Actualité
Appels à contributions
L'Architecte à la plume - colloque

L'Architecte à la plume - colloque

Publié le par Marielle Macé (Source : Emmanuel Rubio)

L'architecte à la plume - 4 et 5 mars 2010

 

 

 

 

 

 

            « Ornement et crime », La Charte d'Athènes, Learning from Las Vegas, New York délire… Autant de titres qui marquent assurément la culture de ce siècle. La lecture de Loos par Broch ou Debord, la part prise par les écrits de Venturi dans la définition du post-modernisme, attestent la place occupé par les architectes dans le débat intellectuel. L'écrit de l'architecte, dans le même temps, garde pourtant un statut ambigu, qui le laisse souvent à la marge, pour les architectes comme pour les autres : relevant par trop de sa spécialisation pour ceux-ci, y échappant par trop souvent pour ceux-là... Peut-être d'ailleurs cette ambiguïté tient-elle à son origine même. D'une certaine manière, l'écriture de l'architecte occupe toujours une place seconde : bien souvent elle accompagne le bâtiment, l'image ; à tout le moins, elle semble trouver sa légitimité dans cette autre activité – fondatrice – qui la précède et la dépasse. Comment même pourrait-elle vraiment en rendre compte ? Se mesurer avec elle ?

            Et pourtant, l'écriture donne à lire. Du silence de l'architecture, elle dégage un discours, dans un langage accessible à tous, et d'autant plus efficace. « Les édifices, écrit Thom Mayne, de Morphosis, peuvent osciller, s'évaporer, rester pour toujours inachevés. […] Mais les mots, bien que d'ores et déjà sans substance, parviennent à s'inscrire, de manière indélébile, dans le temps, dans la parole publique, dans l'inconscient. » Pour reprendre le fameux jeu de mot pascalien, l'écriture finit par comprendre l'architecture, lui permettant encore de dialoguer avec les discours, les savoirs de son temps.

            L'architecte traduit-il son architecture, restitue-t-il le langage de l'architecture, réduit-il l'architecture à ses mots ? Ce qui est certain c'est que son discours prend une place décisive parmi tous ceux qui viendront, à leur façon, poser leur code sur le bâtiment, sur la ville, et qu'en ce sens, il est aussi une manière de les habiter. Par la plume, l'architecte reconfigure l'espace idéologique, comme il redessine l'espace. De toute évidence pourtant, un filtre interprétatif voile autant qu'il révèle, masque autant qu'il fait apparaître, et l'écrit de l'architecte échappera d'autant moins à l'ère du soupçon qu'il procède bien souvent d'une situation intéressée. Ecrire, pour l'architecte, se rapportera-t-il à la nécessité de faire apparaître ce qui devrait déjà être apparent, ou à celle de transposer l'architecture pour la rendre acceptable, aimable, consommable ? Et comment la situation même de l'écriture du texte d'architecture (pour le client, en vue d'une promotion plus générale…) influera-t-elle sur cette récriture du réel ?

 

Ces interrogations se dédoublent dès lors que l'autonomisation du texte architectural tend à le faire passer du statut de filtre à celui de substitut, changeant d'ailleurs souvent par le même coup de destinataire. Le cas de Le Corbusier, écrivain s'il en fut, est éclairant. Comment comprendre, à Moscou, Alger ou ailleurs, le glissement accéléré qui fait passer du projet architectural au plan d'urbanisme et finalement, au livre ? Quelle place donner aux manifestes de Kiesler, qui fondent sa trajectoire et son importance dans le monde architectural, en l'absence presque complète de construction ? Comment le texte peut-il définir une sorte d'horizon architectural, en deçà, ou au-delà de l'édification proprement dite ? On ne saurait assurément éluder la question de la théorie architecturale, tant la présupposition d'une telle théorie – dont l'évidence est pourtant contestable – vient à elle seule justifier le passage à l'écrit. Dans le même temps, il faudra pourtant noter la variété des textes en cause : texte doctrinal, texte théorique ou à prétention théorique, témoignage, texte poétique… La liste reste ouverte et n'interdit pas les mélanges, les cohabitations, comme chez Le Corbusier, ni que les textes en apparences les plus éloignés de l'architecture ne recouvrent une forte dose de légitimation.

Ecritures à part entière, les livres des architectes tendent enfin, dans certains cas, à s'imposer au-delà de leur oeuvre propre. Dans ce contexte, le recours aux formes littéraires consacrées (poèmes de Buckminster Fuller ou Le Corbusier, autobiographies de Franck Lloyd Wright ou Rossi, manifestes de Coop Himmelblau), mérite évidemment d'être interrogé, dans la mesure où il signe précisément le concurrence artistique qui s'établit entre l'écrit et le bâti. Existe-il, pour ne prendre que cet exemple, une particularité de l'autobiographie d'architecte ? Dans quelles conditions l'architecte recourt-il au poème ? Dans quelle mesure les architectes auront-ils participé au renouveau du genre utopique (Taut, Le Corbusier…) ? L'approche littéraire du texte d'architecte ne saurait pourtant se limiter à un tel jeu de reconnaissance quasi-institutionnelle. Comment l'intervention de l'architecte aura-t-elle pu remodeler le contexte intellectuel ? Comment s'y sera-t-elle intégrée ? Et comment le livre, dans sa forme même, pourra-t-il porter la modernité défendue par l'architecte ? La force de Vers une architecture, de ce point de vue, ne saurait être distinguée de la manière dont l'ouvrage met à profit les possibilités modernes d'impression pour un rapport renouvelé entre texte et image. Mais l'évolution des conditions d'édition, depuis les années 20, a permis une véritable généralisation de ces nouveaux procédés (Koolhaas, MVRDV), toujours plus interrogés par les architectes, et ce alors même que cette évolution, dans les genres littéraires traditionnels, reste sinon marginale du moins limitée. Est-ce là une possibilité ouverte au seul architecte ? Un devenir possible du livre ? Et comment les genres abordés par les architectes (Archigram, Superstudio, pour la contre-utopie) y ont-ils trouvé de nouvelles ressources ?

Ces questions, à l'évidence, gagneront à la confrontation entre architectes et littéraires, pour une approche multiple de l'écrit de l'architecte en un siècle qui le fit passer de la plume au traitement de texte et donna lieu à d'inédites, d'admirables architectures de mots.

 

 

 

Le colloque, organisé conjointement par Paris X Nanterre et l'EHESS, aura lieu sur deux jours, les 4 et 5 mars 2010. Il réunira de manière équilibrée littéraires et architectes.

Les propositions de contribution (comprenant un résumé d'une à deux pages) devront parvenir aux organisateurs avant le 30 septembre 2009.