Actualité
Appels à contributions
Journée

Journée "Proust et le Moyen Age", 2

Publié le par Vincent Ferré (Source : Sophie Duval)

Appel à communications

Proust et le Moyen Age 2

15 octobre 2010, université de Reims Champagne-Ardennes

« Proust et le Moyen Âge » est un projet quiassocie TELEM - EA 4195 (université de Bordeaux 3) et le CRIMEL - EA 3311 (université de Reims Champagne-Ardennes).Sa finalité est de réunir des proustiens, des médiévistes, des médiévalistes etdes historiens de l'art pour croiser les éclairages sur une question qui n'apas fait l'objet de réflexions systématiques depuis la publication en 1975 de Proust and the Middle Ages de RichardBales. Il prévoit deux journées d'études qui se tiendront l'une à Bordeaux (25mars 2010) et l'autre à Reims (15 octobre 2010).

Les propositions de communication pour la journée rémoised'octobre sont à envoyer à Miren Lacassage (miren.lacassagne@univ-reims.fr) ou à Sophie Duval (Sophie.Duval@u-bordeaux3.fr)avant fin mars.

Comitéscientifique : Sophie Duval(Bordeaux 3), Miren Lacassagne (Reims), Jean-René Valette (Bordeaux 3).

Sur fond d'engouement du XIXesiècle pour le Moyen Âge, de wagnérisme et de mode ruskinienne, Proustmanifeste un intérêt essentiel et intime pour la période, la pensée et l'artmédiévaux, que l'on pourra étudier dans l'ensemble de ses écrits, oeuvrelittéraire, traductions et éditions de Ruskin, articles et correspondance.Cette fascination se reflète notamment dans ses lettres à Reynaldo Hahn :la fantaisie moyenâgeuse, qui sert de code à la complicité amoureuse,s'épanouit en dessins décalqués de L'artreligieux du XIIIe siècle en France d'Emile Mâle, vitraux,statues, bas-reliefs, dans lesquels Proust se met en scène avec sondestinataire. Exécutés entre 1902 et 1911, ces dessins livrent quelques pistesde réflexion sur la façon dont Proust s'approprie le Moyen Âge : éruditionet investissement affectif et érotique ; parodie, autodérision ethumour ; transposition profane voire profanatoire du sacré ;travestissement burlesque et codage allégorique ; jeux d'anachronisme etactualisation du passé.

On pourra donc se pencher sur lecontexte historique de la redécouverte du Moyen Âge au XIXe siècle(historiographie, architecture, beaux-arts, littérature) et sur les médiateursdu médiévalisme proustien (Augustin Thierry, Ruskin, Mâle, Viollet-le-Duc,Wagner, Chateaubriand, Huysmans, Monet,…) et se demander si le traitementproustien du Moyen Âge, littéraire et esthétique, peut être envisagé selon desperspectives d'époque, néo-gothique, art nouveau ou problématique de larestauration, aptes à actualiser le passé.

En effet, si, pour Mâle comme pourHugo, le livre imprimé devait tuer le livre de pierre, celui-ci peut maintenantêtre représenté et ranimé par celui-là. Si l'on pourra revenir sur la présencede la culture et de l'art du Moyen Âge (légendes et hagiographie, Dante etGiotto, églises imaginaires et cathédrales réelles, …) et sur la topique enlaquelle il se réalise (essence de la francité, poésie du snobisme, proximitédu peuple et de l'aristocratie, merveilleux chrétien ou païen, …), il s'agiraaussi d'analyser les modalités d'inscription du passé dans le présent. Auxmotifs de la permanence des pierres (art monumental, architecture domestique),de la filiation (généalogie et étymologie), de la pérennité du peuple français(attestée au portail de Saint-André-des-Champs), on adjoindra la puissance depalingénésie de l'art médiéval : un damné de Dante ressuscite en nénupharou en tante Léonie, et les Vices etles Vertus de Giotto se détachent deleur grisaille pour transmigrer en êtres vivants et contemporains tandis queses anges se métamorphosent en jeunes élèves de Garros. Cette question soulèvecelle de la présentification du Moyen Âge, qu'il s'actualise dans le présent enen épousant les structures (restaurant de Rivebelle) ou que la contemporanéitése médiévalise (cris de Paris), que la remémoration personnelle s'articule avecla commémoration historique ou que l'association métaphorique enchaîne les deuxcercles d'un passé prestigieux et fabuleux et d'une modernité prosaïque etfamilière.

Mais si le livre moderne régénère leMoyen Âge, le Moyen Âge, en retour, féconde l'oeuvre proustienne. On pourraréexaminer la façon dont il informe la géographie et les personnagesromanesques (Combray, Balbec, Venise, Françoise, les Guermantes, …), explorerles perspectives qu'il ouvre sur le sacré (« Bible historiée » deBalbec, « colossal évangile de Venise », quête de Dante ou deParsifal, …) et sur la morale (Vices et Vertus des fresques de Giotto et desbas-reliefs et vitraux des cathédrales), touchant ainsi aux questions de laculpabilité et de la rédemption, et observer quels furent son évolution et sadynamique dans la genèse de l'oeuvre. Mais, pour comprendre comment Proustincorpore le Moyen Âge, il faudrait également tenter de dégager une éventuellepoétique médiévaliste. Si l'on a déjà insisté sur l'écriture du vitrail ou surl'oeuvre-cathédrale, on pourrait envisager sous d'autres angles la manière dontle Moyen Âge ensemence le récit, le style et l'esthétique de Proust de sesschèmes et de ses concepts : danse macabre, roue de la Fortune, parodia sacra, etymologiae,pensée de l'allégorie et du symbole, coïncidentiaoppositorum, conception du temps, … On pourrait ainsi voir comment Proustretravaille le matériau romantique et symboliste repris du Moyen Âge etnotamment la transposition du système théologico-cosmologique médiéval dans ledomaine de la création littéraire : jugement dernier, fonction et cultedes images, correspondances et analogie universelle, pouvoir performatif duverbe démiurgique, livre de la mémoire et grand livre du monde, … Quant à lacathédrale, elle a souvent été comprise comme un modèle de totalisation,d'éternisation, de structuration ou de didactisme. Donnant à l'architecte« la joie de bâtir avec de la clarté » (lettre à Emile Mâle), ellerépond au voeu proustien d'éclaircir ce qui est obscur, et d'exprimer et detransmettre la vérité. Mais c'est aussi sur un tympan d'église,« gigantesque poème » (Pléiade, II, p. 197), que le héros apprend,grâce à Elstir, ce qu'est la poésie.

Le traitement proustien du Moyen Âgen'en est pas pour autant exempt de certaines ambiguïtés. Que penser de la« franchise » de l'« opusfrancigenum », quintessence de la francité, illustré par Saint-Loup,Françoise, Théodore et Albertine ? Comment interpréter la comparaison dulivre avec la cathédrale, analogie présentée dans une prétérition, assortied'une épanorthose et issue d'une syllepse sur le verbe « bâtir » (IV,p. 610) ? Et enfin comment lire le comique de médiévalisme ? Véhiculed'une satire frappant des cibles contemporaines ou ironie visant, parretournement blasphématoire ou esprit potache, l'érudition voire le Moyen Âgelui-même ? Mise en oeuvre du principe médiéval du ludicra seriis miscere ou élément d'une réflexion sur la réceptiondu Moyen Âge par la modernité ? Goût ludique du pastiche ou humourpoétique créant d'inattendues analogies entre présent et passé, « sansirrévérence, comme le peuple pieux du Moyen Âge, sur le parvis même del'église, jouait les farces et les soties » (III, p. 634) ?