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L'écriture fuguée en littérature et le modèle du thème et variations

L'écriture fuguée en littérature et le modèle du thème et variations

Publié le par Florent Albrecht (Source : Andrée-Marie Harmat)

Université de Toulouse - Le Mirail

INSTITUT DE RECHERCHES PLURIDISCIPLINAIRES

EN ARTS, LETTRES ET LANGUES.

Programme « Intersémioticité musique / littérature »

de l'Axe « Hors-texte »

JOURNEES D'ETUDES

16 - 17 JUIN 2006

« L'écriture fuguée en littérature et le modèle du thème et variations. »

Journée du 16 JUIN 2006

9h - 9h45         Natacha LAFOND

« De la fugue de mort aux variations modernes chez Ungaretti et Celan. »

Il s'agira de travailler autour de la forme de la fugue, moins sous forme de « transposition littéraire » (même si ce principe se pose aussi comme condition préliminaire) que dans le cadre de la pensée de cette écoute pour la poésie et sa remise en question initiatrice. On approfondira ce thème à partir de la pensée de Jaccottet dans les oeuvres d'Ungaretti et de Celan (au croisement d'enjeux esthétiques et historiques, qui transforment le « fugue de mort » en « variations » modernes : comment lire ce retournement ? Comment analyser cette écoute et à propos de quoi se joue cette fugue ? Car la forme fuguée permet de penser à la fois les rapports entre littérature et musique tout en devenant une nouvelle écriture de l'image. Un second axe fera intervenir une réflexion sur la différence de la forme  fuguée en poésie moderne et dans le roman où elle est particulièrement présente.

10h-10h45    Frédéric MARTEAU

« L'art de la fugue chez Paul Celan »

On étudiera « l'art de la fugue » dans les deux poèmes fugués du poète allemand : Todesfugue Fugue de mort , 1945) et Engführung (Strette, 1957-58). Le premier, qui porte sur l'expérience des camps de la mort, dénonce la barbarie nazie à partir de l'omniprésence de la musique qui accompagnait les détenus dans leur « vie » concentrationnaire ; la fugue désigne alors toute l'ironie et toute l'absurdité de cette situation, cette « haine de la musique » dont a parlé Quignard. Dans le second poème, la fugue sera encore le modèle formel de Celan, mais une fugue qui accentue l'idée de fuite, de dérive. Du principe de la fugue, Celan ne gardera finalement que l'exigence d'une strette, d'un resserrement, d'une Engführung, comme principe de la Dichtung. Il s'agira de prendre position quant à la définition de la poésie : affirmer la Dichtung contre la Lyrik. Il sera question de présenter les structures fuguées des deux poèmes, mais aussi de creuser le sens du mot « Fuge » en allemand, qui s'étoile bien au-delà de ce que l'on attend en français ; « fugen » ou « fügen » signifient joindre, emboîter, disposer : il y a donc de l'assemblage, de l'agencement poétique, mais dans un sens qui efface les aspérités, les résistances, la discontinuité : la dimension critique.

11h-11h45       Nathalie AVIGNON

« Polyphonie et contrepoint : les mélodies fuguées de Helmut Krausser. »

Né en 1964 à Esslingen, Helmut Krausser s'inscrit parmi une jeune génération d'écrivains qui incarne un renouveau des lettres allemandes. Sa production romanesque, à la fois féconde et diversifiée, donne une place privilégiée à la musique, et notamment à l'opéra. Mélodies, son troisième roman, est paru en 1993. L'action du roman s'articule autour d'une double temporalité qui associe aux sujets actuels de prédilection de l'auteur (la ville, l'alcool, l'amour, le sexe) un regard sur le passé. Le caractère bipolaire de l'intrigue est également à la base de tentatives de transpositions formelles qui ajoutent à la présence thématique de la musique une dimension compositionnelle. En regard de l'ordre successif du discours, auquel est soumise toute littérature, l'auteur interroge les possibilités de « verticalité » de type harmonique, à la fois au niveau énonciatif (à travers des effets de polyphonie) et au niveau narratif. Les schèmes structurels que H. Krausser semble emprunter à la musique seront analysés, de l'imitation comme mode de passage entre passé et présent à la fugue, modèle possible pour l'architecture générale du roman.


14h30-15h15         Andrée-Marie HARMAT

« Métaphysique de la fugue dans La paix des profondeurs de Aldous Huxley .»

Aldous Huxley fait partie de ces écrivains du XXe siècle pour qui la « musicalisation du roman » était l'une des solutions pour échapper à la linéarité du langage et accéder à l'illusion de la simultanéité polyphonique. On connaît son roman Point Counterpoint (1928) dont le titre annonce ouvertement le parti pris ; on sait qu'il place volontiers aux points cruciaux de ses romans et nouvelles des oeuvres musicales précises dont il exploite la valeur symbolique : de Jaune de chrome à L'île en passant par « Deux ou trois Grâces » et Contrepoint, il aura sans cesse ostensiblement recours à Bach, Mozart, Beethoven.  Seul Eyeless in Gaza (La paix des profondeurs) (1936) échappe à la règle : nulle oeuvre identifiable n'est évoquée dans ce roman dont nous voudrions démontrer qu'il est pourtant le point culminant des expériences structurelles musico-littéraires de Huxley. Pour ce faire, nous analyserons dans un premier temps le caractère profondément contrapuntique de la texture même du roman ; nous soulignerons la valeur métaphorique de la fugue comme expression du comportement d'un héros perpétuellement en fuite ; nous parviendrons ainsi au coeur même de notre propos et tenterons de montrer comment une chronologie désarticulée et réorganisée selon les principes musicaux jamais nommés mais minutieusement élaborés d'une fugue à deux voix, permet d'accéder à la cohérence structurelle porteuse de significations métaphysiques : la structure paradigmatique consiste ainsi en la répartition d'un contenu diégétique éclaté à l'intérieur d'un système sujet / réponse / contresujet clairement identifiable ; la structure syntagmatique, quant à elle, se déploie en  une exposition, plusieurs réexpositions, une strette et une coda. Cette imprégnation profonde du modèle musical le plus complexe dans une oeuvre de fiction, rarement perçue par la critique parce que ancrée dans la substance même du roman et jamais affichée, constitue un cas extrême d'intersémioticité.

15h30-16h15 Nathalie PAVEC

« La fugue du dire dans Les vagues de Virginia Woolf . »

Dans le sillage des commentaires que Woolf a faits sur la composition des Vagues, la critique a souvent souligné le caractère fondamentalement hybride de cette oeuvre, qui emprunte à des genres littéraires différents (théâtre, poésie) mais qui semble également tenter un dialogue intersémiotique avec la musique, notamment en ayant recours à un mode de composition polyphonique, puisque six voix s'entrelacent au fil des pages pour donner à entendre des parcours de vie à la fois distincts et mis en résonance.

En choisissant de travailler sur ce texte, on tentera de dépasser le simple sentiment de musicalité de l'écriture woolfienne pour s'interroger sur les possibilités expressives auxquelles un modèle d'architecture musicale peut ouvrir la voie, lorsqu'il est retravaillé par l'écriture. Il s'agira d'analyser en détail la façon dont le texte construit une structure fuguée, par la migration de motifs au sein du feuilletage polyphonique des voix ; puis, en faisant jouer la polysémie du mot « fugue », on tentera de voir en quoi le modèle musical offre à l'écriture une manière de mettre en oeuvre le « fugue du dire », c'est-à-dire de faire fuir le sens à l'infini pour mieux laisser résonner, au centre de la polyphonie, l'écho d'une voix silencieuse. Cette voix silencieuse, celle de l'absent, apparaît alors comme le paradigme d'une parole poétique, parole spectacle vers laquelle tend toute entreprise créatrice et qui dessine l'horizon-limite .

16h30-17h15              Timothée PICARD

« L'art en tant qu'éthique sonore, fugue et contrepoint : le modèle de Jean-Sébastien Bach dans la littérature européenne du XXe siècle. »

JOURNEE du 17 JUIN

9h-9h45         Nathalie MASSOULIER

«L'intersémioticité entre musique et littérature chez Graham Swift. »

L'intertextualité musicale informe la poétique swiftienne à plusieurs niveaux : soit par le biais de références explicites, soit par celui d'allusions plus implicites et fonctionnant comme en sous-main. Le corps de Freddy Parr et l'évocation des étoiles semblent ainsi placer Waterland dans une atmosphère proche de celle des « Kindertotenlieder » de Mahler ; quant au  « drama giocoso » mozartien, il semble se superposer à l'inspiration shakespearienne d'Antoine et Cléopatre et contribue à faire pencher la balance du côté de la comédie plutôt que de la tragédie dans Ever After. Comment, en outre, ne pas penser à l'écriture swiftienne en général comme écriture contrapuntique qui se résout sur une grande réconciliation humaniste des personnages avec leur sort ?


10h-10h45       Isabelle SORARU

« L'art nécessaire de la variation : L'école du virtuose  de Gert Jonke. »

L'oeuvre de Gert Jonke, auteur autrichien de Carinthie, est encore peu connue en France alors même qu'elle propose, dans la perspective d'un dialogue entre les arts, une réflexion originale qui touche à la fois à des questions esthétiques ou littéraires par lesquelles l'écrivain interroge les limites de son propre langage en se confrontant à l'art musical. Dans cette oeuvre, la musique a ainsi une place primordiale, non seulement au niveau thématique (présence de personnages interprètes ou compositeurs) mais aussi structurel : L'école du virtuose est travaillé par le modèle des variations qui s'affirme autant dans les références que dans la structure du récit : un des personnages se nomme « Anton Diabelli », et Gert Jonke fait clairement référence à l'opus 111 de Beethoven, dont le deuxième mouvement (« Arietta ») comporte des variations. L'école du virtuose sera donc l'occasion de s'interroger sur le sens de cette pratique structurelle (la variation) empruntée à la musique, en montrant tout d'abord comment celle-ci travaille le texte littéraire au niveau des thèmes et de la structure, et comment la référence à Beethoven s'inscrit de manière multiple dans le récit. Dans un deuxième temps, il s'agira de montrer plus généralement que, lorsqu'un écrivain emprunte une forme musicale, il n'emprunte pas seulement un squelette dont toute chair serait absente. Ainsi, la forme « variation », clairement affichée dans L'école du virtuose, est également envisagée comme un modèle pour la pensée, comme « structure mentale » : c'est en ces termes que Pierre Boulez désigne le fonction du modèle littéraire dans sa musique, en évoquant l'apport des oeuvres de Mallarmé et de Joyce. Le modèle « variation », trouvant son origine dans la musique, permet de soutenir une réflexion dans L'école du virtuose sur les liens entre répétition et variation, sur le rapport de la société à la musique à travers le problème de la reproductibilité et sur la question de la représentation dans l'art.

11h-11h45  Michel LEHMANN

« Conflits entre narrativités fictionnelle et musicale dans le Don Quixote de Richard Strauss. »


14h30-15h15        Frédéric SOUNAC

« Variations sur les Diabelli : l'opus 120 de Beethoven  chez Michel Butor et Irène Dische. »

On s'efforcera d'analyser comparativement la poétique de deux ouvrages qui, dans des perspectives bien distinctes, entendent offrir une postérité littéraire à une oeuvre qui demeure sans doute l'une des plus ambitieuses et complexes de Beethoven : Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli de Michel Butor (1971) et Désaccord Majeur de la romancière allemande Irène Dische (1994). En effet, si ces deux textes trouvent leur origine dans une commune fascination pour le principe transformationnel à l'oeuvre dans la partition de Beethoven, ils déploient pour en rendre compte des stratégies à la fois opposées et complémentaires. En s'attachant particulièrement à mettre en lumière la manière dont est mobilisé à chaque fois le modèle formel de la variation, on observera également l'influence de la qualité « spéculative » des Variations Diabelli sur le propos même des oeuvres : esthétique bien sûr, mais aussi - au sens large - politique.

15h30-16h15       Thierry SANTURENNE

« Le modèle de la cavatine : le creusement du thème dans la pratique diariste de Renaud Camus. »

Renaud Camus consacre une entrée d'Etc. (1998) à « Cavatine », en s'attachant moins à la stricte définition du terme musical qu'à son étymologie (cavare, « creuser ») qui lui permet d'en élargir le sens : il propose comme exemples à sa redéfinition tel passage d'un quatuor de Beethoven ou l'ouverture de Lohengrin (entre autres). Dans son optique, la cavatine devient l'exploitation en profondeur d'un thème musical ou du sentiment qui s'en dégage, d'une façon qui s'affranchit de contraintes formelles ou temporelles trop strictes. Il applique le terme à sa propre pratique d'écriture en insistant sur son souci de creuser un thème (à entendre ici comme préoccupation linguistique, esthétique, morale, politique) en évitant la pétrification du sens par un « creusement » incessant du thème, notamment par le recours au cratylisme ou à l'usage en cascade de parenthèses. On se propose ici plus spécifiquement d'observer comment l'usage de la cavatine telle que l'entend Renaud Camus permet de mieux comprendre sa pratique diariste dans la mesure où ses thèmes de prédilection y sont inlassablement repris sous des éclairages sans cesse différents liés aux moments tous singuliers de l'écriture de son Journal. La cavatine devient en ce sens un dérivé de la pratique « thème et variations ».

16h30-17h15   Olivier SAUVAGE

« Thème et variations dans le théâtre lyrique d'Émile Zola »

   Les livrets d'opéra écrits par Émile Zola et mis en musique par Alfred Bruneau méritent davantage que le relatif oubli dans lequel ils se trouvent encore de nos jours. A lire les textes produits par Zola pour la scène lyrique, on découvre en effet une facette méconnue de l'auteur des Rougon-Macquart. Par son utilisation originale du leitmotiv littéraire autant que par ses idées sur la mise en scène, qui l'apparente aux conceptions dramatico-musicales de Wagner, le librettiste Zola fait oeuvre de novateur. L'usage de thèmes porteurs comme le travail ou la fécondité dans Messidor ou L'Enfant roi reprend tout un ensemble de motifs déjà présents de manière récurrente dans l'écriture romanesque de Zola. Toutefois, les nécessités du genre opératique et le travail de mise en musique mené par Bruneau permettent à l'écrivain de manier avec plus de malléabilité les variations thématiques qu'il affectionne. L'analyse d'extraits commentés des pièces lyriques amènera d'ailleurs à mettre en lumière la dimension proprement musicale du style zolien.

La journée sur "L'écriture fuguée" (16 juin) se déroulera à la Maison de la Recherche, salle C 601; la journée consacrée au "Modèle du
thème et variations" (17 juin) aura lieu au Département des Etudes du Monde  Anglophone, salle 1067.