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L’Evénement dans la littérature et les arts (Séminaire)

L’Evénement dans la littérature et les arts (Séminaire)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Cyril Barde )

L’Evénement dans la littérature et les arts

Séminaire doctoral 2015-2016

 

En annonçant respectivement « le retour de l’événement[1] » et la « renaissance de l’événement[2] », les historiens Pierre Nora (dès 1974) et Pierre Dosse (plus récemment) proposaient de renouveler la démarche historiographique en rompant avec l’histoire immobile de l’Ecole des Annales qui avait signé la mort de l’événement. En littérature, de façon parallèle à l’École des Annales, le Nouveau Roman expérimentait une mise à mal du récit, ce qui dessine ainsi dans l’histoire culturelle une crise de l’événement. Le regain d’intérêt pour la notion d’événement, minorée ou disqualifiée par un structuralisme soucieux d’invariants et de constantes systémiques, s’explique aussi par l’accroissement de la place et du pouvoir des mass-médias dans des sociétés mondialisées où « l’événementiel » est un secteur professionnel en expansion et où tout, jusqu’au plus dérisoire « buzz », semble devoir faire événement. La notion d’événement, au carrefour des champs disciplinaires et des domaines de savoir, semble particulièrement féconde et stimulante ces dernières années au regard des nombreuses publications auxquelles elle a donné lieu. Nous tenterons, dans ce séminaire, de contribuer à cette réflexion.

 

1. Faire date

Le séminaire, tirant parti de ces récents apports, voudrait interroger les modalités discursives qui consacrent une date comme point de démarcation, un point de rupture dans l’histoire littéraire et artistique. Qu’est-ce qui fait date, fait événement dans les arts et la littérature? Comment se constituent les ruptures de l’histoire littéraire et artistique? Ces interrogations, loin de sacraliser un moment ou d’essentialiser la notion même d’événement, visent à réévaluer les fondements des découpages temporels, à prendre conscience de la part de récit qui est au cœur de toute entreprise historiographique. Les manuels scolaires, les études universitaires écrivent des histoires de l’art et de la littérature scandées par une série de moments fondateurs, de crises et de tournants prenant place dans un récit dont il s’agit de mettre au jour les enjeux épistémologiques, idéologiques ou politiques. La réévaluation des événements qui font date engage par exemple à interroger les processus de canonisation, les classements, les hiérarchies ou les groupements générationnels qui s’appuient souvent sur un ou des événement(s). En cela, l’événement est à la fois ce qui advient en suspendant le temps, une date, un point de rupture, insaisissable dans son immédiateté, et ce qui devient, soit un processus qui ouvre à d’autres temporalités. Pour le dire avec l’historien Pierre Laborie, l’événement « n’est pas simplement ce qui advient mais ce qui advient à ce qui est advenu[3] ».
 

2. Médiatisation & spectacularisation de la vie littéraire et artistique

Le(s) récit(s) de l’événement prenne(nt) corps au sein d’un régime médiatique qui met en scène et en spectacle la vie des œuvres et des artistes. Les parutions, les sorties cinématographiques, les premières théâtrales ou les vernissages deviennent un enjeu crucial dans l’élaboration de la visibilité[4] de l’œuvre, seule garantie de son existence. Les honneurs, les commémorations, les inaugurations de monuments sont autant d’exemples d’événements qui construisent une renommée, intègrent des figures au patrimoine national et à l’imaginaire collectif. La mise en spectacle va parfois jusqu’au véritable trucage : scandales et polémiques peuvent être déclenchés à dessein pour qu’une œuvre ou un artiste fasse la une. Nous interrogerons la place des différents agents de ces stratégies médiatiques (stratégies auctoriales, éditoriales…) et leurs influences dans l’élaboration de la valeur de l’œuvre. On pourra en outre se demander dans quelle mesure l’événement assure, confirme ou au contraire disqualifie la valeur d’une œuvre.

 

3. Poétiques de l’événement

Comme l’écrit Didier Alexandre dans son Introduction à l’ouvrage collectif Que se passe-t-il?, « l’événement est de l’ordre de l’accompli : son temps verbal est celui du parfait », l’événement ne peut exister sans être raconté, sans l’élaboration d’un récit. Nous nous intéresserons dans ce séminaire aux genres qui fabriquent l’événement comme le reportage, la chronique, le témoignage etc… On pourra s’interroger sur les affinités de l’événement avec le genre théâtral, notamment parce qu’il s’écrit en recourant à des procédés de dramatisation, mais aussi parce que le lieu et le temps de la représentation semblent plus aptes à le susciter que la seule publication en librairie (il n’est pas fortuit que la bataille d’Hernani soit l’un des événements les plus emblématiques de la littérature française). Il convient alors de s’interroger sur les différentes écritures et mises en image de l’événement (réel ou fictionnel) : l’écrivain ou l’historien privilégie-t-il l’explication des causes qui situent l’événement dans une continuité ? Insiste-t-il davantage sur l’événement comme pur avènement, pure naissance, qui privilégierait les formes de la discontinuité qui travaillent sur l’écho, la résonnance, le ressassement ?

Nous pourrions aussi aborder l’événement à l’échelle individuelle (les rites de passage, mariage, anniversaire, etc.) qui brise le quotidien et la norme, entraîne la redéfinition du sujet, que l’événement collectif qui réélabore la communauté. Les autobiographies d’artistes et d’écrivains pourraient être un matériau fécond sur la question de l’événement individuel, qui met en récit le choc esthétique d’une rencontre ou d’une lecture et ses conséquences sur la démarche artistique du sujet. L’événement dans le cas traumatique est là encore moins ce qui est advenu que ce qui est construit ou tente d’être reconstruit a posteriori.

Enfin, nous pourrions considérer le mouvement qui fait de l’événement un geste esthétique fort, notamment dans les démarches artistiques modernes et contemporaines (du ready-made de Marcel Duchamp à la performance). Il s’agit alors de se demander comment la mise en œuvre de l’événement reconfigure la notion d’œuvre elle-même, comment la conception de l’événement engage une nouvelle définition de l’œuvre et de la relation esthétique entre créateur et lecteur/spectateur.

Ces pistes ne sont bien sûr pas exclusives, et pourraient inclure des réflexions sur l’événement manqué, ce qui échoue à faire événement.

Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 15 septembre 2015 aux adresses suivantes : marion_brun@ymail.com et cyrilbarde@yahoo.fr.
 

Calendrier prévisionnel :

Le séminaire a lieu, sauf exception, le premier samedi du mois, de 10h à 12h.

Séances prévues: 3 octobre, 7 novembre, 5 décembre 2015, 9 janvier, 6 février, 5 mars, 2 avril, 16 mai 2016.

 

Bibliographie indicative

Ouvrages

  • Marie-Laure Acquier et Philippe Merlo dir., La Relation de la littérature à l'événement, xixe-xxie siècles, Paris,  l'Harmattan, 2012.
  • Didier Alexandre, Frédéric Madeleine, Sabrina Parent et Michèle Touret, dir., Que se passe-t-il? Événements, sciences humaines et littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2004.
  • Alain Badiou, L’Être et l’événement, Éditions du Seuil, 1988.
  • Emmanuel Boisset et Philippe Corno dir., Que m'arrive-t-il ? littérature et événement, actes du Colloque Jeunes chercheurs Littérature et événement, organisé par le CELAM-Rennes2, les 4, 5 et 6 mars 2004, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006.
  • François Dosse, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre Sphinx et Phénix, Paris, PUF, 2010.
  • Pierre Glaudes et Helmut Meter (dir.), Le Sens de l’événement dans la littérature des xixe et des xxe siècles, Peter Lang, 2008.
  • Pascale Gotschel et Christophe Granger dir., « Faire l'événement », dans Sociétés et Représentations, n° 32,  Paris, Publications de la Sorbonne, décembre 2011.
  • Jeanyves Guérin et Agnès Spiquel dir.,  Les Révolutions littéraires aux xixe et xxe siècles: "à la fin, tu es las de ce monde ancien", Valenciennes : Presses universitaires de Valenciennes, 2006.
  • Danielle Londei, Sophie Moirand, Sandrine Reboul-Touré et Licia Reggiani, dir., Dire l'événement : langage mémoire société,  Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2013.
  • Ignace Olazabal et Joseph J. Lévy, L’Evénement en anthropologie. Concepts et terrains, Presses de l’université de Laval, 2006.
  • Claude Romano, L’Événement et le monde, Paris, PUF, 1999.
  • Claude Romano, L’Événement et le temps, Paris, PUF, 2012.
  • Corinne Saminadayar-Perrin dir., Qu’est-ce qu’un événement littéraire au xixe siècle?, Université de Saint Étienne, 2008.

 

Articles

  • Alban Bensa et Eric Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain [En ligne], 38 | mars 2002, mis en ligne le 19 janvier 2006, consulté le 27 avril 2015. URL : http://terrain.revues.org/1888 ; DOI : 10.4000/terrain.1888.
  • Pierre Nora, “Le Retour de l’événement”, dans Le Goff J. & P. Nora, dir., Faire de l’histoire, vol. I : Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard,1974, p. 210- 229.
  • Isabelle Tournier « Événement historique, événement littéraire ? qu’est-ce qui fait date en littérature ? », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 2002/ 5, « La Périodisation en histoire littéraire: siècles, générations, groupes, écoles », p. 750-1.

 


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[1] Pierre Nora, “Le Retour de l’événement”, dans Le Goff J. & P. Nora, dir., Faire de l’histoire, vol. I : Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard,1974, p. 210- 229.

[2] François Dosse, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre Sphinx et Phénix, Paris, PUF, 2010.

[3] Pierre Laborie, « L’événement, c’est ce qui advient à ce qui est advenu… », entretien donné à la revue Sociétés et Représentations, n°32, 2011, p. 167-181.

[4] Nathalie Heinich, De la visibilité, excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Éditions Gallimard, 2012.