Au-delà du cli­vage entre prose et vers, il s’agit d’exa­mi­ner les formes esthé­ti­ques à la fois comme avè­ne­ment d’un monde inédit et comme manière de l’habi­ter. Quelles sont ces poé­ti­ques ancrées dans le sacré qui se des­si­nent au cours du XXe et XXIe siè­cles ?

Figures et ava­tars : en tant que notion plu­ri­sé­cu­laire, le sacré concen­tre une telle charge his­to­ri­que, dis­cur­sive et affec­tive que l’ambi­tion d’en faire table rase paraît au mieux inef­fi­cace. Dès lors, com­ment la lit­té­ra­ture récu­père et reconfi­gure-t-elle cette matière dont les repré­sen­ta­tions col­lec­ti­ves sont inexo­ra­ble­ment impré­gnées ? Si les ves­ti­ges du sacré se trou­vent aussi bien dans les tra­di­tions que dans la moder­nité, notam­ment dans la forme de figu­res diver­ses, comme celles qui détien­nent l’auto­rité, le savoir ou les tech­ni­ques, capa­bles d’assu­rer la péren­nité d’un pos­si­ble salut indi­vi­duel et col­lec­tif, com­ment la lit­té­ra­ture se les appro­prie-t-elle et quel­les sont les dyna­mi­ques qui en résul­tent ?

Relations : s’il reste à déter­mi­ner la pos­si­bi­lité d’un sacré stric­te­ment indi­vi­dua­liste, il semble que le sacré se mani­feste de manière pri­vi­lé­giée dans le par­tage et la vie com­mune, ce qui contraste avec l’image de l’écrivain isolé. Lorsque ce der­nier pro­pose des média­tions pour accé­der au sacré, il paraît néces­saire d’en déter­mi­ner la portée ainsi que la nature du rap­port au monde qu’elles des­si­nent en creux. Inversement, nous pou­vons mettre en doute l’iso­le­ment de l’écrivain et l’ins­crire dans un réseau de rela­tions humai­nes, artis­ti­ques et dis­cur­si­ves, qui par­ti­ci­pent, sciem­ment ou incons­ciem­ment, à la sacra­li­sa­tion de l’œuvre.

L’impensé : le rap­port au sacré paraît condi­tionné par une atti­tude d’ouver­ture au monde qui s’accom­pa­gne simul­ta­né­ment d’une clô­ture. Cette hypo­thèse amène au moins deux inter­ro­ga­tions autour de l’impensé. La quête du sacré ou le sacré cons­ti­tuent-ils, au fond, une dyna­mi­que néga­tive ver­tueuse qui dégage des phé­no­mè­nes qui seraient de l’ordre de l’impensé et de l’épiphanie ? À l’inverse, si le sacré relève de l’inter­dit ou du tabou, c’est-à-dire trace les fron­tiè­res du pen­sa­ble sur fond de l’impensé, saisir dans l’espace lit­té­raire ce sacré per­met­trait d’y ouvrir une brèche et de déman­te­ler des com­por­te­ments que l’on peine à remet­tre en cause.

Le colloque aura lieu le 13 octobre 2017 à l'ENS de Lyon.

Bibliographie indi­ca­tive :

Agamben, Giorgio, Homo Sacer : l’inté­grale 1997-2015, Paris, Seuil, 2016.

Alizart, Mark (dir.), Traces du sacré, cata­lo­gue de l’expo­sion au Centre Pompidou, orga­ni­sée par Jean de Loisy, Réunion des Musées natio­naux, 2008.

Bataille, Georges, Œuvres com­plè­tes, tome 7 : l’économie à la mesure de l’uni­vers. La part mau­dite. La Limite de l’utile (frag­ments). Théorie de la reli­gion. Conférences 1947-1948, Paris, Gallimard, 2002.

Bergson, Henri, Les deux sour­ces de la morale et de la reli­gion, Paris, Presses Universitaires de France, 1967.

Caillois, Roger, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1950, « Folio essais », 1990..

Deschaumes, Bernadette (dir.), Ecritures poé­ti­ques, écritures du sacré, inte­rac­tions, Paris, Michel Houdiard éditeur, 2015.

Éliade, Mircéa, Le sacré et le pro­fane, Paris, Gallimard, 1957.

Frank, Manfred, Le dieu à venir, Arles, Actes Sud, 1989-1990, (Florence Vatan, Veronika von Schenk, trad.).

Gauchet, Marcel, Le désen­chan­te­ment du monde : une his­toire poli­ti­que de la reli­gion, Paris, Gallimard, 1985.

Girard, René, La vio­lence et le sacré, Paris Gallimard, 1972.

Bibliothèque publi­que d’infor­ma­tion, La lit­té­ra­ture contem­po­raine et le sacré : actes des ren­contres orga­ni­sées par la BPI le 17 mai 2008, Paris, Bibliothèque publi­que d’infor­ma­tion, Centre Pompidou, 2009.

Lardoux, Jacques, Le sacré sans Dieu dans la poésie contem­po­raine, Paris, Prométhée, 1990.

Laruelle, François, Christo-fic­tion : Les ruines d’Athènes et de Jérusalem, Paris, Fayard, 2014.

Maulpoix, Jean-Michel, L’ins­tinct de ciel, Paris, Mercure de France, 2000.

Mauthner, Fritz, Der Atheismus und seine Geschichte im Abendlande, Band 4:Die grosse Revolution. Die letz­ten hun­dert Jahre, Reaktion, Materialismus und got­tlose Mystik, Deutsche Verlags-Anstalt, Berlin und Stuttgart, 1923.

Nancy, Jean-Luc, La Déclosion, l’Adoration (Déconstruction du Christianisme T. 1 et T.2) Paris, Galilée, 2005 et 2012.

Vigée, Claude, Révolte et louan­ges. Essai sur la poésie moderne, Paris, José Corti, 1962.

Watthée-Delmotte, Myriam, Bonord, Aude (dir.), Le sacré dans la lit­té­ra­ture contem­po­raine : expé­rien­ces et réfé­ren­ces, Berne, Peter Lang, 2015.

Comité scien­ti­fi­que : Corinne Bayle, Eric Dayre, Laurent Demanze, Florence Godeau