Actualité
Appels à contributions
L’Inde, ce non-moi mien des penseurs et des écrivains européens 

L’Inde, ce non-moi mien des penseurs et des écrivains européens

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Simona Necula)

Appel à communications « L’Inde, ce non-moi mien des penseurs et des écrivains européens »

Le centre d’études HETEROTOPOS de l’Université de Bucarest organise en partenariat avec le CEREFREA le colloque "L’Inde, ce non-moi mien des penseurs et des écrivains européens"

12-13 octobre 2017

« C’est ce non-moi mien qui enchante le moi du rêveur et que les poètes savent nous faire partager. Pour mon moi rêveur, c’est ce non-moi mien qui me permet de vivre ma confiance d’être au monde. »

Gaston Bachelard La Poétique de la rêverie

L’impact de la culture indienne sur le moi de l’Européen qui entre en contact avec elle, d’une façon ou d’une autre, semble avoir été moins focalisé, en tant qu’objet d’étude distinct. On en fait un aspect des représentations de l’espace indien, qui relèvent du voyage ou tout simplement de l’imaginaire. Elles ont été très bien analysées, de même que les usages occidentaux d’une Inde instrumentalisée comme support de la rêverie exotique ou de la domination. La bibliographie du domaine fait preuve d’un intérêt spécial par rapport à celui qu’on accorde à d’autres espaces géographiques et culturels.

Dans ces approches, l’accent est presque toujours mis sur l’Européen en tant que Sujet d’actions, dans la bonne tradition anthropologique : c’est lui qui connaît, juge, raconte, éprouve des impressions… C’est lui qui est montré comme inventeur, selon le terme d’Edward Saïd, comme producteur de l’indienneté, selon ses propres catégories de pensée et de sensibilité. On lui attribue, explicitement ou implicitement, une posture de domination, pour le moins culturelle, sur l’Inde.

La théorie de Saïd a reçu beaucoup d’amendements, même de la part se son auteur, mais le cas de l’Inde pourrait la relativiser davantage. Beaucoup plus que certains espaces de l’Ailleurs, elle met à l’épreuve le Sujet cartésien. Souvent, pour le faire – après le contact avec une altérité radicale – adhérer avec plus de conviction réfléchie aux valeurs de sa civilisation.

Parfois aussi, et c’est surtout sur ce cas que je vous invite à vous pencher, pour lui faire subir son action transformatrice. Si Nicolas Bouvier avait raison de dire qu’on croit « faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait », alors il en est un particulièrement efficace de ce point de vue.

Pour faire sortir du paradigme européen, rien de meilleur que le voyage en Inde. Parfois son seul exemple in vitro, à distance, comme pour Diderot, Mirbeau ou Romain Rolland, suffit à déstabiliser les valeurs et les croyances partagées, en faisant jeter un regard éloigné sur soi-même et sur sa propre culture. D’autres fois, in vivo, ce n’est pas seulement l’identité culturelle qui se remet en cause, mais l’identité individuelle aussi, sujette à une transformation profonde : « L’Inde, le spectacle de l’Inde, à un moment ou à un autre, oblige à sortir de soi. Impossible, ou presque, de rester bloqué, prisonnier de nos problèmes d’égotisme, d’insatisfaction, d’obsession, d’incompréhension. L’Inde nous sollicite, nous provoque, nous séduit, nous repousse, nous stupéfie, nous hypnotise, bref elle fait tant et si bien que nous en venons à nous oublier, à effacer en nous l’individu (Jean-Claude Carrière, Petit dictionnaire amoureux de l’Inde).

On ne saurait, bien évidemment, diminuer le poids historique de la domination européenne qui s’est exercée sur l’Inde, depuis l’arrivée des missionnaires jésuites portugais, à Goa, en 1542, l’installation de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fondée en 1602, de la Compagnie danoise, fondée en 1616, de la première compagnie française, créée par Colbert en 1664. Installés au Bengale vers le milieu du XVIIIe siècle, avec la Compagnie des Indes orientales, les Anglais n’ont accordé l’indépendance de l’Inde qu’en 1947, dans des conditions tragiques. Cependant, on ne gagne rien à réduire ce pays au statut de dominé, sans voir qu’il a pu se montrer aussi comme un modèle culturel alternatif et agir sur les manières de penser et de vivre, même si de façon ponctuelle.

Les voyageurs et les écrivains français constituent de ce point de vue un bon exemple parce que, ne détenant pas la domination, ils ont pu se déclarer contre elle et contre ceux qui    l’exerçaient (L’Inde sans les Anglais), pour se rapprocher des indigènes. Ils ont pu ainsi non seulement mieux connaître la culture de ces derniers, mais s’en laisser acculturer. Ces inventeurs inventés en viennent non seulement à adhérer à certaines valeurs et croyances locales, mais aussi à changer leur grammaire culturelle profonde, celle qui régit le vécu et la sensibilité. Leur moi s’en trouve transformé et même si la personne réintègre le plus souvent ses pénates, le passage par Inde, réel ou imaginaire, lui laissera toujours des traces. Pour mesurer les effets de ce passage, on doit savoir que, parfois, dans le cas de ces « fous d’Inde » dont parle Régis Airault, la force du « délestage d’identité » est telle qu’elle rend le retour impossible…

 

1.L’Inde, catalyseur des mythes personnels

  • Concepts qui font remettre en doute le modèle culturel partagé : non-violence, impermanence, non-agir, maya, karma, etc.
  • L’argument indien dans la défense de ses propres idées et valeurs

2.Adopter de nouvelles façons de penser

  • Exemples indiens qui annulent les exclusions logiques et font accepter les formes de la « coincidentia oppositorum » (Mircea Eliade) : possible/impossible, réel/illusoire, sacré/profane, naturel/merveilleux, etc.

3.Adopter de nouvelles façons de vivre et de sentir

  • Depuis les épreuves du quotidien autre jusqu’à la neutralisation du seuil de tolérance (N. Elias) européen
  • Vécus et sentiments oxymoriques (« Bien que l’Inde soit un enfer de misère, il est merveilleux de vivre » – Pier Paolo Passolini)

4.Un moi autre

  • Résistances critiques et niveaux d’acculturation
  • Changements de l’identité culturelle et personnelle
  • Conversions

5.Mircea Eliade, écrivain et anthropologue de l’Inde

  • Anticipation et observation participative
  • « Résister à la féerie de légende » vs « me convertir »
  • L’Inde en fictions et en concepts

 

Bibliographie critique

Assayag Jackie – L’Inde fabuleuse. Le charme discret de l’exotisme français, XVIIe – XXe siècles, Paris, Kimé, 1999.

Bridet Guillaume, Moussa Sarga et Christian Petr (dir.) – L’Usage de l’Inde dans les littératures française et européenne (XVIIIe – XXe siècles), Paris-Pondichéry, Ed. Kailash, 2006.

Bridet Guillaume – L’événement indien de la littérature française, Grenoble, ELLUG, coll. « Vers l’Orient », 2014.

Choné Aurélie – Destination Inde. Pour une géocritique des récits de voyageurs germanophones (1880-1930), Paris, Champion, 2015.

Deleury Guy – Le Voyage en Inde. Anthologie des voyageurs français (1750 – 1820), Paris, R. Laffont, 2003.

Renaître en Inde, Paris, Stock, 2015.

Hughes Didier (dir. ) – Découvertes de l’Inde, de Vasco da Gama à Lord Mountbatten, Paris-Pondichéry, Ed. Kailash, 2005.

Hulin Michel et Maillard Christiane – L’Inde inspiratrice. Réception de l’Inde en France et en Allemagne (XIXe – XXe siècles), Presses universitaires de Strasbourg, 1996.

Kieffer Jean-Luc – Anquetil-Duperron. L’Inde en France au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1983.

Lombard Denys (dir., avec la collaboration de Catherine Champion et Henri Chambert-Loir) – Rêver l’Asie, Exotisme et littérature coloniale aux Indes, en Indochine et en Insulide, Paris, Ed. de l’EHESS, 1993.

Lubac Henri de – La Rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Paris, Ed. du Cerf, 2000.

Petr Christian – L’Inde des romans, Paris-Pondichéry, Ed. Kailash, 1995.

Schwab Raymond – La Renaissance orientale, Paris, Payot, 1950 (rééd. 2014).

Tinguely Frédéric – Le Fakir et le Taj Mahal. L’Inde au prisme des voyageurs français du XVIIe siècle, Genève, La Baconnière, 2011.

Weinberger-Thomas Catherine (dir.) – L’Inde et l’imaginaire, Paris, Ed. de l’EHESS, 11, 1988.

 

Comité scientifique :

Dolores TOMA (Université de Bucarest)

Vanezia PARLEA (Université de Bucarest)

Philippe ANTOINE (Université Blaise Pascal, CELIS)

Sarga MOUSSA (CNRS, Université Paris 3, UMR THALIM)

Frédéric TINGUELY (Université de Genève)

Comité d’organisation :

Dolores TOMA (dolores.toma3@gmail.com)

Vanezia PARLEA (pvanezia@yahoo.com)

Simona NECULA ( simona.necula@villanoel.ro )

 

Les propositions de contribution seront rédigées en français. Constituées d’un titre, d’un résumé et d’un court CV, celles-ci devront être envoyées d’ici le 1er mars au comité d’organisation.