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Imaginaires de la ville et urbanité (Dunkerque) 

Imaginaires de la ville et urbanité (Dunkerque)

Publié le par Marc Escola (Source : stéphanie Bulthé)

 

Journée d’études Jeunes Chercheurs

Dunkerque, le mercredi 22 mars 2017

« Imaginaires de la ville et urbanité »

 

Université Littoral-Côte d’Opale

Unité de Recherche sur l’Histoire, les Langues, les Littératures et l’Interculturel

( H.L.L.I., E.A. 4030)

Équipe de recherche « Modalités du Fictionnel »

 

« Une ville : de la pierre, du béton, de l’asphalte. Des inconnus, des monuments, des institutions »

Georges Perec, Espèces d’espace, Galilée, 1974, p. 85

 

Dès lors qu’Aristote définit l’homme comme « animal politique[1] » (zoon politikon), l’univers de la ville, comme lieu privilégié de regroupement et de concentration d’habitants, devient un aspect constitutif et essentiel de l’humanité en elle-même. Une telle entité, à l’origine d’une dynamique communautaire humaine et sociale, géographique et historique, va entraîner dans son sillage une fascination trouble, à la fois repoussante et exaltante.

La notion de frontière est fondamentale pour circonscrire les définitions mouvantes de la ville et de l’espace urbain. Au cœur de la fondation mythique de Rome, le sillon sacré que trace Romulus, le pomerium, est une délimitation complexe et immatérielle, une limite juridique et religieuse, mais avant tout une barrière symbolique entre la civilisation et la barbarie, que connote la ruralité. Dans l’antiquité, la notion de ville s’oppose à celle se référant à la campagne, urbs versus rus. Le Moyen Âge en gardera un système de valeurs où la courtoisie se confond avec les valeurs urbaines tandis que la vilainie suppose aussi bien grossièreté et inculture que ruralité. Au Xe siècle, les cités médiévales sont encore des lieux enfermés, ceints de murs de pierre ayant pour fonction essentielle de défendre la population. En raison d’un essor économique exceptionnel, l’augmentation de cette dernière entraîne à son tour l’accroissement de la production et le développement des échanges. Les bourgs s’adjoignent aux anciennes cités et repoussent les limites des premières enceintes. Viennent alors les aménagements d’urbanisme qui visent au confort et à l’amélioration des conditions de vie des habitants comme le pavage des rues, l’alignement des maisons, l’élargissement des voies de communication entre autres.

Entre l’an Mil et 1328, la population française va doubler ; on assiste dès lors au déploiement spectaculaire des forces économiques. Le commerce se développe et le paysage urbain s’enrichit d’un regroupement de métiers de bouche (bouchers, poissonniers…) et d’artisans (forgerons, orfèvres, verriers…). Les professions plus spécialisées du cuir et du drap font à elles seules la renommée d’une ville tout comme les foires internationales qui s’y déroulent[2]. Le registre d’Establissement des mestiers de Paris, consigné en 1268 par Étienne Boileau, prévôt du roi, regroupe les 101 métiers de la ville de Paris et la réglementation propre à chacune des professions recensées. Ces nouveaux commerçants enrichis favoriseront l’émergement d’une nouvelle classe sociale urbaine : la bourgeoisie. En marge de cette population privilégiée, toute une catégorie d’exclus peuple le paysage urbain. Miséreux ou marginaux, voleurs, vagabonds, prostituées se voient de plus en plus stigmatisés.

Bien plus que le reflet d’une simple recomposition de l’espace, l’essor urbain modifie en profondeur les modes de vie. La littérature permet alors une réflexion sur l’évolution de la société. Dans le Jeu de la Feuillée, les nouveaux types sociaux (le tavernier, le bourgeois, le moine intéressé…) sont lourdement critiqués dans une pièce satirique jouée sur la place du Petit-Marché d’Arras et subventionnée par les bourgeois de la ville, bien que proposant une vision pessimiste de ce monde. À l’inverse, n’oublions pas non plus qu’une des premières utopies de la littérature française, le fabliau de Coquagne, se développe dans un univers urbain, au sein d’un monde à l’envers où les restrictions de l’Église cèdent la place à un foisonnement alimentaire et sexuel débridé où l’argent ne dépend plus du travail mais de la paresse.

Depuis la Bible, une symbolique très négative s’attache au concept. Il ne faut pas oublier que dans cet imaginaire le premier criminel de l’humanité, Caïn, est aussi le fondateur de la première ville, Hénoch. Toutes les villes bibliques, hormis la Jérusalem céleste connaissent des destinés tragiques : la Babylone de Nabuchodonosor est assimilée à la notion d’orgueil ; la « Grande Prostituée » de L’Apocalypse de Jean annonce le jugement divin ; l’anéantissement de Sodome, Gomorrhe et autres « villes des plaines » prend un rôle purificateur.

La « chose humaine par excellence », comme l’affirme Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques[3], portera longtemps sa part sombre : le Londres de Dickens est aussi noir que le malheureux peuple d’ombres qui s’y consume, celui de Sherlock Holmes est trait pour trait aussi fantasmagorique que celui de Jack l’Éventreur. La ville semble dans beaucoup de romans attachée au destin de ses personnages. Elle prend ainsi des allures de scène de théâtre pour les opérations frauduleuses d’ambitieux bien décidés à laisser libre cours à leurs appétits dans cette « ruche bourdonnante[4] », qu’ils se nomment Rastignac ou encore Saccard. Faut-il rappeler les désirs du personnage balzacien qui proclame haut et fort son intention de devenir le maître de Paris ?Au mitan du XIXe siècle, sous la plume de Zola, Saccard, du haut de la butte Montmartre, prophétise l’éventrement d’une capitale qui, sous les pioches du baron Haussmann, va subir une métamorphose telle qu’aujourd’hui encore toute entreprise urbanistique n’est que son prolongement. Dans Dubliners, Joyce pose sur la ville et ses habitants un regard détaché, tantôt ironique, parfois cruel mais toujours lucide, pour dépeindre les frustrations engendrées par la société. Borgès évoque avec nostalgie les lieux de son enfance dans le quartier de Palermo à Buenos Aires, entre la quiétude d’une maison familiale et l’inquiétude du terrain vague la jouxtant, pour les sublimer en centre névralgique et métaphysique du monde. La ville devient bien personnage à part entière, comme cette Bleston énigmatique, labyrinthique et obscure, mi- repoussoir, mi- désirable, dans laquelle s’égare Jacques Revel dans L’Emploi du Temps de Butor.

 

Modalités de soumission :

Nous invitons tous les doctorants ou post-doctorants en histoire ou littératures, française ou étrangères, anciennes ou modernes et civilisationnistes à nous envoyer une proposition de communication sur ces thématiques. Nous envisagerons la ville en lien avec les valeurs urbaines ou les groupes sociaux qui la constituent, que ce soit une ville réelle ou utopique qui soit considérée. Les propositions de communication traitant d’une ou plusieurs villes dans ou face à l’histoire sont les bienvenues. On pourra ainsi traiter des villes en guerre, de la relation des villes entre elles, des échanges commerciaux ou autres, du cas limite de la ville-frontière, entre autres. Dans une perspective plus littéraire, nous aimerions présenter des communications autour de la relation d’un auteur à sa ville fétiche ou d’un personnage pris dans la dynamique d’une ville. En somme, nous privilégierons les propositions qui mettent la ville et ses valeurs au cœur de la réflexion et nous écarterons celles qui ne présentent que la ville comme un décor.

Les propositions de communication doivent comporter un titre, un résumé d’une dizaine de lignes, et une courte présentation de l’intervenant (laboratoire de rattachement, publications...). Les interventions se limiteront à vingt minutes.

Les propositions seront envoyées sous un format facilement lisible (WORD, PDF…) à l’adresse indiquée ci-dessous pour le jeudi 26 janvier 2017 : jeuneschercheurs.littoral@gmail.com

Une réponse individuelle sera communiquée dans la semaine du 30 janvier.

Pour toute information pratique supplémentaire concernant la journée d’étude, merci d’écrire à la même adresse.

Il est à noter qu’en aucun cas l’Unité de Recherche HLLI ne pourra couvrir les frais de déplacement. Une attestation pourra être fournie pour un remboursement par votre laboratoire de rattachement.

 

[1] « La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et […] l’homme est par nature un animal politique », Aristote, La Politique, I, 2.

[2] Celles de Chalon-sur-Saône, de Flandres et de Champagne sont célèbres au XIIIe siècle.

[3] L’auteur considère que la ville regroupe en elle toutes les strates du passé et du présent, voire même de l’avenir, qu’elle est à la fois une construction matérielle et une vue de l’esprit de l’homme, qui la façonne au gré de ses envies : « Ce n’est pas de façon métaphorique qu’on a le droit de comparer […] une ville à une symphonie ou à un poème ; ce sont des objets de même nature. Plus précieuse peut-être encore la ville se situe au confluent de la nature et de l’artifice […] Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture ; individu et groupe ; vécue et rêvée : la chose humaine par excellence. » Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Paris, éditions 10 /18, 1962, p. 228.

[4] Honoré Balzac (de), Le Père Goriot, dans La Comédie humaine III, étude de mœurs, Scènes de la vie privée, Scènesde la vie de province, dir. Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, 1976 (Bibliothèque de la Pléiade) p. 290