Questions de société
L'Appel des appels, pour une insurrection des consciences

L'Appel des appels, pour une insurrection des consciences

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Firgoa.usc.es)

 L'Appel des appels, pour une insurrection des consciences

Sous la direction de Roland Gori, Barbara Cassin et Christian Laval


Paris: Mille et une nuits, 2009, 380 p.

http://www.appeldesappels.org/


Demain,lorsque « la société des individus » sera définitivement installée, cesera trop tard ; trop tard pour soigner, trop tard pour enseigner, troptard pour chercher, trop tard pour juger en toute indépendance. Il nerestera plus à l'information et à la culture qu'à se faire lesaccessoires d'une fabrique de l'opinion, qui pourra en toute impunité «vendre à Coca-cola du temps de cerveau disponible ».

Face à lamultiplication de prétendues réformes aux conséquences désastreuses, celivre prône le rassemblement des forces. Il exhorte à parler d'uneseule voix pour s'opposer à la transformation de l'État en entreprise,au saccage des services publics, et à la destruction de la sociétéfrançaise et de ses valeurs.

 Avec lescontributions de :

ALAIN ABELHAUSER, HENRI AUDIER, BARBARA CASSIN,FRANCK CHAUMON, MICHEL CHAUVIÈRE, STEFAN CHEDRI, LAURENCE CROIX, PIERREDARDOT, MARIE-JOSÉ DEL VOLGO, DIDIER DREYFUSS, PASCALE GIRAVELLI,ROLAND GORI, ANDRÉ GRIMALDI, LOUISE L. LAMBRICHS, LAURIE LAUFER,CHRISTIAN LAVAL, SAMUEL LEGENDRE, DANIEL LE SCORNET, LAURENT LEVAGUERÈSE, MARIE-JOSÉ MONDZAIN, PHILIPPE PETIT, SERGE PORTELLI, RÉMYPOTIER, NICOLAS ROMÉAS, SOPHIE SIRÉRE, VALÉRIE DE SAINT-DO, ISABELLETHIS SAINT-JEAN, MICHEL SAINT-JEAN, MARIE-JEAN SAURET, BERNARDSTIEGLER.

À l'origine, un manifeste : L'Appel des appels

Lescontributeurs, psychanalystes, enseignants, médecins, psychologues,chercheurs, dressent un état des lieux et une analyse dans chacun deleur domaine. Ils s' adressent à l' ensemble des citoyens pourcombattre une idéologie de la norme et de la performance qui exigenotre soumission et augure d' une civilisation inique et destructricede l' humain.

Ils témoignent que dans l' espace tragique de lacrise actuelle et des mauvais traitements qu' « on » lui fait subir, unfutur est possible pour l' « humanité dans l'homme ».

Fin 2008,les pétitions dénonçant la casse provoquée par les réformes semultiplient. Roland Gori et Stefan Chedri, psychanalystes etprofesseurs de psychopathologie, sont sans cesse sollicités. Face à lavive inquiétude qui s'empare des professionnels du soin, du travailsocial, de la justice, de l'éducation, de la recherche, del'information et de la culture, ils décident de réagir.

Ils rédigent l'Appel des appels et son manifeste.

Le mouvement connaît un succès immédiat : en mai 2009, il regroupait déjà 75 000 signataires.

Signez l'APPEL DES APPELS
Près de 70000 signatures contre les "réformes" Sarkozy.

« Nous,professionnels du soin, du travail social, de l'éducation, de lajustice, de l'information et de la culture, attirons l'attention desPouvoirs Publics et de l'opinion sur les conséquences socialesdésastreuses des Réformes hâtivement mises en place ces derniers temps.

Al'Université, à l'École, dans les services de soins et de travailsocial, dans les milieux de la justice, de l'information et de laculture, la souffrance sociale ne cesse de s'accroître. Elle comprometnos métiers et nos missions.

Au nom d'une idéologie de "l'hommeéconomique", le Pouvoir défait et recompose nos métiers et nos missionsen exposant toujours plus les professionnels et les usagers aux lois"naturelles" du Marché. Cette idéologie s'est révélée catastrophiquedans le milieu même des affaires dont elle est issue.

Nous,professionnels du soin, du travail social, de l'éducation, de lajustice, de l'information et de la culture, refusons qu'une telleidéologie mette maintenant en "faillite" le soin, le travail social,l'éducation, la justice, l'information et la culture.

Nousappelons à une Coordination Nationale de tous ceux qui refusent cettefatalité à se retrouver le 31 janvier 2009 à Paris. »
Le 22 décembre 2008,
Roland Gori et Stefan Chedri

Sur le site des Inrocks:

Roland Gori: "Nous sommes dans une civilisation du profit "

http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1257415201/article/nous-sommes-dans-une-civilisation-du-profit/

Santé,justice, social, éducation, recherche, culture : le gouvernement veutimposer une logique entrepreneuriale à ces secteurs. Les professionnelss'y refusent. Un an après l'Appel des appels, le psychanalyste RolandGori raconte une nouvelle étape de la lutte.

Psychanalyste,professeur à l'université d'Aix- Marseille-I, Roland Gori est àl'initiative, avec Stefan Chedri, de l'Appel des appels lancé endécembre 2008. Il réunit des professionnels de la santé, du travailsocial, de la justice, de la recherche, de tous les secteurs dédiés aubien public, pour résister à la destruction de tout ce qui tisse lelien social. Parmi ses ouvrages publiés : Exilés de l'intime (2008), La Santé totalitaire (2005), Logique des passions (2003).

- Un an après l'Appel des appels, lancé le 22 décembre 2008, vous repartez à la charge avec un livre appelant à “l'insurrection des consciences”. Quelle fonction attribuez-vous à ce nouvel appel ?

-Le livre de l'Appel des appels que nous avons coordonné, BarbaraCassin, Christian Laval et moi, rassemble environ vingt descontributions les plus symboliques de ce mouvement d'opposition socialeet culturelle. Au début de l'année, L'Appel avait reçu en quelquessemaines le soutien de près de 80000 signataires. C'est du coeur de nosmétiers de la santé, de la justice, du travail social, de l'éducation,de la recherche, de la culture, de l'information, qu'un collectif deprofessionnels s'est constitué pour alerter les pouvoirs publics etl'opinion publique sur le caractère idéologique des réformes quitendent à instrumentaliser leurs métiers.

- Quels sont les symptômes de cette souffrance généralisée dans tous ces métiers ?

-On a pu constater que l'avalanche des nouvelles réformesgouvernementales tendaient à mettre en oeuvre un recodage de nosmétiers sur le modèle de l'entreprise. Nous sommes dans unecivilisation d'usuriers où le maître-mot est le profit. Pour lesfinanciers, l'humain est devenu le moyen de produire encore plusd'argent. Par exemple, la gestion à l'hôpital n'est plus le moyenlogistique du soin, c'est le soin qui est devenu le moyen de justifierla gestion et d'accroître la pression de la tarification sur les actesdes soignants. Notre ouvrage appelle à une vigilance citoyenne, il sertde signal d'alerte. Demain, il sera trop tard pour soigner, éduquer,informer, pour juger en toute liberté et en toute indépendance !

- Pour reprendre une formule de Freud, le “malaise dans la civilisation” est-il au coeur de nos vies aujourd'hui ?

-Oui, à cause des conséquences désastreuses de cette manière de voir lesmétiers qui prennent soin des enfants, des malades, des jeunes endifficulté, des vieux, des étrangers, des “sans identités fixes”, brefdes plus vulnérables d'entre nous, mais aussi de ce qu'il y a de plusvulnérable en nous, dans notre vie. Les plus vulnérables sont sacrifiésà un marché qui réifie les hommes, les marchandise, pour les fairecirculer et produire comme des choses. Les articles de Dardot et Lavalmontrent comment cette nouvelle “rationalité néolibérale” est unepratique de gouvernement autant qu'une nouvelle construction de l'Etatqu'elle plie à sa botte et qui reconstruit en retour les pratiquessociales dans un management de la peur et de l'insécurité. Cetterecomposition des professions aux valeurs du néolibéralisme estcatastrophique dans tous nos secteurs et pervertit des champsprofessionnels comme ceux du soin, du travail social ou de lapsychiatrie. La manière aussi dont nous traitons les étrangers etl'étrange – attitude qui révèle bien souvent la substance éthique d'unecivilisation – est inquiétante.

- Comment en est-on arrivé là ?

-Nous analysons les processus : télécratie contre démocratie (BernardStiegler), marché des médias se substituant à l'esprit du journalisme(Philippe Petit), mais aussi ce goût de la “servitude volontaire” desindividus prêts à sacrifier leur pouvoir de décision et de jugement auprofit de ce que j'appelle ces “scribes de nos nouvelles servitudes”: les experts et les évaluations. Barbara Cassin montre enfin comment,dans une véritable schizophrénie, le pouvoir désavoue dans ses actes ceque ses discours peuvent dire de vrai. Rhétorique de propagandedavantage que programme politique, pratique de publiciste davantagequ'énoncés d'autorité du politique. C'est à la construction d'unnouveau pouvoir collectif et démocratique qu'appelle notre “insurrection des consciences”face à un pouvoir personnel que je nommerais volontiers “tyrannique” ausens antique du terme : démagogique et populiste, prônant l'égalité detous sauf d'Un seul ! Ce qualificatif désignant moins le style d'unhomme que celui d'une politique la plus à même de justifier latransformation des hommes en marchandises, en “grains de sable” dont lastricte égalité consiste à être interchangeables.

- L'échecdu monde de la recherche contre la réforme Pécresse au printemps nerévèle-t- il pas la difficulté à contester le pouvoir ?

-Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse d'un échec. La pertinence desanalyses que l'on trouve dans l'ouvrage demeure quand bien même lesréformes gouvernementales avancent tel un char d'assaut sans tropd'états d'âme. Mais, sur sa route, ce char néolibéral fait leverdavantage les colères. Un pouvoir politique responsable ne saurait seréjouir trop vite de l'état d'apathie qui menace un peuple. Cetteapathie politique est une sorte de syndrome mélancolique. Ce point dedésespoir et de résignation a toujours constitué dans l'histoire unrisque majeur pour la démocratie. La gauche est-elle en traind'inventer une voie différente ? Les forces de gauche réagissentdifféremment. Nous avons pu constater un intérêt renouvelé des forcessyndicales et de certaines forces politiques, dont le PC, le Parti degauche, les Verts et timidement le PS, pour ce mouvement d'“insurrection des consciences”.Il est vrai que l'action de Daniel Le Scornet de la Maison desmétallos, vice-président de la nouvelle association de l'Appel desappels que nous venons de fonder, a aidé à dissiper les malentendus etfaciliter des rapprochements.

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Source: http://firgoa.usc.es/drupal/node/44449