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Appels à contributions

"L'engagement"

Publié le par Vincent Ferré (Source : Revue Tracés)

Appel à Contribution Tracés n°11
« L'engagement »
Avant-propos


Nous le rappelons à chaque numéro : l'appel à contribution n'a en aucun cas valeur d'obligation. Il a simplement vocation à suggérer aux rédacteurs potentiels quelques pistes générales de réflexion, à leur rappeler également que la revue Tracés attend un propos théorique et critique. Trois formats sont proposés aux rédacteurs : « Synthèses », « Enquêtes » et « Notes ».

Dans le cadre de la rubrique « Synthèses » sont attendus des textes brossant un tableau général du problème ou du thème abordé, et qui ne s'appuient pas sur un objet ou un matériau en particulier. Leur savoir est de « seconde main », ce qui justifie largement la présence d'une bibliographie actualisée, mais aussi le didactisme de ces articles.
Dans la rubrique « Enquêtes » (ou « Travaux en cours »), ce sont au contraire des textes de chercheurs qui sont attendus. Le rédacteur doit mettre en avant sa démarche propre, ainsi que sa thèse, afin de faire ressortir l'originalité et la nouveauté de ses investigations. La lisibilité par des non spécialistes demeure cependant un critère déterminant de publication.
Pour les « Notes » enfin, nous acceptons trois types de contributions : les recensions de parutions récentes, des notes critiques (au sens polémique du terme) sur un ouvrage en particulier, ou la mise en lumière de travaux méconnus en France.

Nous insistons sur l'effort d'interdisciplinarité de la revue, qui ne doit pas rester un vain mot. Aussi entendons-nous trois choses par « interdisciplinarité » :
- une attention portée à la façon dont le problème abordé peut être traité dans d'autres « disciplines ». Un sociologue peut par exemple difficilement se passer des travaux des historiens, et réciproquement. Nous ne cherchons pas à réunir artificiellement différentes disciplines autour d'un thème. Si un problème est commun à différentes disciplines, n'importe quel rédacteur doit donc en avoir conscience et doit le faire valoir.
- L'interdisciplinarité se joue bien sûr sur un autre mode que celui d'une utopie de la réconciliation. Elle passe aussi par des écarts. Par conséquent, chacun situera la manière dont il procède, expliquera pourquoi il est judicieux de se servir de tels ou tels outils théoriques. Chaque rédacteur met ainsi en valeur, pour un lecteur qui n'est pas averti, les spécificités de sa discipline, du moins de sa démarche.
- Enfin, la capacité à réhistoriciser ce dont on traite, à l'inscrire dans des contextes d'écriture ou de pensée, dans des pratiques, caractérise toutes les disciplines. Cette faculté rejoint évidemment notre exigence de clarté, de lisibilité, de didactisme. Ainsi la critique littéraire se soumet-elle à des critères d'historicité sans lesquels les arguments qu'elle avance sont moins évidents pour un lecteur qui n'y connaît rien.

Les publications doivent toutes entrer dans le thème général du numéro : « L'engagement », c'est-à-dire proposer une argumentation rigoureuse autour des enjeux que suscite le concept d'engagement dans les sciences humaines.

Appel à contribution : quelques pistes indicatives

Le concept d'engagement peut être entendu de deux manières différentes. La langue anglaise nous fournit d'ailleurs les moyens d'une saisie plus précise des deux sens de l'engagement : involvement peut être compris soit comme commitment, c'est-à-dire parole donnée, engagement comme mise en gage de soi par l'acteur social, soit comme attachment, c'est-à-dire « engagement corps et âmes ». Ce second sens ouvre sur des modes d'inscription des individus dans des contextes ou situations sociales qui tendent à définir des manières d'être « faites corps », autrement dit des pratiques dont les motifs réels se situent à un niveau préréflexif.
Le premier sens de l'engagement que nous venons rapidement d'énoncer recouvre une double dimension individuelle et collective. Ainsi, considérer l'engagement comme mise en gage, ouvre à la question de la responsabilité individuelle, et aux modalités d'engagement volontaire, par exemple politique, d'un sujet libre. L'individu revendique sa liberté d'agir et de penser et cherche à l'accomplir à partir de l'intime conviction d'être à même de participer consciemment à l'histoire et de changer l'ordre des choses. La liberté est alors condition et fin d'un tel acte comme l'affirme Sartre : « L'homme est libre pour s'engager mais il n'est libre que s'il s'engage pour être libre ». Cette approche implique donc logiquement l'emploi systématique de la forme pronominale « s'engager » qui double l'état d'engagement ontologique décrit dans L'Etre et le Néant : « Je n'existe que comme engagé ». L'éthique sartrienne détient ses vignettes et ses limites historiques. La figure de « l'intellectuel » engagé pour une cause apparaît au moment de l'Affaire Dreyfus, notamment avec le fameux « J'accuse » de E. Zola. « L'intellectuel » se lance sur la scène publique pour défendre des valeurs humanistes. Cet engagement peut se faire par des représentations diverses : pamphlets, oeuvres littéraires, art plastique, caricatures dans des journaux. Cette figure a cependant récemment changé. M. Foucault parlait ainsi non plus d'un intellectuel total (capable de dénoncer dans tous les domaines politiques), mais d'un « intellectuel spécifique », intervenant dans son domaine de prédilection. La vérité de l'engagement intellectuel n'est donc évidemment pas immuable.
La prise en compte de la dimension historique de cette figure conduit à une triple relativisation de la thèse normative sartrienne. D'une part, l'engagement pour une cause publique n'a pas toujours existé, et l'historicisation de ce geste politique conduit à interroger l'articulation entre expression publique et régime politique. Pour faire vite, existe-t-il des « intellectuels » à d'autres époques ou dans d'autres types de régime politiques ? D'autre part, la figure de « l'intellectuel » engagé paraît largement mythique. Que sait-on, au juste, des conditions individuelles et collectives de l'engagement de certains écrivains, artistes, universitaires, au cours du 20ème siècle ? Enfin, les sciences sociales ont cherché à expliquer l'engagement individuel dans une action
collective à partir de divers modèles centrés sur la notion d'intérêt. Depuis le difficile passage de la « classe en soi » à la « classe pour soi » dans l'analyse marxiste, depuis les problèmes d'incitation individuelle soulignés par M. Olson et thématisés par la notion de « free riding » (passage clandestin) ou de dilemme du prisonnier (en théorie des jeux), l'intérêt qu'ont certains individus à s'engager n'apparaît plus aussi évident, logiquement ou éthiquement. Il a semblé nécessaire, depuis les années 1970, de mobiliser le « contexte », autrement dit les conditions collectives de possibilité d'engagement individuel : des ressources (culturelles, financières, un capital social), des structures politiques d'opportunité (est-ce un régime de libre expression ou pas ?), une mobilisation de cadres interprétatifs orientant la définition de la réalité de la situation (mise en drame de maladies, par exemple, pour inspirer la compassion publique).
L'introduction de la liaison problématique entre intérêt et engagement amenuise ainsi la portée ontologique de la thèse sartrienne et insiste sur le caractère fondamentalement relationnel et collectif des phénomènes sociaux. Cette remise en cause historiciste et utilitariste repose sur un postulat : l'identification claire et lucide d'un intérêt à poursuivre, d'une cause à défendre. Or l'attachment semble renvoyer à une autre tradition, doublement inspirée par la phénoménologie husserlienne et le pragmatisme. Celle-ci a remis en cause ce lien nécessaire établi entre liberté, réflexivité (ou lucidité) et engagement. L'engagement devient, dans cette filiation, un modèle général de toute action. Il semble en fait devenir une métaphore spatiale : on « s'engage » en toute situation (dès qu'on agit), comme on dirait qu'on est engagé dans une rue donnée. Le champ de vision est alors limité, on ne peut plus avoir une vision panoptique et cartographique de l'espace dans lequel on se trouve inséré. La dimension réflexive, la capacité à se justifier clairement, sont remises en causes. L'attachment montre qu'il n'est pas nécessaire d'être parfaitement rationnel pour agir significativement vers autrui. Autrement dit, il n'est pas nécessaire d'avoir conscience de la fin poursuivie et de consciemment adapter les meilleurs moyens à cette fin pour être compris par d'autres personnes. Faire de l'engagement un modèle général de compréhension de formes quotidiennes d'action regroupe ainsi des auteurs et des notions très divers : L'illusio de P. Bourdieu, les situations « taken for granted » héritées de A. Schütz par les ethnométhodologues, la logique de l'enquête deweyenne et son modèle de transaction entre l'individu et son environnement, « les régimes d'engagement » de L. Thévenot, les « cadres de l'expérience » de E. Goffman, etc.

Quatre axes peuvent alors structurer la réflexion, sans pour autant être exclusifs les uns des autres:
* l'engagement comme éthique et comme rapport au politique : s'engager pour une cause comme conquête d'une certaine liberté par rapport à certains déterminismes (engagement sartrien). Cet axe conduit aussi à soulever le problème de la place des experts dans le processus de prise de décision démocratique (notion de « forum hybride » de Callon, Lascoumes et Barthe). Il ouvre également sur le rapport à autrui et sur l'importance de l'engagement comme promesse pour comprendre l'engagement éthique au quotidien, en dehors des grandes scènes collectives (P. Ricoeur) ;
* l'engagement comme figure historique de l'intellectuel : si elle naît à la fin du 19ème siècle, si elle se modifie avec M. Foucault et P. Bourdieu, quelle est son actualité, aujourd'hui comme à d'autres époques ?
* l'engagement comme poursuite d'un intérêt qui renvoie aux modèles théoriques des sciences humaines de l'explication, de la description et de la compréhension de l'engagement
(ou du « désengagement », selon O. Fillieule) dans des actions collectives ;
* l'engagement comme modèle général de compréhension des actions sociales.

Calendrier
Les propositions de contribution sont attendues, par mail, pour le 15 juin 2006, au plus tard. Ces propositions ne doivent pas excéder 5 – 6 pages et doivent présenter clairement la structure argumentative de l'article, la thèse principale défendue, ainsi qu'une bibliographie indicative.
Le comité de rédaction se réserve jusqu'à la première semaine de juillet pour examiner les propositions de contribution et rendre ses avis.
Les rédacteurs sélectionnés devront avoir rendu leur article terminé pour le 15 septembre 2006.
La publication du numéro est prévue pour la première quinzaine du mois d'octobre 2006.

Pour plus d'informations sur la revue et son projet : www.ens-lsh.fr/assoc/traces
traces@ens-lsh.fr