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L'écriture et l'extase

L'écriture et l'extase

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Gabrielle Velay)

Les écrivains témoignent à différents niveaux d'expériences bizarres. En théoricienne, Sainte Thérèse distinguait le ravissement, où l'âme est violemment arrachée au corps, de l'extase à laquelle elle consent dans ses fiançailles avec Dieu. Ces vertiges divins, dont on peut retrouver les accents dans l'amour profane, semblent aux antipodes d'autres émois, tels l'embrasement cosmique du héros gidien par un furtif contact charnel dans la nature. Et pourtant, celui-ci en souligne le caractère d' « illimitation ». On pourrait multiplier les exemples littéraires de ces expériences si diverses de l'illimité, depuis les extases bachiques des Tragiques grecs jusqu'aux descriptions les plus crues des écrivains d'aujourd'hui. À propos de l'énigmatique Finnegans Wake de Joyce, Lacan note que si on le lit, c'est parce qu'on sent présente la jouissance de celui qui l'a écrit. Avec le terme ambigu et polysémantique de « jouissance », il reprend les phénomènes que Freud considère comme au-delà du principe de plaisir : excès de satisfaction ou souffrances intenses qui résonnent dans le corps et y laissent des traces. Il en distingue une grande variété : sexuelle, phallique, de l'idiot, de l'Autre, de l'objet ou « plus-de-jouir », autre jouissance, « pastoute » ou illimitée (féminine), folle, fantasmatique, symptomatique, etc. Le sujet, qui les éprouve pourtant, a, dans la règle, le plus grand mal à en parler précisément. Or, dans leurs écrits, les poètes, les mystiques ou certains philosophes inspirés savent le faire. Ce savoir-faire de l'écrivain implique-t-il justement de se mettre au préalable dans ces états étranges et hors du commun qu'ils décrivent parfois ? Comment sent-on, à la lecture, la présence de « la jouissance de l'écrivain » (à supposer qu'elle existe) ? Est-ce ce qui définit son style ? Est-ce ce qui cause l'exaltation ou le ravissement du lecteur ? De l'écrivain, nous attendons donc un savoir multiple. Dans ce colloque, nous essayerons, d'une part, d'étudier l'écriture de ces états qu'on peut qualifier brièvement d'extatiques, et, d'autre part, de trouver des réponses à diverses questions dont voici quelques unes : Y a-t-il des états spécifiques qui prédisposent à l'acte d'écrire ? Sont-ils noués aux autres satisfactions du sujet ? Par exemple, dans le cas de Gide, qui nomme Schaudern l'état qui a été pour lui décisif dans son destin d'artiste, on peut établir un lien de construction voire un tissage serré, entre, d'une part, ses correspondances et son journal où il raconte ses expériences sexuelles, amicales ou amoureuses et d'autre part ses romans, comme si la fiction les magnifiait mais aussi, peut-être, comme s'il les vivait pour les écrire. De même pour les grands mystiques, leur expérience serait-elle la même s'ils ne l'écrivaient pas ? Les poètes célèbrent la joie amoureuse, mais qu'en est-il des écrivain(e)s de l'amour qui passent apparemment la jouissance sous silence : existe-t-il des extases secrètes, ou discrètes, dont on peut retrouver la trace quasi-invisible dans leurs oeuvres ? Quel statut donner aux descriptions et aux théories de certains auteurs comme Sade, Proust, Bataille, mais aussi Euripide ? Fictions littéraires, utopies politiques, témoignages personnels ou études de moeurs de leurs contemporains ? Le savoir-faire de l'artiste implique toujours l'imaginaire. Que dire alors de l'extase en images ? Comment, par exemple, certains cinéastes, vidéastes ou photographes ont-ils figuré la jouissance, souvent en s'appuyant sur des écrivains ? Cela a-t-il un rapport avec la Darstellung dans le rêve freudien et avec sa difficulté, justement, à représenter le sexe ? Enfin, quels sont, sur le plan de la clinique et de la théorie psychanalytiques, les rapports de l'écriture avec l'extase, le ravissement et la folie ? Peut-on la considérer comme un symptôme ou un sinthome, ainsi que Lacan l'a nommé pour Joyce, ou comme une sublimation ?

8h45 — Présentation : Jean-Robert Pitte, Président de l'Université Paris IV et Sadi Lakhdari

9h -10h30— Présidence : Geneviève Morel
Sadi Lakhdari, professeur à la Sorbonne, (Paris IV), hispaniste
«Hypnose, hystérie, extase. De Charcot à Freud »
Pierre-Henri Castel, psychanalyste, philosophe, CNRS
«La Madeleine de Janet, ou comment objectiver l'expérience de l'extase »
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10h45-13h — Présidence : Jacques Le Brun
Catherine Millot, psychanalyste
«Discours et expérience »
Bernard Sesé, professeur-émérite à Paris X
«Poétique de l'extase selon sainte Thérèse d'Avila et saint Jean de la Croix »
Mercedes Blanco, professeur à Lille III, hispaniste
«Les raisons de la jouissance dans les écrits de Thérèse d'Avila»
—Pause de midi—
14h30-16h — Présidence : Mercedes Blanco
Jacques Le Brun, directeur d'études honoraires à l'EPHE
«Refus de l'extase et assomption de l'écriture dans la mystique moderne »
Frédéric Cousinié, historien de l'art
«L'écriture de l'extase, en effets. Quelques dispositifs de mise en oeuvre de
l'extase dans la peinture du XVIIème siècle »
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16h15-17h45 — Présidence Marie Darrieussecq
Maria-Graciete Besse, professeur à Paris IV
«Le texte fulgurant de Maria Gabriela Llansol, entre nomadisme et dépossession»
Paul-Henri Giraud, maître de conférences, Paris IV, hispaniste
«Octavio Paz et le tantrisme. Le texte-corps-image comme tremplin vers l'extase»
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18h-19h30 Présidence : Frédéric Cousinié
Gérald Larrieu, docteur de la Sorbonne
«L'étatique mis à mâle par l'extatique. The Buenos Aires Affair de Manuel Puig»
Sylvie Blocher, artiste
«Living pictures / Extase»
Vendredi 20 octobre 2006 - ENS
Salle Jules Ferry, 29 rue d'Ulm 75005 Paris
9h-10h30— Présidence : Pierre-Henri Castel
Daisuke Fukuda, doctorant en psychanalyse à Paris VIII
«L'expérience sadienne : un ratage de l'expérience mystique perverse ?»
Rodolphe Adam, psychanalyste
«Kierkegaard, amoureux de sa plume»
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10h45-13h — Présidence Régis Michel
Philippe Sabot, maître de conférences à Lille III
«Extase et transgression chez Georges Bataille»
Florence Vatan, maître de conférences à l'Université du Wisconsin-Milwaukee
«Robert Musil ou les voies de la mystique diurne»
Sara Thornton, maître de conférences à Paris VII, angliciste
«Ecriture et morsure : l'extase de la ponctuation dans Dracula de Bram Stoker»
—Pause de midi—
14h30-16h — Présidence : Sadi Lakhdari
Jean Bollack, professeur de littérature grecque, Lille III
«Les formes religieuses de l'extase poétique »
Renate Schlesier, professeur à l'Université Libre de Berlin
«L'extase dionysiaque dans l'histoire des religions »
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16h15-17h45 — Présidence : Franz Kaltenbeck
Thomas Eder, professeur à l'Université de Vienne
«Le ‘Cantique des créatures' (François d'Assise). Relecture et réécriture par
Reinhard Priessnitz dans son poème ‘herbst' (‘automne')»
Jacques Aubert , professeur émérite à l'Université de Lyon
«D'une ou deux Femmes singulières»
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18h-19h30 — Présidence : Frédéric Yvan, architecte, philosophe
Annie Tardits, psychanalyste
«Le récit, le poème, la lettre»
Nancy Berthier, professeur à Marne-la-Vallée, hispaniste
«Figures de l'extase dans le cinéma de Luis Buñuel : des usages du visage»
Samedi 21 octobre 2006 - Sorbonne
Amphi Guizot 17, rue de la Sorbonne 75005 Paris
9h-11h15 — Présidence : Darian Leader
Eric Marty, professeur de littérature contemporaine à Paris VII
«René Char : l'amour réalisé du désir demeuré désir»
Franz Kaltenbeck, psychanalyste
«L'écriture de l'indicible »
Marie Darrieussecq, écrivain
«Extase de l'écriture »
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11h30-13h — Présidence : Luc de Heusch
Léon Vandermeersch, directeur d'études à l'EPHE, sinologue
«De l'idéogramme à l'écriture folle, la facette chinoise de l'extase lettrée »
Frédéric Girard, directeur d'études à l'EFEO
«Stances en chinois et dénouements de crises dans les écoles Zen au Japon »
—Pause de midi—
14h15-15h45 — Présidence : Brigitte Lemonnier, psychanalyste
Darian Leader, psychanalyste, Londres
«La seule chose qui dure : quelques fonctions de l'écriture»
Geneviève Morel, psychanalyste
«Inspiration, extase, sinthome »
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15h45-18h — Présidence : Léon Vandermeersch
Luc de Heusch, anthropologue, professeur-émérite à l'Université Libre de Bruxelles
«La transe: la possession, le chamanisme, l'extase mystique comme continuum »
Gilbert Rouget, ethnomusicologue, CNRS
«Musiquer en état second. Rituels initiatiques africains »
Régis Michel, conservateur en chef au Musée du Louvre
« Trip hop chez Tricky ou l'extase en studio. Corps noir et diable blond »

Conclusion : Sadi Lakhdari