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Appels à contributions
L'expérimentation en question 

L'expérimentation en question

Publié le par Alexandre Gefen (Source : hug)

APPEL À CONTRIBUTIONS – TACET, EXPERIMENTAL MUSIC REVIEW #2

www.tacet.eu/

(English version below)

L’EXPÉRIMENTATION EN QUESTION

Dossier dirigé par Matthieu Saladin – IDEAT (Université Paris 1/ CNRS), Le Quai École supérieure d’art de Mulhouse

Selon l’une des définitions données par John Cage des musiques expérimentales, l’expérimentation aurait pour tâche de poser des questions plutôt que d’apporter des réponses toutes faites. Ce numéro de TACET voudrait retourner cet adage à l’expérimentation elle-même en interrogeant ses principes, ses manifestations et ses enjeux aussi bien historiques (pour autant qu’ils questionnent notre contemporanéité) qu’actuels.

L’expression « musique(s) expérimentale(s) » sert habituellement à désigner, du point de vue historique, les pratiques de musiciens et compositeurs, principalement anglo-saxons, réunis autour de la musique et des idées de Cage, du moins s’en réclamant directement ou indirectement. L’indétermination, le processus et l’intérêt pour les « nouveaux » sons y constituent des axes de recherche majeurs. Mais cette expression renvoie également à des courants musicaux et/ou artistiques antérieurs (le futurisme avec Russolo et l’émergence de la poésie sonore, les premiers travaux de musiques électroniques en Russie, etc.) qui ont contribué à remettre sur le chantier les normes qui régissaient la création sonore. De manière contemporaine aux premières expériences de Cage avec le hasard, l’appellation « musique expérimentale » a pu tout aussi bien être utilisée par Pierre Schaeffer dans un sens sensiblement différent. À partir des années 1970, le champ que recouvre l’expression s’élargit sous la dynamique des musiques improvisées, d’expériences menées dans la nébuleuse rock, du minimalisme et des musiques électroniques. Aujourd’hui, son application apparaît d’autant plus variée que son sens n’a plus rien d’évident, rassemblant finalement, faute de qualificatif approprié, toute pratique musicale aux bruits « suspects ».

Toujours est-il que cette expression « définit » un champ de pratiques sonores particulièrement hétérogènes, voire aux enjeux et aux modalités quelquefois antagonistes. Si l’expérimentation a pu chercher à remettre en cause une pensée progressiste de la modernité, elle a su également y contribuer dans son exigence de nouveauté. De même, alors qu’une certaine tradition expérimentale réclame le retrait de l’individu dans son projet, d’autres formes visent, aussi bien chez les musiciens que chez les auditeurs, l’expérience des limites, ou encore s’attachent à questionner les rapports au collectif. Mais les ambitions de l’expérimentation se retrouvent également dans le voeu de troubler les frontières entre l’art et la vie – sinon entre les arts (dimension polyartistique) –, d’investir les possibilités offertes par les nouvelles technologies, tout comme de questionner leur domination et d’en exploiter les failles. À cette diversité insaisissable répond pourtant l’aspect situé et local de l’expérimentation en tant que telle, à même d’interroger la prétention d’une expérimentation générale ou continue, voire l’ontologie de courants musicaux définis en soi comme expérimentaux. Où se situe alors l’expérimentation dans les musiques expérimentales comprises dans leur diversité ? Quand y a-t-il expérimentation ? Quels sont les procédés utilisés ? Quelles peuvent être les différences et les tensions entre les multiples usages du terme, qui varient en outre selon les cultures et les contextes sociohistoriques ? Quelles sont les formes de l’expérimentation sonore aujourd’hui ? Quels déplacements peut-on observer, d’une génération à l’autre, dans les problématiques musicales, mais aussi sociales et politiques, que pose l’expérimentation ?

Prendre comme point de départ pour la réflexion l’hétérogénéité des musiques expérimentales implique également de repenser l’étendue des pratiques qu’elles peuvent concerner. En effet, si l’expérimentation est bien souvent identifiée, au moins pour la modernité, comme relevant des musiques d’avant-garde, elle ne saurait s’y réduire et peut tout aussi bien être repérée dans des pratiques qui ne sont pas d’emblée « rangées » sous l’étiquette « musiques expérimentales » et en premier lieu dans les musiques populaires. Quelles formes d’expérimentation se trouvent à l’oeuvre dans ces musiques ? Quels dispositifs mobilisent-elles ? Quelles sont les influences des musiques populaires sur les musiques dites expérimentales et inversement ?

Une autre perspective de recherche pourrait interroger les discours qui justifient les pratiques. Nombre de musiciens voués à l’expérimentation ont pu, notamment dans les années 1960, s’inspirer, de manière plus ou moins critique, de courants de pensée philosophiques et/ou spirituels, comme la philosophie de l’expérience, les théories de l’information ou encore les philosophies orientales. Quels usages les musiciens peuvent-ils faire de ces théories dans leur pratique ? En quoi ces lectures peuvent-elles nous renseigner sur les enjeux et les postulats des expérimentations entreprises ? Quelles sont celles qui circulent dans les pratiques contemporaines ? De telles lectures dépassent bien souvent le seul champ de l’expérimentation et révèlent, dans leurs préoccupations, des phénomènes culturels plus larges : de quoi, dès lors, ces discours paramusicaux qui nourrissent l’expérimentation seraient-ils le symptôme ?

Enfin, alors que l’on insiste souvent sur les processus de création que mettent en oeuvre les musiques expérimentales, la réception de l’expérimentation apparaît peu questionnée. Nombre de performances historiques se sont pourtant soldées par des scandales ou ont été accueillies avec une certaine réserve, tandis que d’autres ont donné lieu à des expériences collectives dépassant le seul moment du concert. Quelles sont les conditions (sociales, institutionnelles, culturelles) de réception de l’expérimentation ? Qu’implique l’expérimentation chez les auditeurs ? Qui concerne-t-elle ? Quelles peuvent être les expériences de l’expérimentation du point de vue de différents publics ?

D’autres axes de réflexions pourront concerner :

  • Les concepts qui définissent l’expérimentation, mais aussi les apories et les mythes qui entourent les pratiques.
  • Les rapports aux technologies, du bricolage et du détournement à l’intérêt, parfois proche du scientisme, pour les nouvelles technologies ; les différences et similitudes entre l’expérimentation scientifique et l’expérimentation sonore.
  • L’analogie politique de l’expérimentation ; les ambitions sociales et critiques de certaines pratiques musicales expérimentales, leur récupération potentielle ou effective ; les modalités et les enjeux d’une expérimentation collective.
  • Le problème des catégories et des distinctions dans les musiques expérimentales. Les remises en cause qu’elles occasionnent et les nouvelles cartographies et généalogies qu’elles dessinent.
  • L’impact et le développement des musiques expérimentales en dehors de l’Occident. Et en retour, les influences d’autres traditions musicales sur les musiques expérimentales occidentales.
  • Les rapports à la subjectivation et à l’identité qui se jouent dans l’expérimentation.
  • La question du genre dans des traditions et des courants musicaux encore largement masculins.
  • Les manières dont des subcultures, des communautés, des scènes ou des réseaux peuvent se solidariser et se forger autour d’une ambition expérimentale (le bruit et les volumes extrêmes dans la noise, les rencontres impromptues dans l’improvisation libre, etc.)

Participation

Ce prochain numéro de TACET voudrait aborder ces questions dans une perspective interdisciplinaire (esthétique, philosophie, musicologie, histoire culturelle, cultural studies, gender studies, sociologie, sciences politiques, littérature, psychanalyse, etc.) et entend réunir un ensemble d’études où l’expérimentation sera interrogée dans la diversité de ses formes et l’hétérogénéité de ses problématiques. Sont attendues des analyses générales, de cas particuliers comme des études transversales.

Les questions proposées par cet appel à contributions ne sauraient être exhaustives. Elles représentent quelques pistes de recherche d’ordre général suggérées aux potentiels contributeurs. Elles souhaitent néanmoins rappeler que la revue TACET attend des études de fond nourries d’un propos argumenté. Le comité de rédaction sera de plus particulièrement attentif à la qualité rédactionnelle des contributions, estimant que les dimensions littéraire et poétique ont toute leur place dans l’articulation et la transmission d’une pensée. Il est également rappelé aux auteurs que la revue s’adresse à un lectorat élargi.

Les auteurs doivent informer au préalable le comité de rédaction de TACET de leur projet d’article par courriel en précisant le titre de leur contribution et en joignant un résumé de leur proposition.

Les articles sont quant à eux à envoyer par courriel avant le 15 avril 2012 aux adresses suivantes : redaction[at]tacet[dot]eu et matthieu[dot]saladin[at]gmail[dot]com

Il convient de joindre à l’article, un résumé, quelques mots-clés et une biographie succincte de l’auteur. Nous prions les auteurs de suivre les instructions (format des articles, normes bibliographiques) disponibles à l’adresse suivante ; leur respect facilitera le processus éditorial et écourtera ainsi les délais.

English version

CALL FOR PAPERS – TACET, EXPERIMENTAL MUSIC REVIEW #2

www.tacet.eu

EXPERIMENTATION IN QUESTION

Issue edited by Matthieu Saladin – IDEAT (Université Paris 1/ CNRS), Le Quai École supérieure d’art de Mulhouse

According to one of the definitions of experimental music formulated by John Cage, the role of experimentation is to ask questions rather than to provide canned answers. This issue of TACET seeks to turn this saying back on experimentation itself, by examining its principles, manifestations and challenges, both historical (provided they question our contemporaneity) and current.

From a historical point of view, the expression “experimental music” has typically been used to describe the practices of musicians and composers, mainly Anglo-Saxons, reunited around the music and ideas of John Cage, or at least directly or indirectly claiming as such. Indeterminacy, process and the interest in “new” sounds are its major lines of research. However, this expression equally refers to previous musical and/or artistic trends (futurism with Russolo and the emergence of sound poetry, the first electronic music works in Russia, etc.) which have contributed to the bringing back of rules that governed sound creation to the drawing board. At the same time as Cage carried out his first experiments with chance, Pierre Schaeffer was also able to use the name “experimental music” in a very different sense. From the 1970s, the field covered by this expression widened under the momentum of improvised music, experiments carried out in the nebulous world of rock, minimalism and electronic music. Today, its application appears to have become so varied that its meaning is no longer clear, as ultimately, due to the lack of appropriate terms, it encompasses any musical practice with “suspect” noises.

The fact remains that this expression “defines” a field of particularly heterogeneous sound practices, or even one with antagonistic issues and modalities, at times. Whilst experimentation has been able to attempt to call into question a progressive thinking of modernity, equally, it has been able to contribute to it in its demands for novelty. Likewise, while a certain experimental tradition calls for the withdrawal of the individual into their project, other forms seek to experiment with limits, both amongst musicians and listeners, or to question relationships with the collective. But the ambitions of experimentation are also to seek to disrupt the boundaries between art and life – or between the arts (polyartistic dimension) -, to invest in the possibilities offered by new technologies as well as questioning their domination and exploiting their shortcomings. To this elusive diversity, however, responds the contextual and local aspect of experimentation as such, which is in a position to question the claim of general or continuous experimentation, or even the ontology of musical trends defined in and of themselves as experimental. Where is experimentation to be found, therefore, within the diversity of experimental music? When is there experimentation? What are the processes used? What may be the differences and the tensions between the multiple uses of the term, which also vary according to the cultures and the socio-historical contexts? What are the forms of sound experimentation today? What movements can be observed, from one generation to the next, in the musical problems, but also the social and political problems that experimentation poses?

Taking the heterogeneity of experimental music as a starting point for reflection means rethinking the scope of the practices that it may involve. Indeed, whilst experimentation is often identified, at least in modernity, as coming under avant-garde music, it cannot be reduced to this and it can just as easily be found in practices which are not immediately “labelled” as “experimental music”, first and foremost in popular music. What forms of experimentation are at work in this music? What devices do they employ? What influence does popular music have on so-called experimental music and vice versa?

Another research perspective could examine the discourse that justifies these practices. Numerous musicians dedicated to experimentation, particularly in the 1960s, were able to gain inspiration, in a more or less critical manner, from philosophical and/or spiritual schools of thought, such as the philosophy of experience, the theories of information or even the Eastern philosophies. What use can musicians make of these theories in their own practice? In what way can these discourses inform us of the challenges and the postulates of the experiments undertaken? Which are the discourses that circulate in contemporary practices? Such discourses often go beyond the scope of experimentation alone and reveal concerns relating to wider cultural phenomenon: what, then, could these paramusical discourses that feed experimentation be a symptom of?

Finally, while we often emphasise the creative processes behind the playing of experimental music, the way experimentation is received appears to be little questioned. Numerous performances in the past have resulted in scandals or have been greeted with a certain reserve, whilst others have given rise to collective experiences that have reached beyond the moment of the concert alone. What are the conditions (social, institutional, cultural) under which experimentation is received? What does experimentation mean to the listeners? Who does it affect? What could be the experience of experimentation of different audiences?

Other lines of reflection may involve:

  • The concepts that define experimentation, but also the aporias and the myths that surround these practices.
  • The relationship with technologies, from DIY and détournement to interest, sometimes similar to scientism, for new technologies; the differences and similarities between scientific experimentation and sound experimentation.
  • The political analogy of experimentation; the social and critical ambitions of certain experimental music practices, their potential or actual recuperation; the modalities and challenges of a collective experiment.
  • The problem of categories and distinctions in experimental music. The questioning they bring about and the new maps and genealogies that they plot.
  • The impact and the development of experimental music beyond the West, and in turn, the influences of other musical traditions on Western experimental music.
  • The relationships with subjectivation and identity which are at play in experimentation.
  • The issue of gender in traditions and musical trends which are still largely male.
  • The ways in which subcultures, communities, scenes or networks can come together, unified around an experimental ambition (noise and extreme volume in noise, impromptu meetings in free improvisation etc.)

Participation

This issue of TACET seeks to address these questions from an interdisciplinary perspective (aesthetics, philosophy, musicology, cultural history, cultural studies, gender studies, sociology, political science, literature, psychoanalysis etc.) and it aims to bring together an ensemble of studies in which experimentation will be examined in the diversity of its forms and the heterogeneity of its problems. We await general analyses, special cases and cross-disciplinary studies.

The questions proposed in this call for papers are not exhaustive. They represent a few suggested general avenues of research for potential contributors. They do, nevertheless, seek to serve as a reminder that the TACET review expects in-depth studies with a well-argued subject. The Editorial Board will, in addition, pay particular attention to the editorial quality of contributions, considering that literary and poetic dimensions all have their place in the articulation and transmission of a thought. Authors are equally reminded that the journal is aimed at a broadened readership.

Authors should first inform the Editorial Board of TACET of their proposal for an article by email, stating the title of their contribution and attaching an abstract of their proposal. The articles themselves should be sent by email before the 15th of April 2012 to the following addresses: redaction[at]tacet[dot]eu and matthieu[dot]saladin[at]gmail[dot]com

Attached to the article should be an abstract, a few key-words and a brief biography of the author. We ask authors to follow the instructions (article format, bibliographic standards) available at the following address; compliance with them will aid and thus speed up the editorial process.