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L'Amérique au tournant. La place des Etats-Unis dans la littérature française entre 1890 et 1920.

L'Amérique au tournant. La place des Etats-Unis dans la littérature française entre 1890 et 1920.

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Philippe Geinoz)

L’Amérique au tournant

La place des Etats-Unis dans la littérature française entre 1890 et 1920

 

 

C’est peut-être une absence que ce colloque cherche à interroger.

Difficile en effet de convoquer une ou des images de l’Amérique au tournant du siècle dans la littérature française.

Il y a l’Amérique d’avant, celle du XIXe siècle, celle qui reste suffisamment lointaine, et dès lors mal connue, pour se prêter aux projections inquiètes des écrivains européens, l’Amérique de Stendhal et surtout de Baudelaire, celle qui sert le plus souvent d’horizon à la dénonciation du « matérialisme » et du nivellement démocratique.

Et puis il y a l’Amérique d’après, celle de l’entre-deux-guerres, devenue subitement une grande puissance, l’Amérique qui donne le ton sur les plans social, politique et même, désormais, culturel (en ce qui concerne du moins la culture populaire), l’Amérique dont on pourra s’inspirer et l’Amérique qu’on pourra détester (à l’exemple d’un Duhamel).

Mais qu’en est-il dans l’intervalle, durant ces décennies de rupture décisive sur le plan artistique – de l’esthétique « fin de siècle » aux avant-gardes de la Belle Epoque et du début des années folles ? Quelle est, à ce moment, la place des Etats-Unis dans la littérature française ?

 

 

Voici, pour répondre à cette question, quelques directions de recherche (les principales sans doute, mais probablement pas les seules) :

 

1. Regards sur les Etats-Unis et usages de la référence américaine.

a. Dans les enquêtes et témoignages (Bourget, Brunetière, Huret, Adam, Giraudoux).

Parce qu’ils sont encore relativement rares et parce que le pays suscite des réactions souvent mêlées d’attirance et de répulsion, les voyages aux Etats-Unis invitent au récit et au commentaire. Ils peuvent même être entrepris dans ce but, et dans ce cas l’ambition, plus ou moins avouée, est de proposer une réflexion sur le devenir de la société européenne. Car si Baudelaire annonçait déjà, comme une apocalypse, « l’américanisation » de nos mœurs, ce n’est qu’à partir des années 1880 que se généralise le sentiment que résume ce propos d’Anatole France en 1889 : « Il faut bien le reconnaître, le nouveau monde entraîne le vieux dans un furieux élan. L’Américain vit plus et plus vite que nous. Nous suivons bon gré mal gré son irrésistible impulsion ». Le voyage aux Etats-Unis semble donc une manière d’anticiper, pour l’infléchir éventuellement, l’évolution de notre société.

On cherchera ainsi à interroger les significations plurielles, et parfois conflictuelles, induites par cette Amérique souvent fantasmée par les voyageurs français.

 

b. Dans la mise en scène romanesque, théâtrale ou même poétique de personnages ou de décors américains.

Comme l’a montré Simon Jeune dans un ouvrage toujours très utile (Les types américains dans le roman et le théâtre français, 1870-1917), les personnages américains restent assez stéréotypés. Pourtant l’expérience personnelle des Etats-Unis permet à certains écrivains de faire apparaître un décor entier (Claudel, Adam, Cendrars, Giraudoux). Et avec Larbaud, le riche Américain peut même se faire poète. Il s’agira donc de montrer comment les stéréotypes américains évoluent dans ces années-là, et comment ils sont parfois investis de nouvelles valeurs selon l’expérience propre de l’Amérique que développent les auteurs évoqués. On pourra aussi s’interroger sur les éventuels infléchissements de ces représentations durant la Première Guerre mondiale, au moment où les soldats américains sont présents en France, et sur la manière dont ces nouveaux clichés circulent dans les productions littéraires des écrivains-combattants français.

Dans une perspective d’histoire culturelle, on souhaiterait enfin que certains romans soient revisités, comme Esclave de Gérard d’Houville (alias Marie de Régnier) ou Le Trust de Paul Adam. Il en va de même de la littérature populaire et notamment des romans de Gustave Le Rouge, qui font de l’Amérique plus qu’une menace, un ennemi.

 

2. Réception de la littérature américaine

La période choisie correspond à la grande vogue de Walt Whitman en France. Si l’ouvrage de Betsy Erkkila (Walt Whitman among the French) indique encore très clairement les étapes de cette réception, de nombreux épisodes méritent d’être revisités. Dans le cadre de ce colloque, il s’agira surtout de s’intéresser à Whitman en tant qu’il apparaît comme exemplaire de l’Amérique que chacun choisit de privilégier, en tenant compte du décalage inévitable que provoque le caractère tout de même tardif des lectures francophones de Feuilles d’herbe (de l’article de Sarrazin  dans la Nouvelle Revue en 1888 à la publication des traductions « dissidentes » de la NRF en 1918 et aux critiques de Gide à celle de Bazalgette, apparues avec la publication de Corydon).

On pourra s’interroger aussi sur la façon dont l’exemple de Mark Twain, découvert dès les années 1870, continue de nourrir les humoristes français (Allais, le « démarque Twain », ou Pierre Veber, qui prend le pseudonyme de Bill Sharp).

Le cas de Gertrude Stein, impressionnante figure de l’excentrique américaine installée au cœur de l’avant-garde parisienne, mérite également qu’on s’y arrête. Même si la poétesse est peut-être davantage écoutée par les peintres que par les écrivains, son rôle de « passeur » entre les deux cultures et d’aiguillon pour la réflexion esthétique mérite certainement qu’on y revienne.

On pourra enfin considérer la réception critique de la littérature américaine dans les revues littéraires et artistiques de l’époque (La Plume, La Revue blanche, Le Mercure de France, La NRF, etc.).

 

3. Pénétration d’une philosophie américaine (le pragmatisme)

La première décennie du siècle voit la rencontre entre le nietzschéisme, le pragmatisme (celui de William James, avant tout) et le bergsonisme, en un ensemble qu’on désigne fréquemment alors comme la « philosophie actuelle » (Jules Romains) ou la « philosophie nouvelle » (Edouard Le Roy). On s’est, logiquement, intéressé beaucoup plus à l’influence de Bergson et à celle de Nietzsche sur la littérature. Il serait néanmoins intéressant de se pencher sur la pénétration de ce pragmatisme, que le poète néo-symboliste Tancrède de Visan expose, par exemple, en une présentation très bien informée dans Le Mercure de France en décembre 1907. Cette « méthode » philosophique – apparue aux yeux de grand public à l’occasion du débat sur le « modernisme » théologique (condamné par le pape Pie X en 1907) – peut en effet paraître d’autant plus « nouvelle » qu’elle est américaine. Et si les futuristes italiens (Soffici, Papini) s’en réclament ouvertement, les écrivains et les artistes français s’y intéressent également.

 

4. Emergence d’une culture de masse

Comme les Etats-Unis sont généralement associés à l’émergence d’une culture de masse, la référence américaine peut être l’occasion de s’interroger sur cette nouvelle réalité et sur la place qui reste à la littérature. Les Etats-Unis servent alors de révélateur à certaines inquiétudes.

On sera tout particulièrement attentif aux progrès du cinéma et à son association très rapide avec la culture américaine. On s’intéressera notamment à la réception, chez les écrivains français (Apollinaire, Pierre Albert-Birot, Canudo, Ivan Goll, etc.), des premiers grands films américains – ceux de Chaplin, de Griffith, de Mack Sennett –, et à la façon dont on met peut-être en évidence leur spécificité esthétique à partir de leur « américanité ».

 

 

Le colloque aura lieu les 27 et 28 avril 2017 à l’Université de Fribourg (Suisse).

 

Les propositions de communication (max. 3000 caractères) sont à envoyer jusqu’au 28 novembre 2016 à Fabien Dubosson (fabien.dubosson@unifr.ch) ou Philippe Geinoz (phgeinoz@gmail.com).