Questions de société

"L'accord France - Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et des diplômes dans l'enseignement supérieur : une attaque contre l'université et la laïcité ", par J. Gabriel et R. Suter (Terra Nova, 30/07/09)

Publié le par Bérenger Boulay

L'accordFrance - Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et des diplômesdans l'enseignement supérieur : une attaque contre l'université et lalaïcité - Jérôme Gabriel et Ruben Suter, Terra Nova, 30 juillet 2009

http://www.tnova.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=893

http://www.mediapart.fr/club/blog/terra-nova/160809/l-accord-avec-le-vatican-une-attaque-contre-l-universite-et-la-laicite

L'accord du 18 décembre 2008 entre la Franceet le Saint-Siège, qui est entré en vigueur le16 avril 2009, stipuleque “la France s'engage à reconnaître désormais la valeur des titres etdiplômes, canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ouprofanes, délivrés par «les établissement d'enseignement supérieurcatholiques reconnus par le Saint-Siège »”. Présenté comme uneconséquence du processus de Bologne, cet accord marque en fait unerupture dangereuse avec les usages et les principes républicains.

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Enmettant fin au monopole de l'Université dans la reconnaissance desdiplômes et des grades de l'enseignement supérieur, l'accord du 18décembre 2008 entre la France et le Saint Siège marque une rupturedangereuse avec les usages et les principes républicains.

Présentépar les signataires comme une conséquence du processus de Bologne quiinstaure un espace européen d'enseignement supérieur, cet accord estune remise en cause de la légitimité académique et institutionnelle del'université. Il compromet l'enseignement supérieur catholique dans sonidentité et représente un recul des libertés d'enseignement et derecherche.

Enfin, il s'inscrit dans le contexte de l'ambigüitépersistante de Nicolas Sarkozy vis à vis de la laïcité. En acceptantl'ingérence d'une institution d'Eglise dans les affaires éducatives, lePrésident laisse se produire un précédent fâcheux qui, en plus de lalaïcité, sape l'idée même de « gallicanisme ». Modèle original etriche, l'université catholique française voit sa spécificité et sonindépendance limitées au moment où l'Eglise, traversée de vivestensions, peine à définir son rôle dans les sociétés postmodernes.

Ilreste au Conseil d'Etat, saisi de plusieurs recours contentieux contrele décret de publication de l'accord, à apprécier s'il n'était pasjuridiquement nécessaire de passer par la loi, ce qui aurait en outrepermis à la représentation nationale de se saisir de ce débatessentiel. Politiquement, le mal est d'ores et déjà fait.

L'accorddu 18 décembre 2008 entre la France et le Saint-Siège sur lareconnaissance des grades et des diplômes dans l'enseignement supérieurest entré en vigueur le 16 avril 2009 , l. Selon le communiqué publiépar le Quai d'Orsay, « cet accord a pour objet de reconnaître la valeurdes grades et des diplômes canoniques (théologies, philosophie, droitcanonique) ou profanes (toutes les autres disciplines) délivrés par lesétablissements d'enseignement supérieur catholiques reconnus par leSaint-Siège et de faciliter les différents cursus universitaires ».

Ilmarque un changement profond pour l'enseignement supérieur français. Enrevenant sur une situation établie depuis 1880 et sur la relationexistant entre universités publiques et établissements d'enseignementssupérieurs confessionnels, qui accorde aux premiers une primauté defait et le droit de contrôle sur la pertinence et la qualité académiquedes diplômes préparés par les seconds, il constitue une double atteinteaux principes fondamentaux de la République Française : la souveraineténationale vis à vis d'un Etat étranger et la laïcité de nosinstitutions.

Pour la première fois, des établissementsd'enseignement supérieur et de recherche français, dispensant unenseignement de haut niveau, ne seront plus intégralement membres de lacommunauté éducative nationale. L'enseignement supérieur catholique,qui est une réalité mondiale, plurielle et hétérogène (1) voit, enFrance, son identité remise en cause ; surtout, ce texte bouleverse deséquilibres (difficilement) établis, mettant un peu plus à mall'enseignement supérieur français et confirmant l'ambiguïté dugouvernement français sur les questions de laïcité (2).

1 - L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR CATHOLIQUE, DANS LE MONDE ET EN FRANCE

1.1 - L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR CATHOLIQUE DANS LE MONDE


L'Eglisecatholique revendique « le droit d'ériger et de diriger des universitésqui contribuent à une plus haute culture humaine, à une promotion pluscomplète de la pensée humaine ainsi qu'à l'accomplissement de sa proprefonction d'enseignement » (Constitution Apostolique Bonus Pastor, art.58, Jean-Paul II, 1988) .

L'enseignement supérieur catholique(ou d'inspiration chrétienne) représente dans le monde plusieursmilliers d'institutions et plusieurs millions d'étudiants. Sur cetensemble, près de 2000 sont liés au Saint-Siège, dont moins de 20 enFrance. A la curie romaine, gouvernement de l'Eglise, seule laCongrégation pour L'Education catholique (équivalent du ministère del'éducation du Saint-Siège) est compétente dans le domaine desuniversités et des études supérieures. Ce dicastère (institution del'Eglise catholique) est garant de l'autorité de l'Eglise et de sonaction en matière éducative et notamment, pour ce qui nous intéresse,dans les domaines de l'éducation supérieure catholique.

- Lalégislation canonique et les documents du concile Vatican IIétablissent très clairement une distinction entre les universités etfacultés ecclésiastiques et les facultés et universités catholiques.

Lesrelations entre les premières et la Congrégation pour l'EducationCatholique (Saint-Siège) sont régies par la Constitution ApostoliqueSapientiae Cristiana. Cette constitution dispose notamment que lesuniversités et facultés ecclésiastiques ne peuvent être constituées quesi elles ont été créées par l'autorité du Saint-Siège, leurs statuts etles études qu'elles proposent doivent être approuvés par la CEC qui aun droit de regard sur la nomination du Président (ou Recteur). Parailleurs, la promotion ou la nomination des professeurs est égalementsoumise à la CEC qui doit conférer un nihil obstat .

En ce quiconcerne les Universités et Facultés catholiques, leurs relations avecle Saint-Siège sont régies par la Constitution Apostolique Ex CordeEcclesiae. Cette dernière prévoit qu'une université catholique peutêtre érigée et approuvée par la CEC ou par une Conférence épiscopale,par une autre assemblée de la hiérarchie catholique, par un évêquediocésain, etc. (ECE, art. 3). Ses statuts sont approuvés parl'autorité compétente. A priori, les relations du Saint-Siège avec lesuniversités catholiques sont plus souples qu'avec les universitésecclésiastiques. Toutefois, il convient de mettre en valeur le toutpremier article de cette Constitution qui confirme le « droit duSaint-Siège d'intervenir au sujet de chaque université catholiquelorsque cela est rendu nécessaire » et qui insiste sur l'obligation detoute université catholique de « maintenir la communion avec l'Egliseuniverselle et le Saint-Siège ». Cette Constitution qui spécifie à lafois la forme et le sens de l'université catholique constitue pour leSaint-Siège un instrument de contrôle sur l'université. Si Ex CordeEcclesiae définit l'autonomie universitaire et incite les universitéscatholiques à s'engager librement dans les sociétés où elles oeuvrent,elle délimite implicitement les libertés académiques en octroyant auSaint-Siège un pouvoir d'intervention dont il juge seul del'opportunité. Cette ingérence du Saint-Siège a été cause de heurts etd'incompréhension avec quelques universités catholiques européennes,dont la prestigieuse université de Louvain en Belgique .

Laréalité universitaire catholique est particulièrement méconnue enFrance, sans doute à cause d'une carence relative en culture religieusemais aussi, et il faut bien l'admettre, de notre système universitairequi a tardé à s'ouvrir au monde extérieur. La richesse et la qualitédes universités catholiques est pourtant une réalité et certains nomssuffisent à eux seuls à évoquer rigueur intellectuelle, qualité etprestige. Georgetown University (Etats-Unis), Louvain (Belgique),Sophia (Japon) sont quelques exemples d'universités catholiques derenommée internationale. La présence d'universités catholiques sur tousles continents et dans quasiment toutes les cultures (dont celles oùles chrétiens sont extrêmement minoritaires) contribue également àmatérialiser la présence de l'Eglise dans le milieu des savoirsacadémiques, de la recherche scientifique, de la formation des adulteset de leur professionnalisation, notamment celle des élites. En effet,l'université catholique est prestigieuse et si c'est une institutionprivée souvent réservée à une élite sociale et culturelle, elle estégalement ouverte aux moins favorisés ou aux plus pauvres (c'estnotamment le cas en Afrique ou en Asie). Elle est incontestablement uneinstitution d'Eglise et est considérée comme telle par le Saint-Siège.

1.2 - L'UNIVERSITE CATHOLIQUE EN FRANCE


Unpeu moins de 20 institutions d'enseignement supérieur catholique sontprésentes en France et reconnues par le Saint-Siège. Leurs relationsavec la Congrégation pour l'Education Catholique sont pour les unesrégies par la Constitution Apostolique Sapientiae Cristiana et pour lesautres par Ex Corde Ecclesiae.

Nous ne nous intéresserons pas aux premières qui, au moins jusqu'à aujourd'hui, ne délivrent que des diplômes ecclésiastiques.

Lessecondes, au nombre de cinq, sont des instituts catholiques (cesinstitutions ne peuvent porter officiellement le nom d'université) quidélivrent des diplômes ecclésiastiques mais aussi, et surtout, desdiplômes profanes. Ces cinq universités sont l'Université Catholique del'Ouest, l'Université Catholique de Lille, l'Université Catholique deLyon, l'Institut Catholique de Paris et l'Institut Catholique deToulouse. Elles offrent des formations en sciences humaines etsociales, ingénierie, langues, médecine et ont chacune plus de 125 ansd'existence. Elles comptent aujourd'hui environ 60 000 étudiants etsont regroupées au sein de l'UDESCA (Union des Etablissementsd'Enseignement Supérieur Catholiques) qui est actuellement présidée parle Recteur de l'Université Catholique de Lyon, le Père Michel Quesnel.

Pourvoir un diplôme reconnu sanctionner son enseignement, un institutcatholique a deux solutions : établir un accord d'affiliation avec unétablissement public qui garantira le niveau du diplôme ou demander aurecteur d'académie de convoquer un jury d'experts pour présider auxexamens. Jusqu'à présent la qualité des formations dispensées par lesétablissements catholiques était donc une réalité.

La créationdes universités catholiques en France est intervenue dans un contextetrès particulier, celui de l'anticléricalisme mais aussi del'antipositivisme. Cet antipositivisme trouve son pendant aujourd'huidans l'antirelativisme de Benoît XVI, la peur du progrès, social alliéeà la peur de la science inaugure incontestablement de nouveaux rapportsentre l'Eglise, ses universités et les sociétés. En 1876, le PèreDidon  écrivait dans l'enseignement supérieur et les universitéscatholiques : « ce n'est pas assez de posséder des maîtres comme ceuxde l'Etat. Ce qu'ils nous faut, ce sont des maîtres comme nous lesentendons et des universités de notre style ». En février 2007, BenoîtXVI, qui recevait en audience les participants à un congrès organisépar l'université pontificale du Latran, déclarait dans son adresse que« le vrai progrès » humain est celui « de la conscience morale », etsans celui-là, les autres progrès « ne sont pas de vrais progrès ».Benoît XVI affirmait notamment que « le respect de la loi naturelle »constitue un remède au « relativisme éthique » dont la vie, la familleet la société sont victimes.

Antipositiviste en 1875,l'université catholique française a évolué avec son temps et dans lasociété pour en devenir un acteur éducatif de premier plan si l'onconsidère ses extensions nombreuses avec la création de grandes écolesdont certaines jouissent d'une renommée internationale telle quel'ESSEC (dépendant de l'Institut Catholique de Paris) par exemple.Paradoxalement, cet acteur de premier plan demeure fragile car soninsertion dans le paysage de l'enseignement supérieur français n'estpas défini légalement à la différence des institutions del'enseignement catholique du premier et second degré qui peuvent êtreassociées à l'enseignement public.

Cette fragilité a desconséquences sur le financement de ces universités et notamment sur laparticipation financière de l'Etat ; sur la forme juridique de cesuniversités (association loi 1901 peu adaptée au monde académique etscientifique) et enfin sur la reconnaissance des diplômes.

L'accorddu 18 décembre 2008 n'apporte aucune solution concrète et peut aucontraire, y compris car il n'a été précédé d'aucune consultation,réveiller de vieilles querelles qui n'ont plus lieu d'être aujourd'hui.Le Recteur Michel Quesnel, interrogé au lendemain de sa signature,disait en substance qu'il allait sans doute dans le bon sens mais qu'iln'en connaissait ni le contenu ni la portée. Comment un tel accorda-t-il été rendu possible ? Quels en sont les protagonistes et àquelles fins ? En mettant en pratique sous tutelle du Saint-Siège desinstitutions françaises d'enseignement supérieur qui participent àl'intérêt général, la France vient d'abandonner une liberté. Lapérennisation des universités catholiques françaises passait par uncontrat d'organisation entre ces institutions et l'Etat, seul capablede garantir la liberté académique, la rigueur scientifique, le dialogueet une stabilité institutionnelle. Comment cet accord va-t-il êtreaccueilli par les partenaires des universités catholiques ? Quellesvaleurs vont posséder ces diplômes si les partenariats avec les grandesuniversités d'Etat n'ont plus cours ?

2 - L'ACCORD DU 18DECEMBRE 2008 : UNE RUPTURE EVITABLE AVEC LES PRINCIPES REPUBLICAINSQUI MENACE L'ENSEMBLE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR FRANÇAIS

2.1 - UN ACCORD INUTILE ET EN RUPTURE AVEC LES USAGES REPUBLICAINS


-    Cet accord est présenté par les signataires comme une conséquencede la Convention de Lisbonne du 11 avril 1997 et du processus deBologne par lequel 29 pays européens, dont la France et le Saint-Siège,se sont engagés à établir d'ici 2010 un espace européen d'enseignementsupérieur.

Depuis 1999, ce processus vise à l'adoption d'unsystème de diplômes lisibles et comparables pour favoriser la mobilitédes étudiants et des universitaires entre les pays signataires,l'intégration des citoyens européens sur le marché du travail etaméliorer la compétitivité du système d'enseignement supérieur européenà l'échelon mondial. Il organise les cycles de l'enseignementsupérieur, instaure un système européen d'obtention de crédits (EuropenCredit Transfert System) et ainsi une approche européenne del'éducation. En plus des dimensions universitaires, la dimensionéconomique (avec les notions d'autonomie financière) est centrale dansla démarche qui doit doter l'Europe d'une puissance équivalente à celledes Etats-Unis en matière d'éducation supérieure.

Associé auprocessus depuis 2003, le Saint-Siège a, comme son statut d'observateurau Conseil de l'Europe lui en donne le droit, posé une réclamationvisant à lui accorder la légitimité exclusive de la reconnaissance dela validité des diplômes canoniques et ecclésiastiques délivrés par lesétablissements d'enseignement supérieur catholiques.

Enmettant en place une politique de reconnaissance des diplômes étrangersde l'enseignement supérieur, la France a, de fait, reconnu des diplômesdélivrés par les universités catholiques étrangères (comme par exempleles diplômes des universités catholiques espagnoles ou italiennes)tranchant ainsi avec les usages en cours en France où les institutionscatholiques d'enseignement supérieur doivent se soumettre à un certainnombre d'obligations afin de se voir reconnaître la validité desdiplômes qui sanctionnent les enseignements qu'elles dispensent.

Enoutre, l'Etat ignore les diplômes émanant des facultés de théologie(droit canon, philosophie, eschatologie, etc) : « l'Etat chez lui,l'Eglise chez elle»   .

-    En reconnaissant en 1875 la libertéde l'enseignement supérieur, la IIIème République avait permis lacréation d'instituts de formation et d'enseignement supérieurconfessionnels et, par la même, le retour d' une certaine traditionintellectuelle chrétienne. En 1880, l'attribution des titresuniversitaires devenait une prérogative exclusive des universitéspubliques. Ce principe de collation des grades universitaires devaitêtre réaffirmé en 1984 par le Conseil d'Etat qui déclare qu'il doits'imposer y compris au législateur. De fait les établissementscatholiques d'enseignement supérieur ne peuvent porter le nomd'université. Pour voir un diplôme sanctionner son enseignement, uninstitut catholique a deux solutions : établir un accord d'affiliationavec un établissement public qui garantira le niveau du diplôme oudemander au recteur d'académie de convoquer un jury d'experts pourprésider aux examens. Jusqu'à présent la qualité des formationsdispensées par les établissements catholiques était donc une réalité.

Ence sens, l'accord n'était pas nécessaire pour le fonctionnementquotidien du monde univer-sitaire et ne sera pas académiquement utile.

-   Les principes qui régissaient la délivrance des diplômes de cesinstitutions religieuses se trouvent au contraire mis à mal par cedécret qui dépasse les objectifs du processus de Bologne. Trois pointsappellent une vigilance toute particulière.

1. Le premier estcelui de l'autorité de tutelle légitime. Qui du ministre de l'éducationnationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (absent del'accord), du ministre des affaires étrangères ou de la nonciatureapostolique (c'est à dire le Saint-Siège) sera l'autorité légitime quiexercera la tutelle sur les instituts catholiques d'enseignementsupérieur ? La nature même du Saint –Siège pose ici problème : c'est eneffet l'ensemble des institutions religieuses de l'Eglise catholique,représentée temporellement par l'Etat du Vatican . La Congrégation pourl'Education Catholique, organe compétent du Saint-Siège, sera chargéed'établir et de mettre régulièrement à jour « une liste desinstitutions et des diplômes concernés » : c'est donc à la fois uneentité politico-religieuse et un Etat étranger qui deviennentl'autorité légitime des établissements catholiques d'enseignementsupérieur et de leurs 60 000 étudiants en France. On est donc bien loindu simple contrôle de la doctrine des enseignements reçus par lesquelques milliers d'étudiants en « sciences ecclésiastiques ».

2.Le deuxième point est l'atteinte à la laïcité. Cet accord ravive lesinterrogations soulevées par le discours du Latran  sur la perceptionqu'a Nicolas Sarkozy de la laïcité et sur ses intentions en matièred'enseignement supérieur. Se posent donc des questions de fond sur laplace particulière réservée à l'Eglise Catholique dans les relationsentre les institutions religieuses, l'Etat et les autorités politiquesen général. Quel droit de regard aura l'Etat français sur lesenseignements dispensés et comment pourrait il juger de la qualité desenseignements religieux ? Ce texte ne crée-t-il pas une différence detraitement par rapport aux autres établissements confessionnels maisnon catholiques (notamment protestants) ? Cette décisionn'engage-t-elle pas l'Etat dans une série de reculs pour reconnaîtrepeu à peu les établis-sements musulmans, hébraïques ou hindous ? Ainsi,ce concordat de pâle facture présente de grandes faiblesses pourdécidemment aucun d'avantage.

3. Le troisième point estinstitutionnel. Techniquement, cet accord pose d'ores et déjà desproblèmes majeurs. Ainsi qu'en est-il des conventions passées entre lesétablissements publics et catholiques ? Au delà de la libertéinstitutionnelle et académique, se pose la question de la liberté de larecherche dans des domaines sensibles d'un point de vue religieux (labioéthique par exemple). Les indispensables garanties de liberté derecherche ne se trouvent elles pas limitées par le mode de désignationdes établissements habilités par la Congrégation pour l'Educationcatholique ? Bien qu'invisible dans le décret, cette question se posequand on connaît les tensions qui agitent en profondeur le monde del'éducation supérieure catholique en France, mais aussi en Europe etdans le monde.

La complexité de la question interdit uneréponse tranchée et parfaite, car si cet acte politique représente uneréelle rupture dans les principes et le fonctionnement de notreRépublique, la reconnaissance pleine et complète de la qualité de laformation dispensée par les établissements supérieurs catholiques estun enjeu important dans le contexte de mondialisation de l'enseignementsupérieur.

Pour l'ensemble de ces raisons, il est extrêmementregrettable que le gouvernement n'ait pas choisi de faire ratifier cetaccord international par le Parlement. Les recours actuellementpendants devant le Conseil d'Etat pourraient permettre de vérifier quece texte, à la portée très large, n'entrait pas dans le champd'application de l'article 53 de la Constitution, qui exige le passagedevant le Parlement pour les textes qui « modifient des dispositions denature législative ». Or, les principes fondamentaux de l'enseignementrelèvent de la loi en vertu de l'article 34. Si le Conseil d'Etat enjugeait ainsi, c'est la légalité du décret et son entrée en vigueur quiseraient en cause.

2.2 - LE PRESIDENT, L'EGLISE ET LA LAÏCITE : DES AMBIGÜITES A LEVER


Lasituation de la France vis à vis de l'Eglise Catholique est unique.Marquée par la double empreinte de la laïcité et de l'influencemillénaire de la religion Catholique, peu de pays entretiennent unerelation aussi lourde d'ambiguïté avec le Siège de Saint-Pierre. Qu'unpape, « pasteur courroucé » , lui adresse ses réprimandes ou qu'un papemissionnaire s'adresse à sa jeunesse , et la France réagit. Elleentretient des rapports complexes, non pas avec son Eglise, mais avecRome. Force est de constater que cette situation ne convient pas àNicolas Sarkozy. Nous devons là nous arrêter un instant sur le « profilspirituel » du Président ; non pas que nous prétendions connaître sesélévations d'âme mais plutôt pour essayer de comprendre d'éventuellesmotivations profondes.

Si on lui connaît quelques amitiéscatholiques très marquées, nul ne peut penser que Nicolas Sarkozy estle candidat d'un culte. Il ne l'a d'ailleurs jamais affirmé ou laissécroire. Si cela relève de la vie privée, on ne lui connaît pas unepratique religieuse ou un engagement spirituel réel. Dans son profil oudans son parcours, le Président Sarkozy s'est globalement tenu éloignéde l'assemblée des croyants (dans le sens où il n'a pas d'engagementspastoraux connus, qu'il ne vient pas d'une école de penséed'inspiration chrétienne, etc.). Les discours et maintenant, comme nousl'avons vu, les actes, indiquent pourtant le contraire, alors qu'aucunPrésident avant lui dans la 5ème République n'avait osé s'attaquer auxéquilibres établis.

Aussi, après le discours du Latran etcelui des Bernardins (où les grands acteurs de l'enseignementcatholique étaient fort peu représentés), le décret du 16 avril 2009marquera profondément l'histoire de la relation France-Saint-Siège ;non pas en réaffirmant la force et la spécificité du gallicanisme maisbien en mettant, en un sens, genou à terre devant Rome. Mais à quelleEglise Nicolas Sarkozy parle t-il ? De quelles institutions se veut-ill'ami bienveillant? Est-il si marqué par une pensée spirituelle, unedoctrine exigeante qui lui impose de réduire la laïcité, « fruitmonstrueux » de la révolution française et de la gauche triomphante du19ème siècle ? Quel est l'intérêt de la France ?

2.3 - LE CHOIX DE LA PRIVATISATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ?


Cetexte, par-delà ses spécificités, laisse planer le soupçon sur lavolonté de Nicolas Sarkozy de privatiser l'enseignement supérieur,serpent de mer de la droite française . De fait, cet accord offre àl'Université Catholique, la possibilité de devenir une entitéuniversitaire privée entièrement autonome vis-à-vis de l'Etat françaisen matière académique et financière. Mais il va plus loin en donnant lapossibilité à des structures privées d'enseignement de s'établir et des'étendre sur le territoire national en libre concurrence avec desuniversités publiques de moins en moins soutenues par l'Etat. Ainsiverra-t-on en France s'établir des universités gérées par l'Opus Dei oules Légionnaires du Christ ? Le mal est fait, les universités publiquesayant des accords de reconnaissance avec ces instituts catholiques neseront plus en mesure de contrôler le contenu des enseignements destructures devenues complètement privées et dépendant d'un Etatétranger.

Bien que largement ignorée, la liberté del'enseignement supérieur catholique est déjà réelle. La traditiond'indépendance intellectuelle a permis aux instituts catholiquesd'enseignement supérieur de se forger une identité et une compétencereconnue. Nul ne peut nier que les théories les plus progressistes encours dans l'Eglise sont nées dans les sphères universitairescatholiques. Que se passera-t-il si les institutions du Saint-Siège seretrouvent « verrouillées » par les franges les plus réactionnaires del'Eglise ? Quelles seraient les libertés d'enseignement, de rechercheet de réflexion dans des domaines comme la bioéthique, le dialogueinterculturel et interreligieux, mais aussi (et pourquoi pas) lessciences politiques ou la philosophie ? Cet accord ne serait il pas unappel d'air pour certaines mouvances idéologiques qui ne craindraientplus de s'investir dans l'enseignement supérieur (jusque là tropcontrôlé par l'Etat) ?

Imaginons que demain un mouvementintégriste sur le retour ou une organisation spirituelle réactionnairetrouvait les moyens d'investir dans l'enseignement supérieur. Lescénario serait le suivant : des recteurs nommés et aux ordres, desprofesseurs révoqués, des programmes (plus que) dirigés. Nous neparlons pas ici des diplômes théologiques… mais bien des diplômesprofanes. La médecine contemporaine ne pourrait s'emparer totalementdes immenses défis de la génétique, les sciences politiques nepourraient plus penser les relations entre Etat et Religion, lesréflexions sur le dialogue interculturel et interreligieux ne seraientplus soumises qu'aux bonnes volontés du Saint-Siège.

Cettepseudo liberté académique et culturelle, accolée à une politique deprivatisation de l'enseignement supérieur, ne sera t'elle pas dans unfutur proche le moyen d'infiltration de la Nation par des groupes quireprésentent un danger concret pour les libertés publiques etindividuelles alors que les Universités publiques seraient obligées dereconnaître leur diplômes ? C'est en tout cas la fin d'une certainetradition intellectuelle chrétienne que l'on peut craindre avec lasignature de cet accord. Une tradition qui, si elle est complexe, n'ena pas moins constitué une voie d'émancipation réelle au service desHommes et des sociétés… dans toute leur diversité.