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L’Essai au XIXe siècle

L’Essai au XIXe siècle

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Pierre Glaudes)

L’Essai au XIXe siècle

Préparation d’un colloque international (Université Paris-Sorbonne, 24 et 25 mai 2013)

et d’un numéro de Romantisme

 

Appel à communication

Responsable : Pierre Glaudes (Université Paris-Sorbonne)

L’essai, au XIXe siècle, reste un genre mal identifié que les lexicographes circonscrivent par exclusion des autres genres. C’est ce que montre, par exemple, la notice qui lui est consacrée dans le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse : « Les écrivains donnent souvent ce nom à des ouvrages dont le sujet, la forme, la disposition ne permettent pas de les classer sous un titre plus précis, dans un genre mieux déterminé. » Il est vrai que le genre résiste aux classifications tant il est protéiforme. Non seulement il n’entre pas dans les subdivisions de la poétique aristotélicienne fondée sur la mimèsis, mais il ne bénéficie pas des remaniements opérés par les romantiques dans la nomenclature des genres et ne trouve pas davantage sa place dans l’histoire de la littérature d’inspiration positiviste. Il faut attendre le début du siècle suivant pour qu’il acquière une légitimité aux yeux des théoriciens et des critiques.

Comme c’est souvent le cas, les écrivains anticipent ce processus d’institution générique : amorcée au xviiie siècle par Marivaux et Diderot, cette reconnaissance d’un style essayiste, qui lie étroitement une pensée et une forme, s’affirme progressivement en France pendant le romantisme et à l’époque de la modernité littéraire. En deux siècles, l’essai va pleinement s’épanouir dans l’espace littéraire et devenir, avec le roman, l’un des genres majeurs de notre temps.

L’étendue du domaine couvert par l’essai au XIXe siècle se mesure d’abord par ses contenus. Les essais se consacrent aussi bien à la philosophie (Charles Renouvier, Essais de critique générale), à la politique (Maistre, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques), à l’histoire (Guizot, Essais sur l’histoire de France), à la philologie (La Villemarqué, Essai sur la langue bretonne), à l’esthétique (Quinet, Essai d’une classification des arts) qu’à d’autres disciplines encore.

À la diversité des sujets abordés s’ajoute la multiplicité des formes : on publie sous le titre d’essai(s) des textes longs, tels que l’Essai historique de Chateaubriand, et des textes courts, comme l’Essai sur les fictions de Mme de Staël ; des livres formant un tout organique autour d’un thème – La Sorcière de Michelet – et des recueils de textes épars, réunis après leur publication en un volume plus ou moins éclectique : les Essais historiques et littéraires de Ludovic Vitet, par exemple, contiennent aussi bien une savante notice sur la Chanson de Roland qu’un morceau d’éloquence à la mémoire d’Alfred de Musset ; des ouvrages fortement marqués par les procédés d’ « accroche » et les licences du style journalistique, et d’autres, qui se réfèrent à un modèle savant.

Certaines oeuvres, que leur titre ne permet pas d’identifier d’emblée comme des essais, sont rapportées au genre par leur mode de production, de publication et de réception de la connaissance, en rupture avec les formes du discours académique. Mais ce sont souvent des précisions paratextuelles ou des indications appartenant au péritexte, qui explicitent cette affiliation générique (De l’amour est présenté par Stendhal, dans la troisième préface de l’ouvrage, comme un Essai sur l’amour).

Ce numéro de Romantisme se propose d’examiner les conditions du développement de l’essai au XIXe siècle, lesquelles sont étroitement dépendantes d’un certain nombre de facteurs socioculturels. Citons, sans prétention à l’exhaustivité : le processus de démocratisation de la société, l’évolution des paradigmes épistémologiques et des conditions de diffusion du savoir, le développement de la presse, ou encore le passage du système des belles lettres à la littérature au sens moderne du terme. On trouvera ci-dessous quelques pistes de réflexion pour orienter les contributions.

 

L’essai, en théorie

 

Il serait d’abord intéressant d’étudier le discours sur l’essai (et de considérer aussi les silences, les omissions, les classements alternatifs qui occultent ce type de textes) dans les dictionnaires, les encyclopédies, les histoires de la littérature.

 

Ce travail devrait être fait de même sur les préfaces des essayistes, et plus largement sur la production théorique ou critique des écrivains, pour prendre la mesure des difficultés de l’institutionnalisation du genre et relever aussi les avancées dans ce domaine.

 

Les historiens de la littérature (Vapereau, Petit de Julleville, Lanson, etc.) préfèrent ranger les « textes d’idées » selon les disciplines du savoir – philosophie, histoire, critique… – sans jamais s’interroger sur l’interaction des présupposés et des méthodes de ces disciplines avec des formes d’exposition du savoir. On pourrait considérer dans cette perspective les pratiques historiennes de l’essai : qu’est-ce que le genre doit au développement de l’histoire au xixe siècle ? Quelles sont les liens qui s’établissent entre telle philosophie de l’histoire, telle mode d’investigation et tel usage de l’essai ? Lorsque Michelet vient à l’essai (Le Peuple), il le fait sur des bases idéologiques et épistémologiques qui ne sont pas celles de Chateaubriand (Essai sur les révolutions)  ou de Taine (Essais de critique et d’histoire, Les Origines de la France contemporaine). Sur ces bases, une histoire de l’essai est-elle envisageable, fait-elle apparaître des lignes de force dans la pratique du genre ?

 

On pourrait considérer de même le développement concomitant de l’essayisme et de la critique. Les modèles du portrait ou de la causerie beuvienne définissent un espace essayiste en critique ; mais d’autres facteurs, plus idéologiques, ont pu également jouer un rôle important : le  dilettantisme de Renan et de Paul Bourget par exemple, ou l’ « impressionnisme » d’Anatole France. Ces usages de l’essai coexistent avec d’autres conceptions du genre. Stendhal par exemple donne à l’essai un tour plus nettement ironique et le tire du côté de la controverse.

 

Généalogie de l’essai

 

La question se pose de la référence à Montaigne dans la définition du genre au xixe siècle. Naigeon, l’ami et l’éditeur de Diderot, qui publie en 1802 une nouvelle édition des Essais exploitant l’exhumation, dans les années 1770, du fameux Exemplaire de Bordeaux, présente l’auteur comme un précurseur des philosophes des Lumières. Si le nom de Montaigne est donc associé à une tradition de pensée, le lien s’établit-il aussi avec un style, une démarche formalisables en termes génériques ? Le XIXe siècle ne cessera de lire Montaigne et de se référer aux Essais : quelles sont les caractéristiques de cette lecture ? Peut-on y déceler les éléments d’une esthétique et d’une poétique de l’essai ?

 

L’essai est souvent considéré au XIXe siècle comme un genre anglais : les modèles discursifs offerts par la philosophie anglaise, empiriste ou sensualiste, la vogue des « spectateurs », dans la postérité d’Addison et de Steele, le renom des essayistes romantiques (Lamb, Hazlitt, Dickens, De Quincey, Macaulay…) et des périodiques (Edinburgh Review, New Monthly Magazine) pèsent sur la définition du genre et l’orientent dans deux directions, l’une « savante » (la postérité de l’empirisme britannique et de la philosophie expérimentale, de Bacon à Stuart Mill), l’autre « familière » (privilégiant le support des périodiques). On peut s’interroger sur les modes de diffusion de ce modèle anglais en France : héritage du xviiie siècle, rôle de la Revue britannique et des autres revues (Revue des Deux Mondes, Revue de Paris en particulier), rôle de certains « passeurs » (Amédée Pichot, Philarète Chasles, Émile Montégut…), des écrivains liés à l’Angleterre (Stendhal journaliste), des traducteurs-adaptateurs (Baudelaire avec De Quincey) et des voyageurs (Gautier).

 

L’essai familier, tel que le définissent les Anglais (Familiar Essay, une prose conversationnelle, mêlant les tons et les registres, affranchie des canons de la rhétorique d’école) se développe outre-Manche en même temps que la société urbaine et démocratisée. Dans la postérité de Marivaux journaliste, mais aussi de Rétif, de Mercier, d’Étienne de Jouy, il s’acclimate en France sous forme d’une littérature de l’observation sociale, de la flânerie, qui connaît un plein épanouissement, au cours du siècle, avec les physiologies, les tableaux parisiens, les études de moeurs, mais aussi la chronique. Les relations entre ces formes et l’essai familier n’ont guère été pensées, tant sur un plan généalogique que poétique : c’est encore une piste à explorer (quid par exemple des Notes sur Paris. Vie et opinion de Thomas Graindorge de Taine ?…).

 

L’essai est un genre fortement marqué par des traditions nationales (il faudrait évaluer, dans cette perspective, la dette des écrivains français du XIXe siècle à l’égard d’autres pays que l’Angleterre, notamment l’Allemagne, l’Italie, la Suisse). Il est intéressant de noter que l’apparition des termes « essayisme » et « essayiste » dans notre langue est attestée dans les années 1845-1855 en référence aux oeuvres de Gautier (Zigzags) et de Nerval (Les Nuits d’octobre). Ces textes, qui dialoguent avec la culture britannique (Hogarth, Dickens), définissent, au milieu du siècle, un essayisme « à la française » fortement manqué par la fantaisie (qui s’illustre aussi bien dans des textes critiques comme Les Grotesques ou Les Illuminés que dans des textes déjouant les distinctions habituelles entre fictionnel et factuel, entre récit et discours, entre réel et imaginaire). Les rapports entre essayisme et fantaisie gagneraient donc à être précisés.

 

Formes et frontières de l’essai

 

L’essai, en tant que genre savant, est identifié comme une forme discursive souple et moderne, aux frontières de la littérature et des disciplines du savoir, destiné par ses origines – le dialogue entre beaux esprits, l’enquête empirique – à s’adresser au public dans une langue accessible, qui permet de mettre en débat toutes les questions, sans exclusive : il répond à un besoin de décloisonnement des disciplines et d’expression de vues globales que la spécialisation du traité ne peut satisfaire. Ouvert à tous les genres dont il fait la synthèse, il réconcilie le lyrisme et l’analyse, la fiction et la véridicité, l’expression de soi et la voix de la société, les exigences esthétiques et le savoir encyclopédique. On peut dès lors se demander si se dessinent des types de poétique de l’essai au xixe siècle, en fonction de divers présupposés, épistémologiques, cognitifs, ontologiques, politiques. L’organicisme romantique chez Hugo n’engendre pas la même forme d’essai que le positivisme tainien par exemple.

 

Essai familier et essai savant n’ont pas les mêmes modes de diffusion. La question des supports (le journal, la revue, le livre) est capitale s’agissant de ce genre, comme le passage de l’article au recueil, qui fait migrer le texte d’un espace culturel (la presse) à un autre (la littérature). Peut-on, à cet égard, identifier des rhétoriques et des poétiques de l’essai selon qu’on a affaire à un « monument » (l’essai au singulier) ou à un texte court regroupé avec d’autres dans un ouvrage selon une logique sérielle (les essais au pluriel) ? Peut-on prolonger la réflexion, s’agissant des volumes d’essais, vers une poétique du recueil ?

 

Se pose par ailleurs la question des frontières (ou des possibles rencontres) de l’essai avec la polémique, la satire, le pamphlet. Valery Larbaud dans son livre sur la lecture, intitule un chapitre « Mirbeau l’essayiste »… À juste titre ?

 

Autre question relative aux limites du genre, qui devrait être abordée : celle des frontières qui séparent censément l’essai de la fiction. Ces frontières sont en réalité poreuses : l’essai, genre hybride, intègre volontiers les anecdotes, les récits exemplaires, les scènes fictionnalisées, etc. Il constitue même une alternative au roman dans le contexte fin de siècle de décloisonnement des genres, pour un Schwob ou un Segalen (qui, dans un texte célèbre, fait la théorie de cette mutation).

 

Un colloque international sur le sujet sera organisé à l’université Paris-Sorbonne les 24 et 25 mai 2013. En parallèle sera préparé un numéro de Romantisme pour une parution en 2014 (remise des articles le 1er septembre 2013).

Toutes les propositions de communication doivent être adressées à pierre.glaudes@wanadoo.fr ou au Centre de recherche sur la littérature française des XIXe et XXe siècles (aurelia.cervoni@paris-sorbonne.fr).