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"L'homme précaire et la bibliothèque" (séminaire, M. Macé)

Publié le par Marielle Macé

Séminaire de Marielle Macé : « L’homme précaire et la bibliothèque »

Vendredi, 13h-15h, EHESS, salle 13, 105 Bd Raspail. Du 18 novembre 2016 au 10 février 2017. Ouvert à tous

 

   Quels livres — et quels objets, et quelles images, et quelles possibilités de parole — conserver ou mobiliser lorsqu’il faut partir, lorsque l’on vit sous conditions de violence, de détresse, ou de détention ? Qu’attendre seulement des livres lorsqu’on est exilé, déplacé, emprisonné ? Ces questions ont gagné en intensité au XXe siècle ; des tranchées de la Grande guerre aux migrations actuelles, les formes de la culture n’ont cessé de croiser l’histoire des violences et des déplacements, et ce fut pour beaucoup une histoire de privation, de mutilation, de dépossession, parfois aussi de réappropriation ; une semblable fragilité frappe ici les objets culturels et les êtres historiques : le lecteur, l’homme moderne est un homme précaire, ou plutôt précarisé.

   Ce séminaire entend explorer ces enjeux à travers une série d’études de cas : les déménagements successifs de Benjamin et ses tentatives pour sauvegarder une bibliothèque de plus en plus réduite ; la constitution du barda des poilus en 1914 (tout comme desplaylists des soldats d’aujourd’hui) ; l’invention à Istanbul de « la littérature comparée » par deux philologues exilés par le nazisme, Auerbach et Spitzer ; les leçons sur Proust données par un militaire polonais dans un camp soviétique en 1942 ; "l’exil" à New York de Lévi-Strauss, de Breton, d’Arendt (qui en conçut toute une pensée de l’habitation de la langue, et en fit une œuvre de poésie récemment traduite) ; mais aussi : la solidarité persistante entre philologie et politique ; ou encore, l’accusation sous laquelle la littérature est tombée, de la part des écrivains eux-mêmes, en lutte contre leur propre effort et contre leur propre instrument… Autant d’exemples d’une culture désormais sans innocence.

   Une conviction anime ce séminaire, née du voisinage avec ces destinées (et avec les engagements actuels du Réseau Etudes Supérieures et Orientation pour les Migrant.e.s et les Exilé.e.s) : le sentiment que la littérature dit quelque chose de notre vulnérabilité (et de la précarité qui, elle, est très inégalement distribuée), fait quelque chose de cette vulnérabilité, ne parle que pour notre vulnérabilité, nos destructions, nos soulèvements devant les destructions, nos joies ; et qu’avec elle on peut viser une communauté de vies égales, une communauté de vies capables de souffrir d’autres vies. Certains écrivains aujourd’hui tournent résolument leur écriture vers cette conviction de l’égalité des vies — là où la mélancolie, ou le sentiment de la destruction, sait aussi se déployer politiquement.

 

 

Programme indicatif :

 

  • - « Je déballe ma bibliothèque » (W. Benjamin)
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  • - Vies précaires, vies précarisées (Baudelaire, J. Butler)
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  • - Bibliothèques de guerre (Thibaudet, Sartre, J. M. Daughtry)
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  • - L’invention de la littérature comparée à Istanbul (Auerbach, Spitzer, E. Said)
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  • - Séance en collaboration avec le Résome (« Réseau Etudes Supérieures et Orientation pour les Migrant.e.s et les Exilé.e.s »)
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  • - Bibliothèques de camps (J. Czapski, P. Levi)
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  • - Devant l’histoire : les écrivains contre la littérature (Adorno, Breton, Paulhan)
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  • - Exil, langue, poésie (H. Arendt, B. Cassin, Cl. Mouchard)
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  • - Voix de détenus — les entendre (F. Bon, J. Butler)
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  • - Avec Claude Mouchard, poète : Qui si je criais...? Œuvres-témoignages dans les tourmentes du xxe s.
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  • - Avec Arno Bertina, écrivain : « Ce qui me relie à cette fille-mère de Pointe-Noire, au Congo, prostituée déclarée sorcière ».
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