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Appels à contributions
L'erreur

L'erreur

Publié le par Marc Escola (Source : Sandy Pecastaing)

Dans le prolongement de la journée d’études sur "L'erreur" qui a eu  lieu vendredi 6 juin 2014 à l’université Bordeaux Montaigne, nous aimerions publier un volume contenant les actes de la journée et des contributions inédites.

Pourquoi l’erreur ?

Au sens étymologique, l’erreur est une “course à l’aventure”, une errance. On avance au gré du hasard, de l’envie, on va d’un côté et de l’autre. Littéralement, l’erreur est un égarement. « De nombreuses découvertes scientifiques – il suffit de penser à Christophe Colomb – ont été réalisées parce que leur auteur s’était trompé de direction et avait ainsi, sans le vouloir à l’origine, exploré une voie nouvelle qu’il n’aurait sans doute pas eu l’idée ou l’occasion d’ouvrir s’il ne s’était pas initialement trompé », écrit Pierre Bayard dans Et si les œuvres changeaient d’auteur ?

Quels que soient les résultats auxquels elle conduit, l’erreur est en effet un moyen de sortir des sentiers battus. Elle offre en tout cas l’occasion – et pour cette seule raison mérite d’être louée – de voir les choses autrement […].

Si l’erreur peut ainsi avoir une véritable fonction de découverte, c’est qu’elle permet, ce qui est le plus difficile quand nous réfléchissons sur le réel, un changement de paradigme. 

L’erreur mérite donc quelque éloge. Elle vaut bien en tout cas d’être un objet d’étude et de débat, dans l’espace d’un volume. Nous sommes tous condamnés à commettre des erreurs. Impossible dès lors réduire le champ de notre recherche aux limites d’une seule discipline. L’ambition de notre volume est interdisciplinaire : nous devons donner libre cours à des pensées de la pensée à travers une réflexion collective autour de l’erreur : l’erreur légère, l’erreur fatale.

Parmi les champs de recherche à explorer figure en tout premier lieu la littérature. Pourquoi en tout premier lieu ? Parce que nous sommes des êtres de langage. De fautes langagières donc. De fait, la littérature compte bien quelques exemples de coquilles et fautes d’imprimerie produisant des bribes d’écriture – comme spontanée, aléatoire – devenues des morceaux d’anthologie. Le plus célèbre d’entre tous figure dans le Dictionnaire de l’argot des typographes (1883) :

Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L’espace d’un matin ?

Malherbe avait d’abord écrit :

Et Rosette a vécu…

Le typographe commit une coquille équivalant presque à un trait de génie :

Et, rose, elle a vécu…

C’était substituer une métaphore charmante à une expression vulgaire. La version du typographe est restée.

L’erreur est créatrice.

Dans L’amitié, Giorgio Agamben évoque le cas d’une autre coquille : il signale une omission – la chute d’une lettre, l’initiale du mot grec (en français : « celui qui »), – à l’origine d’« une formule sibylline que la tradition attribue à Aristote et qui nie l’amitié dans le geste même par lequel elle l’invoque : ô philoi, oudeis philos, “mes amis, il n’y a pas d’amis” ».

Le passage est cité, entre autres, par Montaigne et par Nietzsche qui l’aurait pris chez Diogène Laërce. Pourtant, si nous ouvrons une édition moderne des Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, nous ne trouvons pas, au chapitre consacré à la bibliothèque d’Aristote (V, 21), la phrase en question, mais une phrase en apparence presque identique dont la signification est néanmoins différente et bien moins énigmatique : hô philoi, oudeis philos, « celui qui a beaucoup d’amis, il n’a pas d’amis. »

La postérité a retenu la formule erronée – maxime énigmatique, aporétique –, laquelle est d’ailleurs devenue le point de départ de la réflexion de Jacques Derrida dans Politiques de l’amitié :

« O mes amis, il n’y a nul amy », les mots ne forment pas seulement une citation que présentement je lis dans sa vieille orthographe. Ils retentissent autrement : déjà, il y a si longtemps, ils portaient la citation par un autre lecteur du pays dont je viens, Montaigne, d’« un mot que, dit-il, Aristote avoit très-familier. » C’est dans les Essais, au chapitre De l’amitié.

Voilà donc citée une citation. Mais la citation d’un mot attribué, seulement attribué, par une sorte de rumeur ou d’opinion publique. « O mes amis, il n’y a nul amy », c’est une déclaration prêtée à Aristote. […] Comme une filiation renommée, une origine ainsi surnommée semble se perdre en vérité dans l’anonymat infini d’une nuit des temps. Ce n’est pourtant pas l’un de ces proverbes, l’un de ces « mots » sans auteur assignable et dont le mode aphoristique a rarement la forme de l’apostrophe.

Il y a quelqu’un à l’origine de l’apostrophe, souligne Jacques Derrida. Qui ? On ne sait pas. Quelqu’un dont il reste quelque chose. De l’auteur assignable dont Aristote est devenu la mémoire par défaut en devenant l’auteur assigné de la citation grecque, il y a un effet de présence : une trace à l’encre noire, l’écho d’une voix tombée dans l’aphonie de la pure écriture. Ainsi, la littérature n’exclut pas la collaboration du hasard et le hasard réserve quelques surprises. La plupart du temps, l’erreur est inattendue. Elle est toujours l’objet d’un constat, après-coup.

Pensons également à Proust : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres tous les contresens qu’on fait sont beaux. » Le contresens – bête noire de tout critique littéraire – procède de l’acte de lecture – opération créatrice, productrice de sens – et il est impossible dès lors d’interroger notre rapport au livre sans examiner tous les effets de nos erreurs d’interprétation : malins et bénéfiques.

Nous pourrions emprunter encore bien d’autres exemples à la science, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse, etc. Nous vous proposons quelques axes de recherche :

  • L’erreur d’imprimerie
  • Le contresens
  • Les fautes de langage
  • Le malentendu
  • Le lapsus
  • Le ratage
  • L’acte manqué
  • Récits d’erreur
  • Erreurs de récit
  • Erreur d’intertexte
  • Erreur prosodique ou rythmique
  • Erreurs de traduction
  • Réflexions autour de la citation de Francis Picabia : « l’art est le culte de l’erreur »
  • Les limites sémantiques de l’erreur (ex. : l’erreur et la faute, l’erreur et l’échec)
  • L’erreur judiciaire
  • La joie de l’erreur
  • La peur de l’erreur
  • Métaphysique de l’erreur
  • L’erreur et le progrès
  • L’erreur et le hasard
  • Les enseignements de l’erreur…

La liste n’est pas exhaustive.

Nous adressons notre appel à tous les chercheurs de toutes les disciplines. Notre volume est un lieu de rencontre entre les savants de tous les savoirs, littéraires, scientifiques, juridiques psychanalytiques, etc. N’Hésitez donc pas à diffuser l’appel auprès de vos collègues en droit, science, etc.

 

Modalités de soumission

Date limite de remise des articles : 30/04/2015

Chaque article doit compter 40.000 signes maximum (bibliographie et note de bas de page comprises).

À envoyer à : sandy.pecastaing@wanadoo.fr.