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Est / Ouest : Mouvements de transfert et d’exil à travers l’Europe

Est / Ouest : Mouvements de transfert et d’exil à travers l’Europe

Publié le par Marc Escola (Source : Victoire Feuillebois)

Est / Ouest :

Mouvements de transfert et d’exil à travers l’Europe

15 décembre 2014

Maison de la Recherche d'Aix-en-Provence

Salle 2.44

 

            La notion de transfert culturel s'est imposée, grâce aux travaux de Michel Espagne et de Michael Werner, comme la méthode d'analyse privilégiée pour étudier comment entrent en relation « deux systèmes autonomes et asymétriques » – ce modèle semble à première vue particulièrement bien adapté pour investiguer les pratiques culturelles entre les pays d'Europe de l'Est et d'Europe de l'Ouest, puisque les deux espaces apparaissent dans les représentations collectives comme des entités culturelles fortement homogènes et closes sur elles-mêmes, tout en étant traversées par une  circulation constante des hommes et des idées. Cette ambivalence est attestée par l'histoire récente, qui a vu la constitution de « blocs » antagonistes, mais aussi la migration croissante des populations d'un lieu à l'autre au fil des conflits et des fluctuations de frontières ; elle est également avérée dans l'imaginaire intra-européen, marqué à la fois par la croyance en l'unité du continent et la perception d'une ligne de faille culturelle scindant celui-ci en deux pans.

            Définis par cette configuration à la fois interactive et agonistique, les rapports Est/Ouest apparaissent comme un objet particulièrement stimulant, mais qui pose plusieurs problèmes pour les études littéraires. Le paradigme du « transfert culturel » se focalise en réalité sur le résultat d'un processus de transfert, à savoir sur l'étude matérielle de l'acclimatation « des comportements, des textes, des formes, des valeurs, des modes de pensée étrangers » dans un espace aux frontières perçues comme parfaitement définies : il n'y a analyse des vecteurs de transfert que du côté de l'espace de réception. L'enjeu des transferts culturels est en effet d'analyser « les échanges entre cultures […] à partir d’une compréhension globale de la conjoncture du pays d’accueil qui opère parfois de véritables transmutations des objets importés » (Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe et XIXe siècles), textes réunis et présentés par Michel Espagne et Michael Werner, Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1988). Or cette polarisation a pour conséquence une marginalisation des outils traditionnels de l'analyse littéraire. Dans l'optique des transferts culturels, l'attention à la matérialité de cette circulation et à la configuration originelle du terrain d'accueil, qui provoque nécessairement une resémantisation des objets importés, a pour but de sortir du paradigme de l'influence et de rendre inopérant le modèle traditionnel de la comparaison : il ne s'agit plus d'évaluer la stabilité d'un objet passant d'un espace à l'autre, ni de juger les différentes réceptions des réalités culturelles à l'aune d'un centre originel d'émanation. De fait, les littéraires se trouvent par là privés de certains de leurs instruments d'analyse, notamment ceux qui avaient prévalu lors de la constitution de la discipline de la littérature comparée, comme les études d'influence, et renvoyés à la méthode historique revendiquée par Werner et Espagne.

            Mais cette dernière se penche essentiellement sur la circulation culturelle entre deux nations identifiées et stables, et suppose donc qu'il existe des espaces antérieurs au transfert lui-même et présentant déjà une structure homogène : or, qu'en est-il dans le champ des représentations collectives et singulières de « l'Est » et de « l'Ouest », dont les définitions sont aléatoires, fluctuantes et subjectives et où ces mouvements de transfert contribuent justement à la construction des imaginaires de l’autre ensemble culturel ? Les objets esthétiques reflètent cette difficulté de circonscrire avec précision les espaces culturels dans lequel le transfert s'effectuerait, en lui assignant un autre lieu que la réalité géographique d'une nation ou d'une communauté soudée de pays : ancrés dans l'horizon des représentations artistiques, ils dévoilent un mouvement d'interaction et de circulation entre des réalités étrangères qui permet de penser des identités en élaboration permanente, par comparaison, différenciation ou projection, se construisant moins dans la matérialité d'un contexte objectif que dans la dynamique propre à une subjectivité singulière. Dès lors, le « transfert » à l’œuvre dans les textes littéraires ne se distingue-t-il pas par sa dimension interactive, mettant l'accent sur le va-et-vient entre des réalités complexes et laissant la place à l'équivocité ? N'engage-t-il à reposer la question de l'échange culturel au prisme de la comparaison, perçue non plus comme un modèle d'évaluation de l'influence, mais comme le mouvement par lequel se dévoile cette équivocité ? Ainsi, certains objets particulièrement importants dans les figurations littéraires de l'« Est » et de l'« Ouest » nécessitent un traitement qui prenne en compte la part des investissements imaginaires et des éventuelles perturbations de l'échange : la problématique de l'exil Est/Ouest conduit par exemple à s'intéresser à l'élaboration subjective dans ces transferts forcés, qui interfèrent profondément dans la perception du soi et de l'autre et interdisent de faire du sujet exilé un simple « vecteur » à sens unique dans la diffusion de sa culture d'origine ; les œuvres littéraires qui se font l'écho des violences de l'histoire évoquent en permanence des mémoires croisées dont aucune n'a le monopole de la vérité historique ; toute tentative de transposition ou de traduction fait nécessairement l'épreuve de l'échec, de ce qui ne passe pas d'un univers à l'autre ou d'une subjectivité à l'autre. Dès lors, l'étude contrastive et comparée retrouve une pertinence. L'étude des relations esthétiques entre « Europe de l'Est » et « Europe de l'Ouest » ne constitue-t-elle pas ainsi un terrain privilégié pour réfléchir à la manière dont l'analyse littéraire peut se réapproprier la notion de transfert et lui restituer une dimension proprement trans-férentielle ?

 

Organisation : Alexis Nuselovici et Victoire Feuillebois

                       

Programme

 

Session du matin Modératrice : Fridrun Rinner

10h : accueil des participants

10h15 : Alexis Nuselovici (AMU) : introduction

10h30 : Florence Bancaud (AMU), « Kafka et le monde russe »

11h : Béatrice Gonzalés-Vangell (AMU), « Retours vers un monde disparu (Joseph Roth, Erdbeeren et Hiob; Edgar Hilsenrath, Jossel Wassermanns Heimkehr et Die Abenteuer des Ruben Jablonski). »

11h30 : Fridrun Rinner (AMU) : remarques conclusives de la matinée ; discussion

 

Session 2 Modérateur : Stéphane Baquey

14h : Victoire Feuillebois (Tours), « Comment vieillit une influence (Byron et Pouchkine) ? »

14h30 : Natalya Roudikova (Université d’Etat de Tomsk), « L’image de Saint-Pétersbourg dans les œuvres des exilés français du XIXe siècle »

15h : débats et pause

15h30 : Stéphane Cermakian (AMU), « Transnationalité, transhistoricité et transcendance. Pour une mystique comparée. Cioran, Sarafian, Fénelon »

16h : Tina Mamatsashvili (Université d’Etat Ilia), « La dimension « trans-férentielle » de l’œuvre exilée : Nous autres de Zamiatine »

16h30 : Stéphane Baquey (AMU) : remarques de clôture ; discussions.