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L'anonymat de l'oeuvre à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle)

L'anonymat de l'oeuvre à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle)

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Bérengère Parmentier)

L'anonymat de l'oeuvre à l'époque moderne (XVIe-XVIIIesiècle)

Colloque interdisciplinaire, Université de Provence, 13-15octobre 2011.

Ce colloque, organisé par le CIELAM (Centreinterdisciplinaire d'étude des littératures, Aix-Marseille), prend la suite d'unpremier colloque sur « L'anonymatde l'oeuvre au Moyen-âge », quis'est tenu à Aix-en-Provence du 27 au 29 mai 2010.

Ilsemble que l'affirmation d'un statut moderne de l'auteur, à l'époque moderne(XVIe-XVIIIe siècle), implique un lien de plus en plus intime et personnelentre l'individu et son oeuvre : l'anonymat pourrait donc apparaître comme unphénomène résiduel, marginal, qui ne serait plus lié qu'à descontingences historiques et sociales précises, comme le contournement de lacensure, pour les écrits subversifs, ou l'évitement de l'identitéd'écrivain, chez les seuls auteurs de la grande noblesse.

Or unexamen rapide suffit à manifester une double évidence : d'une part, l'absencedu nom d'auteur est aux XVIe-XVIIIe siècles un phénomène majeur,quantitativement massif, dont les caractéristiques et les enjeuxdébordent très largement toute stratégie de prudence éditoriale. D'autrepart, le nom d'auteur n'est qu'un élément dans une vaste gamme d'indices quipermettent d'identifier un ouvrage, qu'il soit imprimé ou manuscrit. Ilconvient donc de prendre en compte dans sa globalité le système d'assignationdes noms propres aux écrits.

Quel nom ?L'anonymat des oeuvres ne concerne pas seulement le nom de l'auteur, maisaussi le nom de l'imprimeur et le lieu d'édition ; on sait que lesprocédures judiciaires frappent davantage les imprimeurs et leursouvriers que les auteurs eux-mêmes. Par ailleurs, le nom du dédicataire semblesouvent au moins aussi important que le nom de l'auteur. Il faudrait examinerle rapport entre ces différentes formes de présentation ou d'esquive des noms propres.

Ilfaut aussi tenir compte des cas fréquents où l'auteur est à peu prèsimpossible à désigner : c'est le cas des publications collectives, parexemple dans le cadre de l'écriture galante, ou dans les grandesentreprises encyclopédiques (Trévoux, Encyclopédie). C'est aussi le casde certaines publications de circonstance, qui relèvent moins del'initiative d'un “auteur” distinct, que de l'imprimeur qui en a fait lademande. Il faudra donc étudier le rapport de l'anonymat avec lesrelations de clientélisme ou de mécénat, avec la sociabilité mondaine, avec lasociabilité savante, ou encore, si l'on tient compte des auteurs-collecteurs-intermédiairesqui fournissent du texte au libraire, avec la formation du marché du livre.

Quel incognito ? Ce n'est pas parce que le nom de l'auteur n'estpas affiché sur la page de titre ou à la fin d'un article qu'il doit rester inconnu.Le nom d'auteur peut circuler très efficacement par d'autres voies, dont l'étude globale reste à faire. Dans de nombreux cas, en s'abstenantd'afficher son nom, l'auteur se contente d'en remettre la divulgation à desvoies d'information orales, à la rumeur (La Bruyère, La Rochefoucauld). Ilfaudrait donc analyser le rôle de l'anonymat dans la répartition entrecirculation écrite et circulation orale des informations.

Parailleurs, la signature intégrale n'est un moyen parmi d'autres dans lesdispositifs d'identification et de reconnaissance de l'auctorialité. Il resteencore à tenir compte de différents codages de l'identité de l'auteur, qui lamasquent et la dévoilent à la fois selon des stratégies variables : initiales,astérisques (Encyclopédie),pseudonymes, effacement du nom derrière la mention d'un titre ou d'unelocalisation (« G.N., Parisien » ou « comte de *** »).

Quelle menace ?La censure n'est pas le seul danger dont peuvent se garder ceux quiécrivent, et les hommes de la haute noblesse ne sont pas seuls à sedéfier du nom d'auteur (les Caractèresde La Bruyère sont anonymes aussi bien que les Maximes de La Rochefoucauld). Il faut tenir compte d'autresatteintes possibles à la réputation, et envisager toutes les stratégies tendantà éviter les contraintes du statut d'auteur, qui ne se réduisent pas à laresponsabilité légale (voir les méditations de Rousseau, dans les Dialogues, sur l'auctorialité facticeque ses ennemis ont fabriquée de lui). De fait, l'assignation d'un nomd'auteur, par écrit ou par rumeur, ne relève pas toujours de son intentionpropre ; elle peut au contraire être imposée par des adversaires à desfins malveillantes (Théophile). Dans ce cadre, le cas des écrits mystiques, àla fois hautement individuels et souvent risqués, exige sans doute uneattention spécifique.

Quelques pistes :

1. Lesystème de nomination attaché au livre (auteur, imprimeur, lieu, dédicataire,titre... et même signataire du privilège), aussi bien qu'au manuscrit. Préciserles relations entre anonymat de l'imprimé et anonymat du manuscrit. Prendre encompte les différentes manières de donner des informations sur soi :outre le nom sur la page de titre, d'autres indications sont possibles (lieu de naissance, ancêtres, etc.) en divers lieux du livre. Etudier les« degrés d'anonymat », les rapports avec la pseudonymie, voireavec l'écriture à clés.

2.Les relations de l'anonymat avec les différentes formes de la censure etavec les poursuites judiciaires qui peuvent être engagées. Quel anonymatou quel nom (auteur, imprimeur, dédicataire) protège ou expose qui, dequoi, comment? Quels sont les cas où l'anonymat d'auteur aurait réellement faitobstacle aux poursuites ? Particularité du corpus « libertin »,de la littérature irréligieuse ou pornographique, de la presse clandestine.

3. Lesrelations de l'anonymat avec les différentes catégories d'écrit (belles-lettres, sciences, religion, etc.) et, dans le domaine des belles-lettres, avec les différents genres, et notamment avec lahiérarchie des genres. Problèmes spécifiques du Je lyrique. Cas-limites quel'histoire littéraire tend à estomper: auteur encore discuté aujourd'hui (Lettres portugaises...), auctorialitéplurielle (La Princesse de Clèves, l'Histoire des deux Indes...).

4. Lesdifférentes stratégies que permet l'anonymat de l'auteur : incognito,commodité, mise en avant du seul dédicataire, etc. Possibilité d'unecirculation des informations sur l'auteur par d'autres moyens que ceux del'écrit. Relations entre statut d'auteur et anonymat. La dissimulation du nomd'auteur ne peut-elle pas constituer un moyen paradoxal d'affirmationd'une figure d'auteur ?

Onprivilégiera les études qui jettent une lumière neuve sur les questionsthéoriques soulevées par les phénomènes d'anonymat. Les communications posant,sur le mode monographique, la question de l'attribution d'un texte à tel ou telauteur ne seront pas admises.

Les actesseront publiés dans la revue Littératuresclassiques.

La langue du colloque est le français.

Les propositions (titre, présentation de la communication en 15 lignes environ, avec unebrève bio-bibliographie) doiventparvenir aux organisateurs avant le 15 octobre 2010.

Organisateurs : Bérengère Parmentier, Stéphane Lojkine,Jean-Raymond Fanlo