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"L’écriture romanesque du quotidien au XIXe s." (revue Autour de Vallès)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie-Astrid Charlier)

« L’écriture romanesque du quotidien au XIXe siècle »

Autour de Vallès, n°48, 2018

Numéro coordonné par Marie-Astrid Charlier

 

Journaliste et romancier, Jules Vallès a fait de la quotidienneté à la fois un objet d’analyse privilégié et un matériau majeur de son œuvre. Figure emblématique des poétiques de la quotidienneté qui se développent au XIXe siècle, Jules Vallès a en effet décliné le quotidien en ses multiples formes, médiatiques et littéraires (reportage, fait divers, roman), et il en a fait le support de discours à visée sociographique, historiographique et esthétique. Le numéro 38 de la revue Autour de Vallès, « Vallès et le sens du réel » (2008), coordonné par Corinne Saminadayar-Perrin, a ainsi traité des liens entre écriture du réel et genres du quotidien. Ce numéro souhaiterait plus largement interroger l’écriture du quotidien au XIXe siècle, dont Jules Vallès est un des représentants les plus féconds en termes d’usage polysémique et polymorphique de l’objet.

L’écriture du quotidien au XIXe siècle est liée au développement des études de mœurs, médiatiques et littéraires. Des physiologies aux romans de mœurs contemporaines, la quotidienneté devient à partir des années 1830 un objet de représentation incontournable des « mises en texte du social » (J. Lyon-Caen). Dire et écrire le jour le jour, ses détails et ses micro-événements est une préoccupation dominante dans la littérature du XIXe siècle, que ce soit les genres légitimes (roman, poème en prose, genres de l’intime), la presse quotidienne ou les textes d’un Jules Michelet. Le souci de comprendre le présent dans ses plus infimes rythmiques traverse les genres et les savoirs au XIXe siècle, de sorte que l’écriture du quotidien répond à une tentative globale de domestication et d’explication du contemporain. En d’autres termes, elle participe à définir le « régime d’historicité » (F. Hartog) du siècle.

Qu’ils choisissent un modèle encyclopédique (Balzac, Zola) ou qu’ils lui préfèrent le fragment (Flaubert, Huysmans), les « romanciers du réel », pour parler avec Jacques Dubois, font de la représentation des jours le support de création de nouvelles formes narratives (description, listes, etc.) et stylistiques (style indirect libre, sociolectes, imparfait, etc.). Écrire le quotidien permet en effet de différencier des groupes sociaux et des individus, dans une période post-révolutionnaire où les nuances s’effacent (Balzac), où les variations sont arasées (Flaubert). Des quotidiennetés émergent ainsi dans les romans de mœurs contemporaines qui permettent de saisir des modes de vie, des sociabilités et des expériences temporelles distincts. En ce sens, l’écriture de la quotidienneté s’accompagne souvent d’une visée typologique dont la fonction est de représenter le paysage social contemporain, avec ses modulations collectives et individuelles.

Cependant, au-delà de ses visées sociographiques et/ou historiographiques, l’écriture du quotidien se présente comme un défi narratif et formel lancé aux romanciers. Où placer le quotidien, comment l’écrire, entre le réel et le romanesque dont l’alliance définit (encore) le roman au XIXe siècle ? Lorsque Flaubert tempête contre « [ses] fonds qui emportent [ses] premiers plans » dans L’Éducation sentimentale, est-ce à dire que « la Vie » a englouti le roman en l’empêchant de « faire la pyramide » (Correspondance) ? L’écriture des jours vécus implique en effet, a priori, un à-plat narratif qui annihile l’événement nécessaire au récit « pyramidal ». Pourtant, il serait vain d’opposer dans le roman le quotidien à l’aventure, la traversée des jours aux saillances romanesques. De quelles façons, alors, la quotidienneté prend-elle place dans le romanesque ? Comment les jours font-ils récit ? Car tout ne relève pas de l’à-plat narratif dans le roman. Même les tentatives limites de certains naturalistes accueillent du romanesque, mais un romanesque dont la dimension ironique, voire parodique, permet de mettre en intrigue les jours. C’est le cas, par exemple, de Huysmans dans À vau-l’eau (1881), Henry Céard dans Une belle journée (1881) et Robert Caze dans La Semaine d’Ursule (1885).  

Quotidienneté et temporalité : une redéfinition du réalisme

La critique s’est emparée de ces questions de mise en intrigue de la quotidienneté (R. Baroni, M. Lits, M. Sheringham, M.-È. Thérenty) en interrogeant notamment les transferts et hybridations entre littérature – le roman en particulier – et récits médiatiques, c’est-à-dire entre récits factuels et fictionnels du quotidien. Nous voudrions dans ce numéro nous attacher aux genres du roman au XIXe siècle et aux façons dont ils construisent leur quotidienneté. Si l’étude des réalismes implique de s’interroger sur les représentations et les écritures du quotidien, nous souhaiterions les envisager à nouveaux frais, notamment en questionnant les œuvres du point de vue des rapports entre temps (quotidien) et récit (de la quotidienneté).

Quotidienneté et « mauvais genres »

En outre, la présence de la quotidienneté dans les « mauvais genres » n’a été que peu interrogée. Pourtant, dans le roman d’aventure, le roman d’anticipation ou le roman des bas-fonds, par exemple, elle a du sens – moral, politique, social – quant aux « mondes possibles » (Lavocat) représentés et problématise l’écriture en des termes parallèles au « roman du réel » (Dubois) : comment écrire le quotidien dans un roman à dominante romanesque ? et, si une quotidienneté est représentée, quel sens a-t-elle eu égard à l’aventure, la découverte, l’inouï ?

Le quotidien et l’histoire

Nous souhaiterions également aborder dans ce numéro la question des rapports entre les représentations du quotidien et de l’histoire dans le roman du XIXe siècle. Outre le roman historique, qui pourrait faire l’objet d’études spécifiques, la co-présence des mœurs contemporaines et de l’événement historique, chez Flaubert, Hugo et Vallès, par exemple, est à interroger. La quotidienneté s’immisce-t-elle dans l’histoire au point de la « quotidianiser » (B. Bégout) ? Au contraire, la représentation des jours vécus s’efface-t-elle face à l’événement historique ? La nature et les enjeux des relations entre temps quotidien et temps historique méritent d’être analysés car ils produisent du sens quant aux mœurs contemporaines et à l’expérience de l’histoire.

Ironie, parodie et satire

On pourra également étudier les liens entre représentation du quotidien et ironie, parodie, satire. En effet, la quotidienneté est souvent associée à la répétition mécanique des tâches, mais aussi au bas corporel, au vulgaire, à la trivialité. En ce sens, elle est un des supports privilégiés des écritures du rire au XIXe siècle (A. Vaillant). L’ironie flaubertienne quant à Charles Bovary passe par exemple par ses pantoufles et la graisse qui suinte autour de ses lèvres quand il dîne avec Emma ; le promis d’Ursule se définit par ses « gazs » récurrents dans La Semaine d’Ursule de Robert Caze, etc. Mais, au-delà du portrait du personnage et de la charge contre le bourgeois, le potentiel ironique de la quotidienneté a également du sens du point de vue métapoétique. Par exemple, s’ils semblent appliquer la théorie naturaliste de Zola dans une perspective jusqu’au-boutiste, les romans de la quotidienneté outrée, pratiqués par les « petits » naturalistes, n’en accueillent pas moins, en creux, une lecture ironique, voire parodique, du naturalisme et de l’idéalisme contemporains.

Écriture contemporaine du quotidien et intertextualité

Enfin, nous aimerions nous attacher dans ce numéro à quelques écrivains contemporains du quotidien et interroger la présence, le statut et les enjeux des intertextes à la littérature du XIXe siècle. En effet, la représentation des quotidiennetés contemporaines, parisiennes ou provinciales, s’accompagnent souvent d’échos, plus ou moins visibles, aux « romanciers du réel » (Houellebecq et Huysmans, Marie-Hélène Lafon et Flaubert, etc.). Le roman du XIXe siècle semble en effet essentiel pour penser et écrire le quotidien, à l’image du projet de Pierre Rosanvallon, Raconter la vie, pour lequel Balzac, Sue, etc., sont un seuil, une référence, une ombre portée (Le Parlement des invisibles, 2014).  

 

Merci d’envoyer vos propositions d’articles (résumé et titre, même provisoire, d’environ 300 mots) et une brève notice biobibliographique à Marie-Astrid Charlier (marieastrid.charlier@gmail.com) avant le 30 juin 2017 ; les textes retenus seront à rendre pour le 1er mai 2018.