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Journée d'études

Journée d'études "Le discours des organes"

Publié le par Hugues Marchal

Appel à proposition : « Le discours des organes »

Journée d'études organisée le 4 juin 2005, à l'Université Paris III-Sorbonne nouvelle, dans le cadre du séminaire « Organismes : écriture et représentations du corps interne au XXe siècle » (UMR 7171 « Ecritures de la modernité » : CNRS/Université Paris III).


Le corps interne semble se dérober à l'ordre du discours. Là où notre visage, nos mimiques ou notre comportement (l'hexis des sociologues, le langage corporel de la psychanalyse, de la phénoménologie ou de l'éthologie, les traits de la physiognomonie) s'expriment ou nous trahissent, l'organique se drape dans une obscurité taciturne. Pourtant, du tétin blasonné par Marot aux Bijoux indiscrets de Diderot ou au coeur-lyre de Lamartine, une longue tradition littéraire a fait parler ce peuple sans voix. Qu'est devenu ce motif alors que savoirs et moyens d'investigations du corps (notamment stéthoscope et échographie) multipliaient les modes d'écoute et de lecture du dedans, et découvraient avec la génétique et l'endocrinologie un bruissement de messages et d'échanges au plus intime de nos fibres ? Comment pense-t-on que nos organes parlent (génitif subjectif) et que dit-on sur ce discours (génitif objectif) ?

Entre invention linguistique et mise à mal du logos au profit d'une défiguration (Evelyne Grossman), désir d'authenticité ou rhétorique de la « parole soufflée » (Derrida), emprunts scientifiques et citations lettrées, convocation de modèles verbaux ou gestuels, un vaste champ d'investigation croise ici représentations du corps interne et réflexions sur ce que parler veut et peut dire. Cette journée d'études, interdisciplinaire, souhaiterait réunir des spécialistes de la littérature, du langage, de l'art et des technologies contemporains, afin de cerner quelques-uns des enjeux de ces questions.

Le discours des organes vient-il d'abord des organes du discours ? Il est significatif que le « bel organe » désigne la voix, car chanter, réciter, dialoguer, discourir et même lire sont autant de pratiques organiques du discours, sur laquelle la phénoménologie merleau-pontienne a mis l'accent, mais aussi les poéticiens qui, comme André Jousse ou André Spire, ont tenté de prendre en compte les travaux de la physiologie de la voix pour lier « plaisir poétique et plaisir musculaire ». Si la bouche opère la symbiose du langage, de l'aliment et de l'érotisme, cette association avilit-elle le discours (Leiris), ou l'ennoblit-elle (Claudel) ? Fait-elle de la bouche l'orée du sens (ou du non-sens) ? Cette source doit-elle être cherchée toujours plus profondément, au « poteau-frontière de la chair et de l'esprit » (Larbaud) ? Est-elle enfin partout diffuse, si, comme l'écrit Gottfried Benn dès 1932, la « géologie du moi » est devenue « une unité complexe, distribuée à travers […] l'organisme entier, formée par les systèmes physiologiques les plus opposés, vivifiée par des courants périphériques et capable d'une pleine expression dans chacune de ses composantes singulières » ?

Dans ce cas, que pourrait dire un organe parlant en son nom propre ? Le vagin monologuera-t-il en féministe (Ensler) ? Le phallus en obsédé (Topor) ? Et quel sera leur médium ? L'idée d'un langage purement organique fascine l'imaginaire, en littérature comme au cinéma : flux sanguins, frottements osseux ou charnels, démembrements « gore », digestion, pets et autres rots – gènes et gênes – loin d'être simplement des « bruits », peuvent former l'alphabet élémentaire d'un discours dont il s'agira d'interroger les fonctions comme les modalités.

Dans une formule célèbre, le chirurgien René Leriche, au début du siècle, présentait la santé comme « la vie dans le silence des organes ». Ces derniers ne s'exprimeraient-ils que dans une pathologie dont il s'agirait de se faire l'herméneute (anorexie, migraines et autres ulcères) ? Rien n'est moins sûr, tant la science des haruspices, ces interprètes à ventre ouvert, se retrouve, à des degrés divers, dans l'art et la littérature du XXe siècle, et tant aussi notre époque semble avoir rêvé d'une parole attribuable aux seuls organes, contre, cette fois, les règles de la langue et le contrôle de la raison (voir sur ce point les essais de Prigent ou Nancy). Il conviendra donc de s'interroger aussi sur le mythe d'un corps qui serait le lieu de l'expression de la pulsion et de l'affect (mettant en jeu une désarticulation ou réarticulation du langage). Cette approche évolue au fil du siècle à mesure qu'est décrit un organisme où priment la structure, l'organisation, le stockage, la traduction et l'échange d'informations, mais aussi la mutation subite et aléatoire, assimilable à un lapsus ou à un calembour (Jacob). Faut-il alors différencier un discours des organes et un discours de la matière organique ? Si la cellule et le gène ne sont pas des organes, ils n'en ont pas moins été envisagés par les scientifiques, suivis par de nombreux poètes et artistes, comme de la langue ou du nombre, bref comme un discours aux structures imitables ou non dans le champ du verbe et de l'image – ce qui plus largement soulève la question des modèles corporels de l'oeuvre ou de la phrase.

In fine, la distinction entre langue et organes tient-elle encore ? Fibrilles lancées hors de soi, cordon ou bain reliant auteur et récepteur, paroles et textes se rêvent bourgeonnements ou tentacules caressants. Mais comme le rappelle le poète Lorand Gaspar, chaque discours, pour être reçu de notre cerveau comme de nos centres nerveux, n'est-il pas toujours déjà transposé en signaux physico-chimiques qui se mêlent aux autres flux de notre chair bavarde ? Littérature et arts se sont-ils fait l'écho des neurosciences sur ce point ? Pourrait-on rêver, à l'inverse, de retourner tout le corps en langue ?

Proposition (une page) à envoyer par e-mail avant le 28 février 2005, à Anne Simon (annesimon@club-internet.fr) ou Hugues Marchal (marchal.hugues@wanadoo.fr).