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Appels à contributions
Le saint laïc (Metz)

Le saint laïc (Metz)

Publié le par Romain Bionda (Source : Bruno Mancini)

Centre de Recherche Ecritures (EA 3943) Université de Lorraine - Metz

Journée d’études : « Le saint laïc », Metz, 12.05/2017

Appel à manifestation d’intérêt

 

Dans son deuxième roman, Vino e pane (1936), Ignazio Silone raconte le trajet de Pietro Spina, ancien communiste exilé politique qui rentre secrètement en Italie déguisé en prêtre et prend le nom de Don Paolo Spada. Derrière ce personnage se cache l’auteur lui-même qui, déçu par le communisme stalinien, quitte le PCI dont il était l’un de fondateurs et réalise que la foi, la justice, la charité, la solidarité sont des idéaux communs au socialisme et au christianisme. D’où la thématique du « saint laïc » dans l’œuvre de cet écrivain. Qu’en est-il cependant, d’un point de vue général ?

Au-delà de cette œuvre particulière, les saints et la sainteté ne sont pas la propriété exclusive des théologiens ou des spécialistes du fait religieux, ou alors il convient de donner à celui-ci une signification qui dépasse le cadre des religions instituées, ce qui constitue notre hypothèse de travail.

Considérer que le sacré concerne des faits sociaux non catalogués comme relevant spécifiquement d’une religion, c’est déconnecter, à la manière de Jacques Ellul ou, plus récemment, de Régis Debray, le sacré des notions de religiosité et de transcendance. La sainteté elle-même est depuis longtemps comprise dans un sens sécularisé ; déjà au XIe siècle, saint « se dit d’une personne qui mène une vie exemplaire sur le plan moral et religieux (saint homme) » ; et au XVe siècle, ce terme définissait « une personne à la conduite exemplaire »[i]. Le mot « saint » dérive de sanctus, participe passé de sancire (c’est-à-dire prescrire par la loi, consacrer), qui est strictement lié à sacer ; par extension, il signifie « digne d’un grand respect, inspiré par des sentiments moraux ». C’est ce dernier point qui fera définir par Kant la « volonté sainte » comme celle qui agit spontanément par devoir, « dont les maximes s’accordent nécessairement avec l’autonomie » (Fondements de la métaphysique des mœurs, 2e section).

Mais cette signification s’éloigne en réalité autrement qu’on ne l’imagine du sens religieux, puisque, d’un point de vue biblique, le mot « saint » n’a pas de connotation morale : il signifie « mis à part » ; les « saints » sont, dans les lettres apostoliques, les croyants, qui sont très loin d’être toujours moralement exemplaires (1 Corinthiens 1/2  et Romains 1/7 : « saints par appel »). La dimension morale n’épuise donc pas la signification de la sainteté notamment dans ses usages institutionnels. Toutes les institutions qui « mettent à part » des temps, des lieux, des personnes, des événements pour les offrir en exemple entrent dans cette définition ; ce sont ces processus et le rôle de la littérature qui sont ici l’objet de nos réflexions.

Quel travail de la figure de la sainteté s’opère-t-il dans le cadre de la sécularisation et des pratiques qui y sont associées ? Quelles en sont les formes ? Que devient une « vie de saint » en régime séculier et dans le cadre de la laïcité ? Ces problèmes peuvent être abordés au travers de questions plus précises sur la constitution des figures de la sainteté laïque :

Le saint est le produit d’un récit, la « vie de saint ». Peut-on identifier les composantes structurales de ce genre ? Quel lien avec d’autres genres, comme l’épopée ou bien encore la chronique ou les annales? La sécularisation du genre semble un fait avéré[ii]. Ainsi, au XIXe siècle, on voit se former une néo-hagiographie, c’est-à-dire la laïcisation, la modernisation à la fois thématique et formelle du modèle de l’hagiographie dans différents cadres, notamment ceux de la constitution des récits nationaux et de la généralisation de l’instruction. Mais celui-ci s’en trouve-t-il transformé ? Quel usage fait la littérature, au sens étroit du mot, de la sécularisation (ou non) de ce modèle) [iii] ? Si, dans une conception ecclésiastique, le saint a besoin d’une autorité qui le reconnaisse, qu’en est-il en contexte profane ? Le saint tire-t-il toujours d’une institution sa reconnaissance ? Et, à l’inverse, les institutions laïques peuvent-elles générer, produire et instituer de telles figures ? De quelle institution le saint devrait-il tirer sa reconnaissance ou, inversement, quelle est la rentabilité institutionnelle, sociale ou politique de la production hagiographique ? Quels sont les enjeux et les bénéfices esthétiques / littéraires du recours - par l’artiste ou l’écrivain - au modèle hagiographique ? Quelles rencontres et quelles convergences entre la sécularisation du modèle hagiographique et sa forme première, notamment dans le discours chrétien ? Une autre figure est aujourd’hui reprise et sécularisée dans le cadre des violences et catastrophes contemporaines, celle de la victime comme martyr ? Quel rapport entretient cette nouvelle forme de sécularisation avec celle de la sainteté ? Et quelles en sont les conséquences ?

 

 

Propositions (1 page / 2.500 signes) à envoyer à

Bruno Mancini (bruno.mancini@univ-lorraine.fr),

Laurent Husson (laurent.husson3@wanadoo.fr),

Pierre Halen (pierre.halen@univ-lorraine.fr) pour le 12 septembre 2016.

 

[i] http://www.cnrtl.fr/etymologie/saint

[ii] Cf. Alexandre Gefen, « L’hagiographie, mort et transfiguration d’un genre littéraire. De Flaubert à Michon », in Le Moyen Âge dans les fictions contemporaines. Paris : Éditions Rue d’Ulm, coll. Æsthetica, 2009, 252 p. ; p.55-66.

[iii] Cf. par exemple les Trois contes (1887) de Flaubert.