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L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985) : formes et enjeux (Montpellier)

L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985) : formes et enjeux (Montpellier)

Publié le par Marc Escola (Source : David Martens)

L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985) : formes et enjeux

Organisateurs :

Pierre-Marie Héron (Paul-Valéry Montpellier, IUF)

& David Martens (Université de Louvain/KU Leuven, MDRN)

Université de Montpellier - 1-2 juin 2017

 

Dans l’immense logosphère créée par la radio au cours du XXe siècle, l’entretien d’écrivain est en France un genre « légion », abondant en quantité et en diversité. Un genre émergent d’abord dans les années 1930, où les Radio-dialogues de Frédéric Lefèvre sur Radio-Paris, dérivés de sa célèbre série Une heure avec… dans Les Nouvelles littéraires, lui donnent son premier lustre (1930-1940), rejoints avant la guerre par le Quart d’heure de la N.R.F., créé sur Radio 37 pour faire entendre les voix de littérateurs et de poètes ne se produisant pas d’ordinaire à la radio (1938-1939). Un genre florissant dans les années 1950, qui voient naître à la fois le phénomène médiatiquement majeur des entretiens-feuilletons et l’entrée en scène de la télévision en noir et blanc, associant les écrivains dans son grand rendez-vous littéraire des Lectures pour tous (1953-1968). Dans les années 1970, radio et télévision se partagent les deux séries les plus populaires : Radioscopie de Jacques Chancel sur France Inter (1968-1982, 1988-1990), Apostrophes de Bernard Pivot sur Antenne 2, la chaîne couleur du service public (1975-1990). Les années 1990 marquent un tournant : si les écrivains continuent de répondre aux sollicitations des deux médias, les émissions culturelles grand public leur font moins de place, tandis que les émissions purement littéraires se raréfient hors de France Culture, transformée malgré elle en radio de niche.

Une grande époque de la France littéraire s’éloigne alors, que semble prolonger nostalgiquement sur les ondes, à partir de 1984 l’essor d’une « radio de patrimoine » toutes directions incarnée par des séries comme Une vie, une œuvre (depuis 1984), Le bon plaisir de… (1984-1999), À voix nue. Grands entretiens d’hier et d’aujourd’hui, (depuis 1985), Les Nuits de France Culture et leurs six heures quotidiennes d’archives (depuis 1985), Profils perdus (1987-1995), Radio archives (1987-1999) ou Les Greniers de la mémoire (depuis 1994), et prolongée à la télévision par la collection de Bernard Rapp Un siècle d’écrivains sur FR3 (1995-2000), où les entretiens jouent un rôle documentaire important. À côté de Poésie sur Parole d’André Velter et Jean-Baptiste Para (1987-2008) et de Répliques d’Alain Finkielkraut (depuis 1985), fleurons de la poésie et de la pensée vivantes sur France Culture, une radio de nuit s’installe aussi dans le temps, inaugurée par les Nuits magnétiques (jusqu’à minuit…) en 1978, qui fait la part belle à la lenteur, au silence, à l’écoute paisible… et aux dialogues avec des écrivains, notamment avec Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (1987-2104). Dans le même temps, dans une télévision fortement massifiée (on est passé de 2 millions à 22 millions de postes entre 1960 et 1995, soit un taux d’équipement des ménages de 96%), les émissions littéraires ou culturelles subissent la concurrence des talk-shows et autres « plateaux bla-bla » : l’objectif de nombreux auteurs sortant un livre (ou de leurs attachées de presse) est de décrocher un passage chez Ardisson, Ruquier ou Delarue plutôt que chez Durand, Poivre d’Arvor ou Giesbert ; la promotion commerciale à tout prix remplace la critique des livres. Internet depuis, en offrant un nouveau terrain de jeu, d’expression et de médiatisation aux écrivains mais aussi aux médias audiovisuels, a changé la donne.

De cette histoire à épisodes, le colloque de Montpellier se propose d’explorer un moment particulier, les années 1960-1985, symboliquement balisé par deux dates de la radio en France : la naissance de France Culture en 1963, conçue comme une « radio du livre », du savoir et de la connaissance, et sa double inflexion patrimoniale et nocturne au milieu des années 1980. De façon à baliser la diversité des pratiques durant cette période, le colloque se déclinera en deux journées distinctes, l’une consacrée aux entretiens-feuilletons d’écrivains particuliers, l’autre à des émissions d’entretiens dans lesquelles les écrivains sont des intervenants potentiels.

 

Workshop 1 : Les entretiens-feuilletons d’écrivains

La première journée du colloque sera consacrée aux entretiens-feuilletons, genre patrimonial par excellence à ses débuts (et radiophonique exclusivement…), inventé par Jean Amrouche en 1949, qui explose au début des années 1950 grâce au succès des entretiens Léautaud/Mallet et Claudel/Amrouche, en s’ouvrant déjà à des formules variées, avant d’entrer dans une phase plus routinière… Cet éclatement des formes ne l’empêche cependant pas de perdurer deux décennies encore, sur un format souvent réduit oscillant entre quatre et douze émissions, jusqu’à la stabilisation en 1985 au format d’À voix nue (cinq émissions sur une semaine). Les écrivains qui bénéficient de ce traitement s’appellent Audiberti, Adamov, Aragon, Arland, Jacques Baron, Barthes, Berl, Camille Bryen (avec Michel Butor), Butor, Césaire, Clancier, Lise Deharme, Delteil, Étiemble, Gracq, Ionesco, Jouhandeau, Kessel, Leiris, Maurois, Neveux, Pieyre de Mandiargues, Nourrissier, Ponge, Queneau, Robbe-Grillet, Claude Simon, Soupault, Tardieu, Tortel, Jean Thibaudeau… : pourquoi, comment, dans quels contextes ? Dans la suite d’Écrivains au micro (PUR, 2010), centré sur la première décennie d’existence de cette formule historique, il s’agira d’esquisser un panorama des formes et enjeux du genre durant la deuxième partie de son existence, à une époque où il bénéficie désormais d’une tradition relativement bien fixée, qui conditionne les usages des écrivains aussi bien que des hommes de radio. Les propositions de communication pourront choisir de traiter d’une série particulière pour elle-même, afin de rendre compte de sa spécificité, ou d’étudier un aspect stylistique ou scénographique caractéristique de l’entretien-feuilleton, en analysant par exemple comparativement ses modalités de fonctionnement dans plusieurs séries. Elles pourront également se focaliser sur la façon dont une série contribue au façonnement de l’image publique de l’auteur et, notamment, sur le type de relations qu’elle noue avec la présence médiatique globale de l’écrivain au même moment. Enfin, elles pourront encore privilégier une figure intéressante d’intervieweur, comme celle de Georges Charbonnier (qui, de 1955 à 1976, a mené une vingtaine d’entretiens-feuilletons avec des grands noms de la culture contemporaine comme Merleau-Ponty, Borges, Butor, Étiemble, Queneau, Audiberti, Adamov, Barthes ou Balandier...), de façon à décrire et à rendre compte de la manière de tel ou tel intervieweur qui s’est particulièrement illustré dans cette formule.

 

Workshop 2 : Les entretiens d’écrivain dans les émissions littéraires et culturelles

La deuxième journée du colloque sera consacrée à une autre forme sérielle de l’entretien d’écrivain, celle qui fait revenir non pas le couple de l’écrivain et de son intervieweur mais l’intervieweur seulement (producteur(s) de l’émission, animateur(s), chroniqueur(s)…). Les écrivains changent, l’intervieweur reste. Certaines séries privilégient le tête-à-tête, d’autres le plateau d'intervieweurs et/ou d’interviewés ; certaines osent le direct, d’autres préfèrent le différé ou le faux-direct ; certaines cultivent le format long, d’autres le format court, à destination d’une des n rubriques de l’émission ; certaines obéissent aux rythmes de l’actualité littéraire ou culturelle, d’autres s’en émancipent plus ou moins, etc. Au regard du genre de l’entretien-feuilleton, un des intérêts de ces nombreuses séries est donc de montrer la richesse des usages et combinaisons possibles de l’entretien d’écrivain dans les médias audiovisuels, à l’intérieur peut-être de deux grands ensembles : les émissions uniquement constituées d’entretien(s) (avec lectures ou citations de livres) d’une part, d’autre part celles qui incluent seulement, à des endroits variables, une séquence dialoguée. Citons, pour les premières Radioscopie au début de la période, Du jour au lendemain à la fin ; pour les secondes : La Semaine littéraire et sa rubrique « Un écrivain sur la sellette » (1963-1968), Un livre, des voix (1968-1999), Nuits magnétiques d’Alain Veinstein et son magazine « Bruits de pages » (1978-1999), Lettres ouvertes de Roger Vrigny (1984-1997), ou encore Nouveau Répertoire Dramatique (1969-2002) et Théâtre Ouvert (1971-1978) de Lucien Attoun, dédiées au théâtre contemporain, ou, dédiées aux poètes, Le Fil rouge de Luc Bérimont (France Inter, 1973-1974) et Poésie ininterrompue de Claude Royet-Journoud (1975-1984, vingt minutes de poésie quotidiennes dans la semaine, suivies d’un entretien le dimanche). Les angles d’étude possibles sont, là encore, variés : on pourra  s’intéresser aux différentes apparitions d’un écrivain dans une série, ou à ses passages dans différentes émissions radiophoniques et télévisuelles sur une période donnée ; aux formats, sujets et fonctions de la rubrique « entretien » au sein d’une série ou d’une série à l’autre ; aux variations et/ou évolutions d’une telle rubrique au sein d’une série ; aux rapports journaliste/écrivain induits par les places respectives occupées dans une émission sérielle ; aux modèles et dispositifs de communication qui infusent ou structurent les séries (du tête-à-tête à domicile au débat de plateau, du salon littéraire et sa conversation à la française au talk-show et sa logique de divertissement en passant par le style de reportage hérité de la presse écrite)… On pourra aussi réfléchir à ce que signifie l’inclusion ou la promotion de l’entretien d’écrivain dans le genre (médiatique) de l’émission littéraire, en regardant du côté des émissions préférant la parole de lecteurs professionnels ou non à celle des auteurs, comme Le Masque et la Plume  de François-Régis Bastide et Michel Polac (depuis 1955) ou Tribune des critiques, de Pierre Barbier (1963-1972).

Les propositions de communication sont à adresser à Pierre-Marie Héron (spm.heron@gmail.com) et David Martens (martens.david@kuleuven.be) avant le 1er novembre 2016. Les réponses seront adressées le 20 novembre.

 

Ce colloque est le fruit d’un partenariat entre le RIRRA21 de l’Université de Montpellier (http://rirra21.upv.univ-montp3.fr), l’Institut universitaire de France (http://www.iufrance.fr), le groupe MDRN de l’Université de Louvain (KU Leuven) (www.mdrn.be) et le Pôle d’attraction interuniversitaire Literature and Media Innovations, (http://lmi.arts.kuleuven.be) subventionné par la Politique scientifique fédérale belge (www.belspo.be).