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L'écartelage, ou l'écriture de l'espace (d')après Pierre Faucheux

L'écartelage, ou l'écriture de l'espace (d')après Pierre Faucheux

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : Jérôme Dupeyrat et Catherine Guiral)

L'écartelage, ou l'écriture de l'espace (d')après Pierre Faucheux

Pierre Faucheux (1924-1999) aura été l'une des figures majeures de l'édition française après la seconde guerre mondiale. Renouvelant largement ce champ particulier du graphisme, Faucheux traversa la seconde moitié du XXe siècle en y laissant des empreintes multiples qui sont autant d'expérimentations revisitant les avant-gardes. Elles définissent un territoire large où se manifeste l'envie utopique de créer un « système des systèmes », ou « topologie dynamique généralisée ».
L'usage de notions comme la topologie et le territoire soulignent à quel point l'espace, dans ses acceptions multiples, est indissociable du travail de Faucheux. Il rencontre Le Corbusier en 1947 et ne cessera durant toute sa vie de circuler entre sa pratique de graphiste et ses travaux de mise en espace (scénographies d'expositions et collaborations avec des architectes). Se définissant comme un architecte du livre et comme un écrivain de l'espace, Faucheux pratiqua en quelque sorte cette figure chère à Charles Fourier et qui donna son titre, en 1965, à la 11e Exposition Internationale du Surréalisme : L'Écart Absolu.
Pour cette exposition dont il fut le scénographe, Pierre Faucheux réalisa un de ses premiers « écartelages ». L'image ainsi produite, visible sur le catalogue de l'exposition, s'y désarticule de manière infinie, définissant une géographie théâtralisée dans ses nouveaux replis. Poursuivant ses expérimentations d'assemblages, Faucheux dessine ici un espace des possibles qui est une formalisation toute personnelle de l'idée fouriériste d'écart absolu, à savoir un mode de pensée fondé sur une pratique de la contradiction, du contraste et du contre-pied.
Précisément, l'écart absolu, envisagé après Faucheux après Fourier, sera la figure de style et la méthodologie que suivra cette journée d'étude pour parler du livre, de l'édition et du graphisme, en les considérant comme des territoires faisant l'objet de recherches qui elles-mêmes jouent souvent du déplacement, du glissement, du grand écart.

Programme

9h30-10h00
Accueil du public, salle 108

10h00-10h30
Introduction par Catherine Guiral et Jérôme Dupeyrat (enseignants en média-image et en histoire de l'art contemporain à l'École des beaux-arts de Toulouse)

10h30-11h15
Laurence Moinereau (Maître de conférences en études cinématographiques) — Générique et récit : modalités de gestion d’un écart.
Situé sur les marges du film, le générique est écartelé entre deux espaces, celui du hors-cadre (l’espace de production du film), dont il est la trace, et celui de la fiction, qu’il introduit. Bénéficiant en quelque sorte d’un statut d’extra-territorialité, il constitue cependant une véritable séquence, intégrée à l’œuvre dans un déroulement continu. Aussi subit-il fortement l’emprise du récit. On proposera dans le cadre de cette intervention l’ébauche d’une taxinomie des relations générique / récit, prenant en compte à la fois le degré de narrativité de la séquence-générique (le générique peut être tout à fait abstrait, ou constituer un véritable court-métrage), et son degré d’intégration au déroulement du récit filmique (il peut être conçu comme une séquence complètement autonome, ou se confondre avec la séquence d’ouverture).

11h15-12h00
Philippe Millot (Dessinateur de livres, enseignant à l'ENSAD Paris) — Ex libris meis.
« Un recueil de quelques objets pour dire mes liens avec Pierre Faucheux. »

12h00
Discussion puis pause

14h30-15h15
Thierry Chancogne (théoricien du graphisme, enseignant à l'ÉSAAB Nevers et à l'ENSBA Lyon) — TYP TOP, Typographie, topographie, topologie et typologie chez Pierre Faucheux.
Donner du jeu à un engrenage c’est créer entre ses rouages un certain espace, un certain écart, qui permette de relancer la machine désirante des agencements…
Le jeu de l’écart absolu se réaliserait, pour Charles Fourier et André Breton à sa suite, dans le sillage des vaisseaux d’un Christophe Colomb, intrépide aventurier ibère des temps forcément modernes, qui s’écarte des routes maritimes reconnues, pour aller vers d’autres océans, d’autres continents, à la recherche de ce qui manque : l’or, les épices, les perles, l’inaccessible étoile…
Ce goût du jeu et de l’écart qui met le désir — pour faire mon latin, de privatif siderare — au centre des stratégies de construction, d’invention et de sidération, va animer le travail de rénovation des espaces du livre que mène Pierre Faucheux dans les années de libération de l’après-guerre.
Une rénovation, au sens architectural, qui tire parti aussi bien des décentrements et des polarisations dynamiques des avant-gardes du début du XXe, que des espaces-temps mouvementés du cinéma populaire, ou d’une façon assez française de ne pas renoncer à l’héritage de la grammaire des styles du métier typographique.
mmUne dynamisation des circulations de l’espace architecturé et séquentiel de l’objet livre. Jeu de lettre, jeu de mot, jeu d’esprit. Jeu dans le sens du travail de l’acteur, d’une typographie interprétative qui a un rôle à tenir dans cette « épaisseur des signes et des sensations » capable d’assurer, selon Roland Barthes, la bonne représentation, au sens théâtral, du texte.
Une ouverture à l’intériorité psychologique du petit théâtre du livre et de ses caractères — en anglais characters, sinon individus, personnages.
Une sensibilité aux résonances formelles, aux dimensions symboliques, historiques, des lettres, à tout ce qui peut s’envoler du texte…

Radioscopies du 27 décembre 1978
>>>>> Jacques Chancel :
Vous vous dites typographe, graphiste et architecte. Lorsqu’on arrive à faire une couverture de livre, on peut également faire une maison, faire un immeuble ? C’est la même construction ?
>>>>> Pierre Faucheux :
Oh que la question est vache ! […] Quel rapport entre l’architecture et la couverture de
livre ? […] : dans les deux cas c’est de la topologie pure. Mais dans un cas c’est de la topologie à deux dimensions et dans l’autre à trois et plus. Mais j’ajoute à deux et plus si nous tenons compte, dans la couverture de livre et dans le livre, de la dimension psychologique.

15h15-16h00
Catherine Guiral (graphiste, enseignante à l'EBA de Toulouse et à l'ENSBA de Lyon, chercheuse au département d'Histoire du Design du Royal College of Art à Londres) — La magique coulée*
En 1982, Pierre Faucheux est invité par l'Institut Français de Zagreb à présenter une rétrospective de ses travaux. L'exposition a lieu au Cabinet Graphique où une photographie d'archive le montre en compagnie du poète Radovan Ivsic, posant devant des tondos aux étranges compositions photographiques.
Ces montages d'images sont baptisés « écartelages » par Faucheux et leur naissance officielle pourrait coïncider avec la couverture du catalogue de la 11e exposition surréaliste en 1965 qui montre un « portrait harmonique de Charles Fourier ».
Étranges assemblages, images-coulisses aux bifurcations inattendues, les écartelages ont la particularité d'être construit à partir d'une seule image. Radovan Ivsic écrivait d'ailleurs en 1982 : « Regardez bien enfin comment le passage de l'un au multiple expose une autre unité, une unité visionnaire, au gré d'un rythme encore inconnu, d'un rythme à la fois mental et organique et dont je tiens Pierre Faucheux pour le découvreur »**.
Alors nous regarderons.

(*) ce titre est un jeu de mot et un clin d'œil. Il renvoie au terme mâchicoulis, élément architectural crenelé et de soutien permettant un vision vers le pied des tours médiévales. Plus objectivement il est un rappel de la notion de « coulée automatique des images » que j'emprunte au texte de Hans T- Siepe [« La poésie est une pipe, René Magritte et la métaphore surréaliste », in Lisible-Visible, Mélusine, Cahiers du Centre de Recherches sur le Surréalisme, Paris, 1991, p. 32]. Les écartelages de Faucheux pourraient ainsi être interprétés comme cette tentative de faire couler vers le bas des images hautes : les rendre en les transformant par d'intriguants glissements formels.
(**) Radovan Ivsic, Sous le Signe de l'écart Absolu, Zagreb, Septembre 1982.

16h00-16h30
Pause

16h30-17h15
Jérôme Faucheux (graphiste) — Un diamant incrusté dans l'œil*
Les grands écarts de Pierre Faucheux : entre typographie et architecture en passant par la scénographie — éditions, expositions — et le surréalisme, sur fond de trame chrono-biographique.
La rigueur du typographe formé dans la tradition de l’école Estienne associée à une grande liberté apportée par sa culture et ses références en histoire de l’art.
Ses créations et manipulations d’images.
Son approche et ses choix symboliques pour les images et les typographies dans ses travaux pour les couvertures de livres et tous ses autres projets.
Toutes ses rencontres et collaborations qui lui donnent sa place unique au sein des Trente Glorieuses comme acteur multifacettes dans le monde de la création – éditions, architectures, musées, expositions…

(*) « Pierre Faucheux porte un diamant incrusté dans l'œil », André Breton, 1963.

17h15
Discussion



Du 28 au 30 octobre 2011 à l'École des beaux-arts de Toulouse, exposition Culture Clubs, salle 108, en résonance avec la journée d'étude et l'exposition/salon Le catalogue et ses hybrides (commissariat Charlotte Cheetham).

La journée d'étude L'écartelage, ou l'écriture de l'espace (d')après Pierre Faucheux s'inscrit dans la programmation de Graphéine 3, saison du dessin contemporain, organisé par Pink Pong, réseau art contemporain de l'agglomération toulousaine.