Actualité
Appels à contributions
L’inattendu dans la création littéraire et artistique, à la lumière du « Printemps arabe »

L’inattendu dans la création littéraire et artistique, à la lumière du « Printemps arabe »

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Passages XX-XXI)

Appel à communications pour un colloque à tenir les 24, 25 et 26 octobre 2013 à l’Université Lumière/Lyon-2

Nous avons tous été surpris par l’ampleur de ce qu’il est convenu d’appeler le « Printemps arabe », né à l’hiver 2010-2011 en Tunisie pour se prolonger en Égypte et dans de nombreux autres pays de la région. Quels que doivent être les développements politiques de ces séquences, elles bouleversent profondément notre regard sur le monde, ne déstabilisant pas moins l’assurance des discours convenus que leurs formes. Devant cette brèche, on attend de la parole littéraire l’invention de nouveaux modes du dire : non pas tant des réponses échappant aux idéologies que le jaillissement de modalités langagières nouvelles. Car si, comme le roi soudain nu, les idéologies se révèlent impuissantes à rendre compte du réel, la littérature ne saurait, elle non plus, se contenter de modèles génériques rassis.

La littérature maghrébine pratique depuis longtemps (souvenons-nous de Kateb Yacine, parmi d’autres) cette subversion généralisée des genres, subversion de ce qui les distingue les uns des autres comme de ce qui sépare le « littéraire » du « non-littéraire », et elle s’interroge avec Mohammed Dib sur les pouvoirs du langage face aux défis d’un réel qui toujours lui échappe. Ces dernières années ont également vu se développer des courants d’expression culturelle collective nouveaux, comme la Nayda au Maroc et son renouvellement musical, chorégraphique ou théâtral. Enfin, même s’ils ne sont certes pas nouveaux dans cet espace comme ailleurs, le « Printemps arabe » a permis le surgissement de modes d’expression inattendus comme les blogs ou les graffitis. Les premiers furent une des courroies de transmission, incontrôlable et remarquablement efficace, des manifestations urbaines, et les seconds ont littéralement fleuri, du jour au lendemain, sur les murs jusque-là préservés des immeubles symboliques du pouvoir, rendant soudain évidents et omniprésents des modes d’expression encore peu décrits jusqu’ici, et qui nous interrogent.

Car la postmodernité dans laquelle l’expression publique est entrée depuis les années 80 va encore plus loin : la subversion formelle n’est même plus un exercice de littérarité. Elle est au diapason d’une véritable submersion du dire par un réel qui balaye tous les supports rhétoriques sur lesquels la recherche d’un sens s’appuyait jusque-là. D’ailleurs même si leur résonance en nous est opposée, l’actuel « Printemps arabe » a au moins un point en commun avec le terrorisme des années quatre-vingt-dix en Algérie : nous empêcher de nous contenter des explications que nos idéologies nous proposent parfois encore. Plus que le sens, c’est bien le pouvoir des discours à le produire qui est ici en question. Et au-delà donc de ce pouvoir de produire le sens, la légitimité des rhétoriques sur lesquelles il s’appuyait jusqu’ici. L’inattendu est certes dans ces événements que notre regard idéologique n’avait pas su prévoir. Il est aussi dans l’écroulement des rhétoriques qui nourrissaient ce regard.

Ce colloque s’attachera donc à décrire la dimension littéraire et artistique, au sens le plus large du terme, au Maghreb et au Machrek, et peut-être aussi dans l’émigration, voire dans d'autres espaces qui ont pu connaître également des explosions socio-politiques, de cette actualité inattendue. Il pourra peut-être aussi s’appuyer sur une différence qui commence à se faire jour entre les textes publiés en France, chez des éditeurs de plus en plus nombreux, et ceux publiés au Maghreb par une jeune édition en pleine croissance, et qui sont souvent bien plus divers et inattendus, précisément, que les premiers : la lecture européenne de la littérature maghrébine n’est-elle pas, encore, tributaire d’une attente informée par l’histoire de la décolonisation, là où la jeune lecture maghrébine apparaît peut-être plus disponible à l’inattendu ?

On pourra bien sûr décrire les premiers textes que le « Printemps arabe » est en train de susciter. Mais peut-être aussi se demander si le bouleversement des formes auquel on assiste depuis les années 80, et même parfois depuis plus longtemps, ne préparait pas déjà, à notre insu, la survenue de cet inattendu et de ses défis. Ou encore, si on n’assiste pas à une remise en cause de la binarité sur laquelle reposent nombre de descriptions idéologiques de la décolonisation, là où la « condition postmoderne » suppose la dissémination, l’inattendu, et en tout cas la ruine d’une rhétorique binaire. On se gardera cependant de limiter les débats, qui doivent plus que d’autres rester ouverts à l’inattendu, à cette seule problématique.

Quelques problématiques possibles (liste non exhaustive) :

« Printemps arabe », « Révolution de (du ?) Jasmin », etc. : Comment nommer un phénomène inattendu ? Pourquoi « Printemps arabe » et non « Révolution » ?

Ce « Printemps », ou cette « Révolution » sont-ils, ou non, propres au Monde arabe ? Si oui : en quoi ? Si non : à quoi peut-on les rattacher hors du Monde arabe ? Contribuent-ils ou non à (re)créer une communauté culturelle Maghreb-Machrek ?

Les premières productions littéraires et cinématographiques inspirées par le « Printemps arabe » : quel inattendu formel ? Et quel rapport avec l’événement, ou comment dire l’événement en littérature ?

Les nouveaux modes d’expression dont le « Printemps arabe » a mis en évidence l’efficacité inattendue : blogs, graffitis, ou encore manifestations de rues insolites, comme la journée « L’avenue lit », à Tunis, le 18 avril 2012 ou la campagne «Lire c’est vivre » organisée par le collectif Noudh Taqra dans différentes villes du Maroc le 20 mai 2012..

Histoire formelle de l’inattendu dans la production littéraire et artistique au Maghreb et au Machrek avant le « Printemps arabe » : quel statut pour la rupture dans la modernité de cette production ?

L’attendu et l’inattendu dans la production littéraire éditée récemment au Maghreb et au Machrek, et la différence de ce point de vue entre cette production et celle des éditeurs français.

Quel inattendu et quel attendu dans le bouleversement des formes et genres littéraires, tout comme dans la définition de ce qui est littéraire ou ne l’est pas?

L’association de « printemps » et « arabe », que certains jugent oxymorique (cette perception fût-elle discutable), n’est-elle pas cependant le marqueur d’une création conceptuelle productrice d’inattendu ? Quel est le rapport de cet « inattendu » littéraire maghrébin avec l’indicible, en littérature ? Plus : le dire de l’indicible ne suppose-t-il pas une expression littéraire inattendue ?

Y a-t-il une réévaluation du rapport entre l’individuel et le collectif dans et par cet inattendu littéraire ? De ce point de vue une lecture de quelques « blogs » pourrait être intéressante.

Quelle langue les écrivains choisissent-ils prioritairement pour témoigner de l’inattendu ? Le mot « dégage ! » brandi par les manifestants du Monde arabe est emprunté au français… Quelle serait sa valeur symbolique? C’est en tant qu’expression tunisienne – et non française – que le mot « Dégage ! » est passé en Égypte. Ne serait-il pas possible enfin de détourner le propos de Kateb Yacine (encore lui !) sur le «français comme butin de guerre » en « français comme butin de la Révolution »? Dans une séquence du film égyptien 18 jours, on voit d’ailleurs que ce mot a également été utilisé sur la place Tahrir, accompagné de sa traduction, qui plus que de traduire, avait surtout pour fonction d’appuyer le sens polémique du slogan.

Calendrier

Date limite d’envoi (impérative) des propositions de communications à Touriya Fili-Tullon et à Charles Bonn (Touriya.Filitullon@univ-lyon2.fr et bonn.charles@gmail.com) : 15 décembre 2012.

Ces propositions de communications devront être accompagnées d’un résumé de 5 à 10 lignes, et d’un CV ne dépassant pas ½ page.

Un Comité scientifique chargé de la sélection des propositions de communications sera constitué début septembre 2012, et les auteurs seront avertis en octobre 2012 de l’acceptation ou du refus de leur proposition.

Cet envoi relativement tôt des propositions de communications est nécessaire pour permettre aux organisateurs de soumettre un programme précis dont ils solliciteront le soutien pour la mise en oeuvre du projet.